La peinture - Peintre

Abel Leblanc

Abel Leblanc, ce peintre né au début du siècle qui, malgré ses 90 ans, a oublié de vieillir.

Abel leblanc

Abel Leblanc à fêté, comme il convient, ses 90 ans en exposant 90 toiles au musée de la Piscine.

C’est un chiffre ridicule quand on le compare à l’ensemble de sa production. Abel est un homme heureux. Sa joie de vivre il l’a communiquée aux autres toute sa vie comme enseignant ou comme peintre. Il a toujours peint ce qu’il aimait sans se soucier des modes et du temps qui passe. Il se souvient, comme si c’était hier, de sa première toile ou de son premier instrument de musique. Le mois dernier, il a fait l’acquisition d’un nouveau saxophone et s’est remis à l’instrument de sa jeunesse. Enseigner, chanter, jouer de la musique, peindre, c’est pareil, pour lui : c’est une manière de communiquer et de transmettre du bonheur aux autres.

On accède à son grand appartement en duplex du centre de Roubaix par un jardin à la française. On sonne, et son chien qui, comme tous les êtres qu’Abel a aimés, est immortalisé par un tableau accroché au mur, vient accueillir le visiteur. L’hôte le suit de près et on ne sait jamais s’il va avoir à la main un pinceau ou un saxo. On monte un étage dans ce qui ressemble très fort à un musée même si on finit par comprendre que c’est surtout l’appartement d’Abel. Alors, le maître vous fait asseoir à sa table et vous raconte son histoire.

«Mon grand-père était instituteur, ma grand-mère institutrice. Mon père et ma mère étaient enseignants. Je suis le fils de cette tribu et pour moi, cette filiation, c’est très important, même en tant que peintre. Je suis un fils de l’après-guerre. Je suis né en 1919. Avec mes frères y avait plus de 14 ans d’écart. On peut dire que je suis un fils unique élevé dans une famille nombreuse.

A l’école, j’étais un élève intéressant mais pas du tout excellent. J’avais surtout un défaut rédhibitoire pour mon père, qui me considérait comme un handicapé : j’étais très mauvais en orthographe. Mon père, que la moindre faute rendait malade, était désespéré. Ses efforts n’aboutissaient à rien : j’étais incurable ! Pourtant, dès que j’ai été amoureux de ma future femme, mon orthographe s’est améliorée de façon spectaculaire. Au bout de deux ans, je ne faisais pratiquement plus aucune faute. Aujourd’hui, quand je vois, toutes les fautes d’orthographe que font les jeunes, je suis malade et je pense à mon père.

Pour moi, elle était absolument inaccessible

Abel Leblanc

Vers ma seizième année, j’ai rencontré une fille extraordinaire. J’ai eu instantanément un énorme coup de foudre qui a changé toute ma vie. J’en étais en même temps profondément malheureux. Pour moi, elle était absolument inaccessible. D’abord, c’était une lilloise alors que moi je n’étais qu’un simple roubaisien. Ensuite, elle était terriblement jolie. Pour aggraver le tout, elle était speakerine à radio PTT dans une émission que j’écoutais tous les jeudis, chantait au théâtre Sébastopol et dansait à l’opéra de Lille. Elle s’appelait Gisèle et c’était une grande vedette malgré son jeune âge. Pour l’épater, j’ai peint mon premier tableau. Je ne m’en suis jamais séparé. Il nous représente, dans le chemin creux d’un paysage des Flandres avec la robe qu’elle portait à ce moment là et moi, en pantalon de golf marchant à ses côtés. J’avais aussi une arme secrète : je jouais très bien du saxo à cette époque. Je pense que c’est cela qui l’a fait fondre. Le mois dernier, je m’en suis racheté un tout neuf… Il m’a coûté le prix d’un tableau.

J’ai fait ma scolarité primaire supérieure au lycée Turgot de Roubaix. Cela menait au BEPC. A la fin de ma scolarité, malgré mon niveau d’orthographe qui n’était pas encore tout à fait assuré, j’ai réussi le concours d’entrée à l’école normale de Douai. C’était assez difficile à cette époque. Je suis donc devenu instituteur et j’ai fait ce travail toute ma vie professionnelle. Vers la fin, j’étais déjà très connu comme peintre. On m’a nommé professeur de dessin mais j’ai tenu à garder mon statut d’instituteur ce qui m’a permis de prendre ma retraite à 55 ans et de me consacrer ensuite entièrement à la peinture.

