Maurice Dagbert, l’homme qui calculait plus vite que son ombre

Maurice Dagbert, l’homme qui calculait plus vite que son ombre

Maurice Dagbert, a vécu la plus grande partie de son existence dans une grande « Bourgeoise » de la rue du général de Gaulle, à Mons-en-Baroeul. Mais la plupart du temps, il n’était pas là. Sa vie se déroulait dans les trains, dans les avions et dans les salles de spectacle qui accueillaient son numéro de calculateur prodigieux.

Nul ne sait plus

désormais, comment et pourquoi Maurice Dagbert a atterri dans la banlieue lilloise. Il naît à Calais, le 6 juin 1913, dans le quartier populaire de Saint-Pierre. Son père est « Tulliste ». A l’école primaire ses rapports avec son instituteur ne sont pas excellents. Le jeune Maurice met une fraction de seconde à résoudre les problèmes que l’enseignant avait mis plusieurs heures à imaginer. « C’est un tricheur ! C’est sûr ! », d’autant plus que l’élève ne daigne jamais fournir au maître le raisonnement qui l’a amené à ce résultat !  S’il l’avait fait, cela n’aurait rien arrangé !  Bien plus tard, lorsqu’il était déjà devenu une grande vedette internationale, Il confia à un journaliste : « Une suite de chiffres, c’est pour moi comme une mélodie. » Peut-être qu’aujourd’hui on parlerait de cas d’Asperger pour qualifier les performances du jeune garçon ?

Mais, en 1923, Hans Asperger, qui a donné son nom au syndrome, avait 17 ans ! Il n’avait pas encore commencé ses études de médecine. Ce n’est qu’en 1943, il va rencontrer le premier cas qui lui assurera une renommée mondiale. En l’absence de pollution par les produits chimiques et les ondes électromagnétiques, l’autisme est quelque chose de rarissime à l’époque. D’ailleurs cette hypothèse médicale n’a rien de certain. Maurice Dagbert a su mener une vie familiale équilibrée et entretenir des relations très cordiales avec ses proches voisins de la rue du général de Gaulle. Il fournissait une explication très différente pour justifier son don extraordinaire : « Chaque enfant de 10 ans, à l’esprit ouvert, bien entraîné, pourrait obtenir les mêmes résultats », affirmait-il. Maurice Dagbert imaginait le Monde à son image, mais il était unique en son genre. Il était et restera un grand mystère. 

Dès l’âge de 11 ans

le jeune Maurice quitte l’école où il s’ennuyait à mourir. Bientôt, le voici comptable dans une Sucrerie de la région. Aligner les chiffres de l’Entreprise est une tâche ridiculement facile. Maurice Dagbert s’ennuie à nouveau.  Il apprend le solfège et le violon. Il devient le meilleur violoniste de l’Orchestre des Arts de Calais, mais il est encore loin du niveau d’une carrière internationale. A cette époque, des années 1920, le Grand Théâtre de Calais, à l’image de ceux des autres villes est un lieu où se déroulent les représentations théâtrales, les Opéras comme les spectacles de variété. C’est une salle à l’italienne surtout adaptée aux représentations musicales, mais quand le spectacle est différent, on n’hésite pas à faire appel aux compétences locales.

C’est ainsi qu’un beau jour de 1930, Maurice Dagbert, depuis la fosse du Grand Théâtre, eût-il le privilège d’assister à la représentation du fameux calculateur italien, Inaudi, qu’accompagnait l’Orchestre des Arts de Calais. Le mathématicien avait mis au point un spectacle basé sur le calcul mental qui rencontrait un grand succès. Le jeune homme est très étonné que le public puisse applaudir des performances qui, pour lui, sont de la routine. Le violon sous la main, il se précipite dans la loge de l’artiste pour lui exprimer son intérêt pour le spectacle qui vient de se dérouler mais aussi pour le Calcul mental. Inaudi, alors âgé de 63 ans, est touché de rencontrer un jeune confrère débutant. Il le teste en lui posant quelques épineuses énigmes. Plus tard, devenu une célébrité, Maurice Dagbert raconta l’une d’entre-elles à La Presse :

 «En supposant que les heures ne contiennent que 37 minutes 1/2 et que chaque minutes comprenne 96 secondes, combien y a-t-il de secondes dans 24 ans, compte tenu des années bissextiles ? ».
 Et Dagbert de répondre tout de go, comme nous l’aurions fait vous et moi :
«Il y en aurait 757.382.400».

