Le fort Macdonald de Mons-en-Barœul (59370), un élément du dispositif du Camp retranché de Lille, I/IV

Le fort Macdonald de Mons-en-Barœul (59370), un élément du dispositif du Camp retranché de Lille, I/IV

Construit entre 1878 et 1880, le fort de Mons-en-Barœul, aussi appelé « Macdonald », était sur l’aile Est, un fort avancé du dispositif de défense de la région de Lille. Ce Camp retranché était destiné à empêcher la manœuvre des armées ennemies et à prévenir le territoire français des invasions de la Prusse et de ses alliés.

En 1870, l’invasion de la France par la Prusse et ses alliés est une véritable catastrophe pour Napoléon III.

L’État français est totalement impréparé à cet événement… pourtant hautement prévisible. En sous-effectif par rapport à son homologue germanique, dotée de matériels militaires obsolètes, de conceptions tactiques datant de Napoléon Ier et d’une chaîne de commandement inefficace à tous les échelons de la hiérarchie civile et militaire, la France et son armée subissent un véritable écroulement. Le traité de paix de Versailles de 1871, va se solder par la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine et le paiement d’une indemnité de guerre pharaonique de cinq milliards de francs-or. Ce déséquilibre militaire est d’autant plus difficile à combler qu’une partie significative de cette génération en âge de servir l’armée a été décimée dans cette guerre sauvage. Cette situation précaire met la France du début de la décennie 1870 à la merci d’un nouveau raid prédateur de ses voisins d’outre-Rhin. Elle réfléchit au moyen de s’en prémunir.

Séré de Rivières

Parmi les officiers qui prennent en main la réflexion sur la stratégie de la défense du territoire, l’un d’entre eux, le général Raymond Adolphe Séré de Rivières, l’officier le plus brillant du corps du Génie, va particulièrement s’illustrer. En 1873, il est le secrétaire du Comité de défense des frontières et l’auteur d’un rapport circonstancié sur les moyens de défendre la Nation. En 1874, le voilà nommé directeur du Service du Génie, en capacité de mettre ses idées en pratique. Entre 1875 et 1885, Séré de Rivières va être à l’origine de plus de 500 ouvrages, dont 196 forts, à proximité des villes et/ou des frontières. Les fondements de sa stratégie consistent à établir, sur les routes d’invasion, des systèmes fortifiés empêchant l’armée ennemie de manœuvrer correctement.

En ce qui concerne les places fortes traditionnelles, comme celle de Lille, elles doivent pouvoir être aussi des centres logistiques sur lesquels peuvent s’appuyer nos armées, en campagne. Chaque fort – ou batterie- est étudié suivant, les principes les plus modernes du génie militaire, intégrant les progrès considérables faits récemment dans le domaine de l’artillerie, à partir des années 1850. Les plans-types, sont reproduits pour ériger de solides constructions, disséminées dans l’Hexagone, en pierres ou en briques, selon la région. En ce qui concerne les grandes villes, à l’instar de Lille, l’idée du dispositif est celle d’une place forte renforcée – constituant le noyau central – entourée d’un certain nombre de forts situés à une distance telle, les uns des autres, qu’ils peuvent se défendre mutuellement.

Le projet de Camp retranché, à Lille, par les services du Génie, 1872

À Lille, dès l’année 1872, on réfléchit à un dispositif comportant sept forts de ceinture

dont celui de Mons-en-Barœul. Finalement, à la fin de la décennie, on construira huit ouvrages (six forts et deux batteries). Dans les années entre 1885 et 1892, on va rajouter des ouvrages intermédiaires – en béton pour les derniers construits, afin de répondre aux progrès de l’artillerie enregistrée autour de 1885 –. Ils sont de dimension plus modeste et destinés à réduire l’intervalle existant entre deux forts. La ceinture défensive lilloise, dénommée « Camp retranché de Lille » va être composée de vingt et un ouvrages. Le fort Macdonald est l’un d’entre eux. Il appartient à la ceinture-Est du Camp retranché. Ce nom lui sera donné, bien après sa construction, en 1886, à l’initiative du général Georges Boulanger, alors ministre de la guerre.

En haut de l’entrée est toujours gravé : « Fort Macdonald« . Cette appellation « d’époque » revient à la mode car c’est la plus courte.