J’ai toujours été aussi un grand animateur des sociétés du coin. J’écrivais des chansons, je chantais. Ma femme était aussi une animatrice remarquable. Nous avons toujours mené ces activités ensemble. Nous étions un couple actif généreux et heureux. Maintenant, elle est décédée, mais elle est toujours présente, là, derrière moi. Je ne serais rien sans elle.

Parallèlement, j’étais professeur aux Beaux-Arts de Roubaix. J’ai toujours mis beaucoup de passion dans tous mes cours. J’ai toujours essayé de transmettre mon enthousiasme. Je pense que c’est important. Beaucoup d’anciens d’élèves viennent me voir ou m’écrivent. C’est une grande récompense pour moi ! Certains sont connus dans le monde de l’art ou des médias… d’autres pas du tout. C’est sans importance ! Ce qui compte, c’est cette relation où se construit du savoir et de l’émotion. Je disais à mes élèves : « écoutez ce que je vais vous dire : si vous voulez l’entendre, c’est un trésor». J’ai toujours aimé cette phrase de Baudelaire : « Le merveilleux nous entoure et nous abreuve comme l’atmosphère… mais nous ne le voyons pas ».

Comme peintre, j’ai organisé les réunions de Boeschepe. Dans ce petit village de la Flandre il y a tout ce qu’il faut : les gens, les paysages et l’école du village. On s’y réunissait entre artistes. On peignait le matin et l’après-midi on exposait. Le Midi ont déjeunait ensemble avec les familles. C’était un regroupement familial et artistique… la joie de se retrouver de partager des choses très simples et des recettes de peintres.

La peinture a guidé toute ma vie

La peinture, c’est ce qui a guidé toute ma vie. D’ailleurs, est-ce un hasard ? Gisèle était la cousine du peintre Auguste Renoir. Elle est née à Loches sur Ource dans l’Aube tandis que le peintre habitait à 2 km de là à Essoyes. J’ai gardé sa maison familiale dans laquelle je passe mes vacances, chaque été, depuis 70 ans.

On reproche à ma peinture de ressembler à celle de Renoir. Pour moi, c’est plutôt un compliment. Après tout, je suis un peintre du début du siècle qui a seulement vécu très longtemps.

Je travaille à l’ancienne… à l’envie et l’inspiration. Il arrive que mes tableaux soient assez différents les uns des autres. J’ai même vu, lors d’une exposition, des gens déclarer «  ce tableau n’est pas un vrai Abel Leblanc ! ». Les gens pensent qu’il existe un autre Abel Leblanc qui peint des tableaux qui me ressemblent mais qui sont différents.

Abel Leblanc

J’ai du mal à vendre mes toiles ! Je ne peux pas m’en séparer. Ce n’est pas faute de recevoir des sollicitations de tous ordres. Au dernier moment je refuse. Et comme il n’y en a pas beaucoup sur le marché, les prix de mes tableaux montent de plus en plus. De temps en temps, quand même, j’en vends une. Comme je vis très bien comme ça, pourquoi vouloir plus d’argent ? J’aime vivre entouré de mes toiles.

Je n’ai jamais voulu céder à la tentation de produire des images à la mode ni cherché une reconnaissance du monde médiatique. Je fais ce que j’aime et je me dis que, si cela me plaît il est possible que cela plaise également à d’autres. Je peins à ma manière… comme j’aime. Je n’essaye pas de faire autrement « qu’ainsi » (comme on dit à Roubaix). J’ai d’ailleurs du faire preuve de volonté et de persévérance pour continuer à être ce que je suis et refuser les conseils de modernité qui m’ont été donnés avec les meilleures intentions. J’exprime ce que je ressens. C’est une démarche sincère où je veux transmettre ma propre émotion.

Je ne méprise pas l’art contemporain quand il est sincère. Je vais beaucoup voir d’expositions et il y a beaucoup d’artistes très jeunes dont j’apprécie les œuvres mais ce n’est pas systématique.

Des projets ? Bien sûr que j’en ai. J’ai un peu de difficultés avec ma vue qui s’est altérée ces derniers temps. Je produis moins qu’avant mais je m’intéresse toujours autant à la peinture. J’espère pouvoir peindre encore très longtemps mais « ce n’est pas moi qui dirige ! »

J’ai 90 ans. Je me rends compte que c’est très vieux même si je me sens encore très bien. Beaucoup de mes amis sont disparus. Ces dernières années cela s’est accéléré. Ils partent tous… C’est la mode. C’est embêtant pour moi. Je sais qu’un jour tout cela finira… mal.

Et c’est bien comme ça ! »

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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