Ce fut le point de départ d’une nouvelle carrière.

Maurice Dagbert fut pendant quelques temps l’assistant du vieil homme et apprit les rudiments du spectacle. Au milieu des années 1930, il produisait son propre Show, en France et à l’étranger avec un succès très honorable. Au début, fier d’avoir plusieurs cordes à son arc, il accompagnait ses calculs de morceaux musicaux exécutés au violon. Mais la douceur de la musique et la rigueur des chiffres ne faisaient pas bon ménage. Cela ne faisait pas sérieux ! Maurice Dagbert rangea alors son violon pendant le temps de ses spectacles. 

Pendant la seconde Guerre mondiale

il est mobilisé, fait prisonnier et déporté en Allemagne.  Il profite de ces années de captivité pour s’entraîner d’arrache-pied et pour imaginer de nouveaux Numéros. À la Libération, il est prêt à entamer une nouvelle carrière. Il devient vite la coqueluche des salles de spectacle et acquiert une notoriété universelle.

La presse de l’époque ne tarit pas d’éloges pour commenter les prestations de Maurice Dagbert : « Énigme du siècle, phénomène du calcul mental… » ; « Doué d’une mémoire prodigieuse, il l’est aussi d’une intelligence et d’une puissance de raisonnement qui confondent l’imagination » ; « Ce n’est plus un mathématicien, c’est un jongleur… » ; « Il vous dit en clignant de l’œil combien de secondes vous avez vécu. »Le petit homme tranquille de la rue du général de Gaulle, se transformait, le temps d’un spectacle, en grande vedette internationale capable d’attirer les foules. Il était devenu le calculateur-prodige le plus célèbre du monde. Robert Diligent (frère de l’ancien maire de Roubaix et créateur de Télé-Lille, puis de la radio RTL) raconte : « À ses grands talents de calculateur s’ajoute une prodigieuse mémoire. On comprend l’enthousiasme provoqué en France, en Belgique, en Suisse ou en Italie. Au théâtre lyrique de Milan, 3 000 spectateurs le rappelèrent sept fois sur scène. Aussi bien que Caruso ! », lui avait confié le directeur du théâtre. (Nord-France,1952).

Dans son quartier

les habitants de la rue, qui lisaient les journaux, n’ignoraient pas les dons de ce voisin extraordinaire. D’autant plus que Maurice Dagbert avait accepté à deux reprises de présenter un bout de son spectacle, à leur intention, dans une salle paroissiale proche. C’était tout à fait une autre ambiance que celle de la Scala de Milan ! Mais ce qu’ils retenaient surtout de lui, c’était le voisin affable, toujours prêt à échanger sur les sujets du quotidien. Maurice Dagbert, était un jardinier redoutable. Il faisait pousser les plus belles salades et les plus beaux poireaux de la rue. Parfois, il s’absentait quelques jours pour retourner dans son Calaisis, où il pratiquait la pêche en mer ! Ses prises, ramenées comme des trophées, impressionnaient, rue du général de Gaulle, encore plus que ses capacités en mathématiques. A la fin de sa vie il a rejoint la région d’Hesdin, pas très loin de la mer du Nord qu’il aimait tant. Le jardinier, pêcheur, musicien, saltimbanque, mathématicien hors-pair, a laissé un souvenir ému à tous ceux qui l’ont cotoyé…