Ce dernier se lance dans une vaste opération que l’on appelle de nos jours, en bon français « up to date », « naming », qui consiste à donner un nom nouveau aux anciens bâtiments. Comme cette appellation est plus courte que le nom composé (Fort de Mons-en-Barœul), c’est généralement celle qui est la plus employée aujourd’hui. Le choix de ce nom de Macdonald est assez paradoxal dans le contexte du milieu des années 1880. Le militaire le plus connu portant ce patronyme était Étienne-Jacques Macdonald, officier d’origine écossaise de l’armée de Napoléon Ier, qui finira sa carrière comme Maréchal de France. Or, l’opération du général Boulanger a surtout pour but de débaptiser les édifices militaires portant des noms de batailles et de soldats napoléoniens, dont Napoléon lui-même, ce qui n’est pas du goût de tout le monde[1] .

Le fort de Sainghin-en Mélentois, l’un des voisins de celui de Mons

Ce fort de Mons-en-Barœul,

considéré avec celui de Bondues comme le lieu d’attaque le plus probable d’un éventuel assaut ennemi fait partie du dispositif de défense de l’aile-Est du Camp retranché de Lille. On y trouve successivement en partant du Sud vers le Nord, les forts de Seclin, Sainghin-en-Mélantois, la batterie du Camps-français (Lezennes), puis les forts de Mons-en-Barœul et de Bondues. Ces fortifications occupent les positions dominantes de la crête qui va de la Marque à la Deûle. Le fort de Seclin permet de prendre en enfilade ces vallées et d’en maîtriser les passages… de même que pour la route Lille-Arras et la ligne de chemin-de-fer Paris-Douai. Celui de Sainghin-en-Mélantois, outre la protection de la batterie du Camps-français, contrôle la ligne de chemin de fer Valenciennes-Orchies-Roubaix et les routes en direction de la Belgique, via Bouvines, Cysoing et Baisieux ainsi que celle de Lille -Tournai. La batterie du Camps français protège, en retour, les fortifications de Sainghin-en-Mélantois et Mons-en-Barœul.  Elle domine aussi la vallée de la Marque…les villages d’Ascq et d’Annappes et permet de bombarder la route départementale Roubaix- Saint-Amand et la ligne de chemin-de-fer de Lille-Tournai. Le fort de Mons-en-Barœul protège la batterie du Camps français et le fort de Bondues. Il prend en enfilade la vallée de la Marque entre Hempempont et Croix, les lignes de chemin-de-fer Lille- Roubaix, Lille-Lannoy et Tourcoing-Orchies. Enfin le fort de Bondues, situé sur la rive droite de la Marque, empêche le franchissement la rivière. Il contrôle également les routes Lille-Ostende, Lille-Ypres (par Wierwicq) et Tourcoing–Courtrai, de même que les lignes de chemin-de-fer Roubaix, Tourcoing- Belgique et Armentières-Roubaix.

L’énumération de tous ces lieux, villages, rivières, routes et voies de chemin-de-fer peut paraître fastidieuse. Elle renvoie à une carte géographique de l’Est de la métropole lilloise, extrêmement précise et dont l’échelle est fixée par la portée des canons en usage dans l’armée française dans les années 1880. Les concepteurs de ce Camp retranché de Lille, ont étudié avec soin le terrain en répertoriant les différentes possibilités de déplacement d’une troupe en mouvement, les différents endroits où elle pourrait se déployer en ordre de bataille ou installer son artillerie. Les possibilités tactiques de l’armée d’invasion ont été étudiées avec soin afin d’installer les forts et l’orientation de leurs « pas de tir », de la manière qui soit la plus rationnelle et la plus efficace possible. Avec un tel dispositif, un ennemi en rase campagne deviendrait vulnérable, laissant de belles possibilités à l’armée française de l’attaquer avec succès.

En 1885, deux inventions françaises vont battre en brèche cette conception

de la défense du territoire au moyen de la muraille. L’ingénieur militaire, Paul Vieille, met au point une poudre propulsive « sans fumée », à base de nitrate de cellulose, quatre à cinq fois plus puissante que l’ancienne poudre noire. Surtout, par rapport à ses prédécesseurs, il arrive à la rendre relativement stable. À quelques kilomètres de là, un inventeur du secteur privé, Eugène Turpin, met au point un explosif brisant très puissant dérivé des propriétés de l’acide picrique qu’il va appeler la « mélinite ». La conjugaison de ces deux inventions, permet de mettre au point des obus de faible calibre mais très puissants, « les obus-torpille », capables de traverser les remblais de terre qui protègent les fortifications du type « Séré de Rivières » et de venir exploser à ras de la muraille entraînant leur destruction. Dans cette nouvelle donne, le dispositif français était-il encore efficace ? En tout cas, l’Allemagne l’a cru et, jusqu’à l’année 1914, elle évitera de venir envahir à nouveau le territoire français.

