GERMINAL : à la recherche du cabaret perdu…

GERMINAL : à la recherche du cabaret perdu…

Le cabaret de Basly, à Denain.

A Anzin, Zola découvre la réalité qui va nourrir son roman. La visite des carreaux de fosse, galeries du fond, corons, estaminets, va donner corps à son projet d’écriture. Les personnes, rencontrées au fil de la visite, vont servir de point de départ pour camper les personnages de Germinal. L’estaminet de Rasseneur, à Montsou, doit beaucoup à un cabaret que Zola visite le premier jour.

Zola arrive à Valenciennes le 23 février 1884.

Il ne va commencer son périple dans le pays minier que le 25 février.  Après avoir retiré au siège de la Compagnie d’Anzin son autorisation de visiter les installations et de descendre au fond, l’écrivain visite le Coron des 72, qui se trouve entre les bureaux de la Compagnie et la fosse Saint-Louis. Puis, il se rend à l’estaminet voisin. Cet itinéraire… et ceux qui vont suivre, sont décrits précisément dans « Mes notes sur Anzin », une sorte de bloc-notes du voyage de l’écrivain au Pays de Germinal. Mais, il n’est pas aisé d’effectuer la correspondance entre les lieux décrits dans le carnet et les paysages d’aujourd’hui. Le Coron des 72, on peut le localiser en consultant les vieux plans de la commune d’Anzin. Mais, les cabarets que visite Zola, personne ne sait plus où ils se trouvent ! Enfin, presque ! Du temps où les 72, étaient encore debout, j’ai eu le privilège de les visiter en compagnie d’Henri Marel. 

Le Coron des 72, à Anzin, photographié durant l’hiver 1982-1983 : une longue rangée de maisons mitoyennes. Des bidons recueillent l’eau de pluie pour la lessive ou le jardin, une tradition héritée du XIXe siècle. En face des abris accueillent les « commodités » et permettent d’entreposer les outils de jardinage. Au Fond de l’allée, on aperçoit la rue Pierre Mathieu. Si on tourne à gauche, on arrive tout de suite au « Cabaret de la Cantinière » dont parle Zola dans « Mes Notes sur Anzin »

Il était professeur honoraire des Universités de Valenciennes et spécialiste de Zola. Petit-fils de mineur, Il était né à quelques centaines de mètres de ce coron. Il avait toujours habité au même endroit. Il connaissait Anzin et Bruay-sur-Escaut comme sa poche. Il était capable de dire, au mètre près, de quel endroit précis parlait l’écrivain dans ses « Notes ». Il appelait cela, « la Géographie de Germinal ».

En venant des 72 par une petite allée cendrée qui longeait le coron, on arrivait rue Pierre Mathieu qui, à l’époque de Zola, conduisait à la fosse Saint-Louis. C’est à cet endroit qu’Henri Marel m’a montré une maison qui, selon lui, abritait jadis un estaminet. L’écrivain l’avait visitée. Il y avait rencontré pour la première fois, Emile Basly, le leader syndicaliste du secteur. Cet ancien mineur de fond, tenait lui-même à cette époque un estaminet à Denain. Il avait été, quatre ans auparavant, renvoyé par la Compagnie à cause de son rôle moteur dans une grève. Il était accouru à Anzin, à cause du nouveau mouvement qui venait de se déclencher. Ce cabaret se trouve de toute évidence face au sentier qui mène des 72 à la rue Pierre Mathieu. Voici ce qu’indique l’écrivain-voyageur : « Au cabaret de la Cantinière, en face du terrain vague, avec une palissade, de grands hangars, des cheminées d’usine, de grands terris, la cheminée de la Fosse Saint-Louis. »

L’ancien atelier de maintenance de la Compagnie d’Anzin, vu de la rue Pierre Mathieu, au niveau du « Cabaret de la Cantinière ». Les hangars dont parle Zola dans son texte existent toujours.

Cela correspond tout à fait au lieu tel que l’on pouvait encore le deviner en 1982… même si la fosse Saint-Louis avait disparu depuis longtemps. J’étais un peu déçu par cette modeste bâtisse avec sa maçonnerie des années 1930 ou 1940, ses fenêtres en alu dans le style des années 1960-1970. Cela ne correspondait pas à l’image idéalisée que je m’étais faite de l’estaminet de Germinal .Mais, l’Universitaire m’a fait remarquer, qu’avant, la porte et les fenêtres étaient en bois, dans, un style très différent. Evidemment, lorsqu’on est né en 1917, les souvenirs d’enfance remontent à loin.

Il y a quelques jours, j’ai investi dans un reportage que personne ne m’a réclamé et qui concerne cette petite portion de la rue Pierre Mathieu. Les lieux ont bien changé depuis le début des années 1980. Pour s’y garer, c’est toute une galère. Le terrain vague face au Cabaret de la Cantinière, où, probablement, Zola avait garé sa calèche, a été remplacé par une Maison de Retraite bardée d’interdictions de stationner. Sur l’autre trottoir,  les  anciens corons de la fosse Saint-Louis sont toujours là. L’un d’entre eux, un peu plus large que les autres, se singularise. Une porte centrale ouvre sur une grande pièce qui occupe la totalité du rez-de-chaussée. Elle est éclairée par les deux fenêtres, situées de chaque côté. 