Post-scriptum

A la suite de cet article, un lecteur du Blog et de l’édition de Villeneuve d’Ascq du journal Voix du Nord, Philippe Truffaut, me fait parvenir un additif – que j’avais oublié – à l’article d’origine qui a été publié le 28/2/2014. Des lecteurs, qui avaient bien connu Maurice Dagbert avaient écrit au journal pour raconter leurs souvenirs à propos de l’Artiste- Mathématicien. Voici l’une de ces anecdotes : Maurice Dagbert, même si financièrement ce n’était guère intéressant, organisait presque chaque année un spectacle pour ses voisins. Il avait lieu à la salle Montjoie, située près de l’église. Elle servait à la fois de patronage, de théâtre, de salle de gymnastique et de lieu de spectacle. Un lecteur raconte qu’un jour de Communion, à l’issue de la cérémonie, on a vu se garer sur la place de l’église un convoi de grosses limousines. En sont descendus des artistes parisiens bien connus. L’une d’entre elles était celle de Jean Nohain et de Maurice Dagbert. Alors tout ce beau monde s’est mis a féliciter les mamans et leurs jeunes enfants et parlé aux bébés qui se trouvaient-là et qui leur ont répondu par des risettes.

Ces bébés d’alors sont désormais des personnes d’un certain âge dont certaines habitent toujours la commune.

Lu dans la Presse :

L’Aurore, 8 juin 1945

« Maurice Dagbert, prisonnier libéré, vient de donner deux démonstrations au Palais de la Découverte. Sans effort, ce phénomène extrait en deux minutes la race septième de 386454816911995757497. Et au même moment, il extrait trois autres racines cinquièmes, deux racines cubiques et élève deux nombres de trois chiffres au cube.

Maurice Dagbert peut en une seconde, vous dire si le 28 février 1900 était un mardi et la Pentecôte de 1924 un 8 juin en précisant que le 12 mars 1902 était un jour de pleine lune.

Il faut voir ce prodigieux calculateur – qui n’a d’ailleurs que son certificat d’études – à l’oeuvre »

Paris-Presse, L’Intransigeant, 18 février 1964

Les auditeurs de Radio-Luxembourg ont suivi avec passion au cours de l’émission « Dix millions d’Auditeurs » les péripéties du match qui opposait le Calculateur prodige Maurice Dagbert  à un ordinateur électronique et qui s’est terminé sur un score nul.

Maurice Dagbert a réussi une performance en devançant le « Gamma 60 » pour fournir des factorielles du nombre 24. L’ordinateur électronique « Gamma 60 », des établissements Bull , est composé d’une unité centrale dont la capacité de  mémoir e peut atteindre près de deux cent mille chiffres traités  à raison de six chiffres tous les dix millionièmes de seconde.

A l’issue de ce match Monsieur Dagbert a formulé  trois souhaits : présenter  son numéro au Général de Gaulle, aux Etats Unis et gagner assez d’argent pour s’acheter enfin une machine à calculer électronique . 

Le Monde, 25 avril 1945

Un émule de Jacques Inaudi

M. Joseph Pérès, l’éminent professeur de mécanique des fluides à la Sorbonne, a présenté à l’Académie des sciences un nouveau virtuose du calcul mental. Il se nomme Maurice Dagbert, est né en 1913, à Calais, n’a fait aucune étude secondaire et exerçait la profession de violoniste avant la guerre. C’est pendant les quatre années de captivité passées dans un stalag qu’il a entraîné sa prodigieuse mémoire innée des chiffres et mis au point une méthode de calcul mental.

Pendant près d’une heure, les académiciens l’ont soumis à une série d’exercices comprenant des multiplications, des élévations au carré, au cube et jusqu’à la sixième puissance, des extractions de racines cubiques, de racines cinquièmes, etc. Maurice Dagbert a résolu mentalement toutes ces opérations dans un temps très court – deux minutes et demie pour la plus communiquée – et avec exactitude. Quand, une fois, il lui est arrivé d’annoncer un chiffre faux, il a repris son calcul comme on fait une preuve, toujours mentalement bien entendu, et a trouvé son erreur en quelques secondes. Cela semble indiquer que sa méthode, au lieu d’être totalement automatique, met sa mémoire visuelle des chiffres au service de son intelligence. En somme, il fait ses opérations normalement, mais en utilisant un tableau noir immatériel sur lequel sa mémoire assure la persistance de l’image des chiffres.

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

Publications: 379

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