Le mortier Krupp de 420mm

Le 3 août 1914, l’Allemagne qui a mobilisé 3 millions d’hommes déclare la guerre

à la France. Le 4 août, les gros mortiers Krupp de 420 mm pilonnent déjà la ville de Liège, étape pour l’invasion du nord de la France. La défense du Camp retranché de Lille est une suite d’ordres et de contrordres. Les autorités civiles, affolées par les exactions commises par l’armée allemande contre les civils belges ou français (Orchies), militent pour que Lille (et ses forts de ceinture) soit déclarée « ville ouverte », c’est-à-dire qu’elle ne soit pas défendue. Elle obtient gain de cause. Les garnisons et les principaux moyens d’artillerie sont envoyés vers d’autres lieux du front.

Mais, le 22 août, 1000 canonniers, trois batteries de 75, un escadron de cuirassiers et 9000 soldats de l’infanterie font le voyage de Douai vers Lille pour défendre la ville. Les ordres du général d’Amade qui les commandent sont très clairs : « Vous devez résister dans les forts, résister sur le corps de la place, faire la guerre des rues et tenir jusqu’à la dernière extrémité. » Dans l’après-midi, les cavaliers du sixième régiment de chasseurs commandés par le général Herment croisent le fer avec un détachement de dragons allemands. Au fort de Sainghin-en-Mélantois les canons de 120 mm ouvrent le feu sur les éléments avancés de l’armée germanique… qui se replient. Mais ce même jour le maire de Lille, Charles Delesalle, et son conseil municipal sont venus plaider leur cause, à Paris, auprès du président du conseil, René Viviani. Herment reçoit un nouveau contre-ordre du général d’Amade : « Considérez Lille comme ville ouverte, retirez les troupes des forts des remparts ». Le camp retranché et ses forts de ceinture étaient abandonnés à leur sort !

Le franchissement par les troupes allemandes de la porte de Douai, à Lille, en octobre 1914, image de propagande.

Bien entendu, sans force d’appui au sol, la défense de la ville et de ses forts par le seul moyen de la muraille était impossible. Cependant, le dispositif représentait un centre logistique donnant un avantage certain à l’armée qui en était maître. D’ailleurs, ce principe était écrit, noir sur blanc, dans le « Règlement français sur la conduite des grandes unités », article 143 : « Les forteresses n’acquièrent toute leur valeur que lorsqu’elles sont en liaison avec les armées d’opérations ».

Joffre, qui n’avait pas pris la peine de faire abroger cet article, n’en a tenu aucun compte pendant toute la durée de son commandement des armées françaises. En revanche, l’armée allemande et singulièrement la VIe armée bavaroise – qui va occuper Lille pendant quatre ans – va tirer le bon enseignement de ce principe. La possession de Lille, de ses casernes, de ses lieux de stockage, de ses hôtels, de ses bâtiments administratifs, va permettre à Rupprecht de Bavière, commandant, pour la Prusse et ses alliés, le front du Douaisis, de l’Artois et de l’Armentiérois de mener une guerre efficace contre la France et l’Angleterre. Ce principe de la liaison nécessaire entre les places fortes et les unités mobiles ne datait pas d’hier. Il avait été inventé par Vauban qui l’avait vivement conseillé à Louis XIV… malheureusement sans résultat. Peut-être le monarque s’en est-il mordu les doigts, en 1708, lorsque la ville de Lille et sa citadelle ont été reprises par les troupes de la coalition ennemie.


[1] « Bref, je veux plaire à la Lanterne,

Et pour monter au Panthéon

Je débaptisai la caserne

Qu’on appelait Napoléon !

Napoléon ! Ce nom m’embête,

Et soit dit sans me louanger,

Roulez, tambour ; sonnez trompettes !

J’écris mon nom de Boulanger ».

Le Gaulois, 1886

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

Publications: 379

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