Le « Cabaret de la Cantinière » existe toujours. La façade a changé de style et il s’agit désormais d’une maison particulière.

Selon une voisine qui vit là depuis très longtemps, l’endroit a été occupé par un café jusque dans les années 1970. On y servait de la nourriture et des boissons pour les ouvriers des chantiers des Mines, les habitants de la rue Pierre Mathieu ou encore, ceux du coron des 72. Quand l’activité minière a périclité, le café s’est étiolé et a fermé ses portes. La voisine se rappelle très bien des bancs, des tables de bois et du comptoir du café. Les actuels habitants du lieu, eux aussi, ont connu ce comptoir lorsqu’ils ont emménagé mais ils ont dû s’en débarrasser. Il existe encore, au mur, des éléments de menuiserie, hors-d ‘âge, qui servaient à accrocher les bancs.

Il est très possible que ce soit ceux-là même que Zola a connus en 1884. Dans « Mes Notes » voici comment il décrit « Le Cabaret de la Cantinière » : « Le cabaret est propre, lavé, semé de sable blanc. Un comptoir de bois, deux tables au milieu. On boit la bière dans les choppes (deux sous) et dans des petites choppes (?), une bière claire et aigrelette que l’on tire des robinets. Peu de verres en vue, peu de liqueurs. Du genièvre. Le cabaretier est un gros homme à figure claire, au rire clair. La femme aux hanches lourdes et aux traits gras. Charbon de terre bruissant dans un petit poêle. Un mineur buvait silencieusement une choppe. » 

Un estaminet typique de ce secteur des mines. Il a conservé beaucoup d’éléments de ceux du XIXe siècle : le tour en boiseries teintées sur lequel s’accrochent des bancs de bois, typiques de ce style d’établissement. Il s’agit du Cabaret de la Bleuze-Borne, la fosse voisine, en 1983

On a ici l’ébauche du Cabaret de Montsou

un des décors récurrents de Germinal. Dès ce premier jour de découverte de l’univers minier, Zola a parfaitement saisi le rôle de ces estaminets : « Les mineurs ne sont au cabaret que pour s’y rencontrer. Ils s’attendent, courent, vont de cabaret en cabaret pour se retrouver, parfois. Le tout très simple et très propre, sans mauvaise odeur. » Zola va, en cette journée du 25 février 1884, imiter ces mineurs et faire la tournée des cabarets d’Anzin. Le prochain sera celui de la fosse proche : « Autre cabaret près de la fosse Saint-Louis. La femme, grande, sèche, noire, ardente en politique et polie. Entrée de chefs porions ou de mouchards qui font taire. » Pour camper le cabaret du roman, l’écrivain va sans doute s’inspirer de tous ces lieux visités à Anzin et peut-être d’un autre établissement qu’il visitera quelques jours plus tard à Denain. Mais, ce premier contact avec ce qu’il appelle « le Cabaret de la Cantinière », a sans doute été déterminant pour la suite du roman,Germinal.

Le texte intégral, extrait de Mes Notes sur Anzin, à propos de cette visite des Cabarets par Zola

« Au cabaret de la Cantinière, en face du terrain vague, avec une palissade, de grands hangars, des cheminées d’usine, de grands terris, la cheminée de la Fosse Saint-Louis. 

Le cabaret est propre, lavé, semé de sable blanc. Un comptoir de bois, deux tables au milieu. On boit la bière dans les choppes (deux sous) et dans des petites choppes (?), une bière claire et aigrelette que l’on tire des robinets. Peu de verres en vue, peu de liqueurs. Du genièvre. Le cabaretier est un gros homme à figure claire, au rire clair. La femme aux hanches lourdes et aux traits gras. Charbon de terre bruissant dans un petit poêle. Un mineur buvait silencieusement une choppe. Les mineurs ne sont au cabaret que pour s’y rencontrer. Ils s’attendent, courent, vont de cabaret en cabaret pour se retrouver, parfois. Le tout très simple et très propre sans mauvaise odeur. 

Autre cabaret près de la fosse Saint-Louis. La femme, grande, sèche, noir, ardente en politique et polie. Entrée de chefs porions ou de mouchards qui font taire.

Autre cabaret, beaucoup plus grand, sur la route de Condé. A droite, salle de bal. Le milieu en planches. Le plafond de trois mètres, au plus, qui semble écraser la salle. Petite tribune pour les musiciens dont la tête doit toucher au plafond. Deux guirlandes de papier de couleur vont d’un angle à l’autre. Au milieu du mur, des écussons tricolores et tous les noms des Saints : Sainte-Barbe (mineurs), Saint-Eloi (forgerons) etc. »

Anzin, le 25 février 1884

Pour aller plus loin…

Emile, Henri, Claude… et les autres : GERMINAL, 1982-1983, II/III

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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