Vie et mort de la ferme « Louis XIV », rue de Lannoy, 59000

Vie et mort de la ferme « Louis XIV », rue de Lannoy, 59000

 La ferme « Louis XIV », aurait sans doute mérité plus de sollicitude. C’était un bâtiment remarquable, quasi unique, témoin de l’architecture des fermes flamandes du XVIIe siècle. Le hasard avait conduit les pas du Roi-soleil sur son chemin. Il va y demeurer pendant presque toute la durée du siège de Lille. Il y rédigera et signera l’acte de reddition de la ville le 28 août 1667.

Le sieur Dumoulin fit construire sa ferme à l’angle des rues de Lannoy et des Montagnards en 1661. Délaissant le torchis des « hostfèdes » des siècles précédents qui s’enflamme si facilement, c’est, en ce milieu du XVIIe siècle, avec ses murs de pierre et de brique, un bâtiment à la pointe de la modernité. Par ses dimensions aussi, cette bâtisse se classe dans l’élite des fermes de la Flandre de la Châtellenie de Lille et Douai. Elle va avoir un destin singulier. En août 1667, Louis XIV et son Etat-major l’investissent pour mener le siège de Lille. C’est aussi en ce lieu que le roi rédige et signe l’acte de reddition de la ville. En mars 1897, un incendie va gravement l’endommager.

Au début du XXe siècle, elle a encore belle allure avec son belvédère surmontant le porche principal qui, n’en doutons pas, a constitué pour Louis XIV et Turenne – le chef de son armée – un poste d’observation privilégié pendant les dix jours du siège.  En 1920, la décision de raser ce témoin de l’Histoire de France est actée. Depuis 1667, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts du Becquerel. Il était bien loin le temps où Fives était un village agricole du Mélantois. La ville a pris un essor considérable avec ses industries textiles et surtout sidérurgiques. Fives-Lille est depuis la fin du XIXe siècle une entreprise de taille mondiale au savoir-faire sans égal. Le développement exponentiel des usines s’accompagne de celui du tissu urbain. Le village devient ville et les terres agricoles disparaissent comme peau de chagrin. Cette ferme, au milieu de la ville est un vestige du passé un peu incongru. En cette période d’après-guerre, on a besoin de reconstituer cette ville de Lille sinistrée par les bombardements allemands. Les dommages de guerre sont parcimonieux et les programmes de reconstruction économes. Dans ce contexte, la ferme de la rue de Lannoy avait peu de chances d’être réhabilitée malgré sa glorieuse Histoire. 

Le chantier de démolition de la ferme, début août 1920, a été couvert par Le Grand Hebdomadaire Illustré du Nord de la France qui publie son reportage le huit du mois sous le titre « Destruction de la Ferme Louis XIV ». C’est une forme de consolation car, cet hebdomadaire, utilisant abondamment la photo à l’appui du texte, est un précurseur de la presse moderne. « Nous traversons une période bien néfaste pour les vieux souvenirs historiques et les chères reliques du passé », regrette-t-il. « Aujourd’hui, nous avons la tristesse d’enregistrer la démolition de la ferme Louis XIV, rue de Lannoy.

Malgré ses deux siècles et demi d’existence cette ferme n’était évidemment pas une œuvre d’architecture remarquable, mais c’était plus et mieux que cela, c’était un témoin de notre Histoire » On remarquera que malgré une orientation très critique du journaliste qui n’est sans doute pas sans arrière-pensée politique, la qualité du bâtiment aboli n’est pas un argument. Aujourd’hui les architectures industrielles ou rurales remarquables sont considérées comme des joyaux du patrimoine… pas en ce début du XXe siècle, où, seuls les châteaux des seigneurs et des rois apparaissent dignes d’être préservés. « On n’aurait jamais dû laisser détruire cette ferme historique », poursuit le journaliste. « La ville aurait dû l’acheter et l’affecter à un musée où auraient pu être réunis les documents rappelant cette grande date du 28 août 1667. Nous vivons à une étrange époque où l’administration des cités est confiée, soit à des étrangers qui en ignorent le passé et en méconnaissent les traditions, soit à des citoyens pour qui ces choses n’existent pas !  Après les dures épreuves de l’occupation étrangère, il semblait que cette ferme dût nous être sacrée. Actuellement, il n’en reste rien ! »

Au moment de sa parution (8 août 1920) cette position faisait débat en s’opposant aux défenseurs du modernisme et de la ville fonctionnelle. A Lille, la municipalité avait choisi de basculer dans le futur pour sa reconstruction. En témoigne, le Beffroi-Hôtel-de-Ville aux formes contemporaines. Elle fait le choix inverse de celui de Bailleul, très inspiré par la splendeur passée de la ville. 

Un grand merci à la Bibliothèque Municipale de Tourcoing et à son personnel dévoué pour leur aide dans la recherche du document.

Retour à l’Histoire :

La ferme de Louis XIV, un morceau de l’Histoire de la France, aujourd’hui disparu, Fives, 59000

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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