Gloire et malheurs du Palais Rihour, ancienne résidence des Comtes des Flandres

Patrimoine lillois

Le Palais Rihour qui fut, en son temps, la plus grande demeure seigneuriale du nord de l’Europe est aujourd’hui réduit à sa plus simple expression. Il n’en reste qu’un fragment, dont les différents épisodes tragiques qu’il a connus au cours des siècles n’ont pas pu venir à bout.

Malgré un terrain hostile, les Ducs de bourgogne érigèrent cet immense palais. Il fut longtemps l’un des bâtiments les plus remarquables en Europe

La construction d’un palais, dans un tel endroit, boueux, retiré et inaccessible, était très improbable. L’initiateur du projet, Philippe III de Bourgogne (dit le Bon), était né loin d’ici, à Dijon, en 1396. Si on le retrouve à Lille, deux décennies plus tard, c’est qu’il est aussi le souverain des Pays-Bas bourguignons dont le comté de Flandre est l’un de ses joyaux les plus précieux. Lille est, avec la ville de Douai, l’une des capitales  dites « romanes » de la Flandre. Cela signifie qu’on y parle le français – en réalité une langue proche du picard qui existe toujours dans le Tournaisis – alors que dans les autres capitales du Comté on parlait le flamand. Le Duc – qui a aussi le titre de Comte de Flandre – n’a cure de ces querelles linguistiques et pratique avec bonheur l’une et l’autre langue. Il apprécie beaucoup la ville de Lille, un lieu calme et opulent. Il se méfie beaucoup plus des villes d’Anvers, de Gand et de Bruges dont les bourgeois indisciplinés ont tendance à se révolter à tel point qu’il faut leur envoyer régulièrement la troupe pour mater leur volonté d’émancipation.

« Charité bien ordonnée, commence toujours par soi-même. » Le Duc s’est fait représenter en Saint sur les vitraux de sa chapelle. Les vitraux de cette chapelle du Palais Rihour sont les seuls vitraux des églises lilloises qui ont échappé à l’hécatombe de 1792. Aujourd’hui, on peut encore les admirer en s’inscrivant aux visites guidées de l’Office de Tourisme de Lille.

Philippe le Bon ne rate aucun grand événement festif lillois. Il participe personnellement aux joutes de l’Épinette, sur le Grand-Marché[1]où, son habileté et sa force physique font merveille.  Au début des années 1450, Philippe se décide à ériger un nouveau palais dans sa bonne Capitale romane de Lille. Il acquiert un misérable îlot marécageux, enserré entre deux bras de la Deûle, qui avait appartenu, autrefois,  à Bérard de Rihour. Le lieu avait gardé son nom. Philippe le Bon ne verra jamais la fin du chantier. Les travaux vont durer vingt ans et ne seront achevés que sous le règne de son fils, Charles le Téméraire. Construit sur pilotis, vu la nature du terrain, ses murs sont de briques et de pierres de Lezennes. Le bâtiment forme un quadrilatère composé de quatre ailes (Duc, Dames, Gouvernance, Galerie) avec au centre la cour d’honneur.  Sous Charles Quint le Palais Rihour est le siège du pouvoir. Plus tard, en 1664, Philippe IV d’Espagne, qui occupe la Flandre, revend la plus grande partie du bâtiment à la Ville. Le palais deviendra le nouveau siège de l’échevinage et du Magistrat (l’ancêtre de notre conseil municipal). Il gardera jusqu’à la première Guerre mondiale cette fonction de lieu de décision concernant les affaires courantes de la Ville. Comme le bâtiment était très vaste, il abritait également  la bibliothèque et plusieurs musées dont ceux de l’industrie et des beaux-arts.

En juin 1857 on démolit en grande partie de l’hôtel de ville et même le beffroi. On doit la gravure aux frères Boldoduc. Il est bien possible qu’ils aient travaillé à partir d’une photographie qui a depuis disparu.

L’histoire du Palais Rihour coïncide avec une longue liste de malheurs. En 1451, un premier incendie se déclare à la suite de l’explosion de la poudrière située dans l’une de ses tours. En 1700, lors d’une représentation de Médée, une tragédie lyrique de Marc-Antoine Charpentier, un feu d’artifice mal réglé enflamme la plus grande partie du bâtiment. En 1756 c’est l’aile ouest de l’édifice qui est ravagée par le feu. En 1857 on détruit la plus grande partie du bâtiment – dont le beffroi de l’hôtel de ville – pour reconstruire un nouveau bâtiment, très controversé par une majorité de lillois qui lui reprochaient sa laideur. Las, en 1871, l’aile gauche du bâtiment s’effondre. En 1881, les cheminées de l’aile droite s’écroulent. En 1916, en pleine occupation par l’armée allemande, un incendie mystérieux vient à bout de la quasi-totalité du bâtiment. Beaucoup des lillois d’alors l’appelaient même « le Palais maudit ». Cependant, ce n’est pas la cause de la reconstruction de l’hôtel de ville dans un autre lieu. La guerre achevée, les projets de la municipalité d’alors étaient trop ambitieux pour pouvoir s’inscrire dans le périmètre de la place Rihour, désormais trop petit pour accueillir une mairie moderne.

Sur cette place, lieu d’où partent les navettes qui font découvrir la ville aux visiteurs venus d’ailleurs, il y a une station de métro. De la Belle Époque de Philippe le Bon, il ne reste plus que l’ancienne Chapelle du palais, datant du XVe siècle, qui est devenue l’Office de tourisme… et l’une des tours d’angle. Collé à la chapelle, se trouve le monument aux morts de la ville. Ainsi la place est-elle devenue le lieu de toutes les cérémonies commémoratives, associées aux deux guerres qui ont été des moments tragiques pour la population lilloise.

Cérémonie commémorative sur la place Rhiour, devant le monument aux morts, 1932

[1] À cette époque, ce qu’on appelle aujourd’hui la Grand- Place et qui servait à tous les usages (Bourse, Marché, Tournois) étaient un lieu bien plus vaste que celui de notre époque. La place allait jusqu’à l’actuel Opéra.

Supplément littéraire

Portrait de Philippe le Bon : « De stature, il estoit moyennement haut homme… fort d’échine et de bras. Avoit une identité de son dedans à son dehors… Avoit des vices en luy, comme celui de la chair. Estoit durement lubrique et fraisle en cet endroit. »  (Il ne reconnut pas moins de 17 bâtards, rien qu’à Lille), Georges Chastelain, Œuvres

À propos du beffroi (construit en 1826) et qui abritait un guetteur chargé d’annoncer les incendies mais où on ne put jamais installer les cloches prévues : «Par eun feurniète on volot mette eun cloq  pendu dins ch’fameux nid d’gavus, ch’est alors qu’on s’a aperçu qu’cheul cloq avot un trop gros cu. », Debuire du Buc

A propos de la reconstruction du nouveau bâtiment : « Les plus vilains balots d’fabrique sont aussi biaux que ch’ monumint », Alexandre Desrousseaux, 1850

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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