Vie et mort d’Henri Poissonnier par ses deux filles, Henriette et Denise

Vie et mort d’Henri Poissonnier par ses deux filles, Henriette et Denise

Henriette et Denise Poissonnier, photographiées devant la maison de Madame Waymel (la propriétaire de la brasserie) par leur père pendant la guerre : « Mon père adorait la photographie. Il aurait voulu en faire son métier », commente Denise

Les deux filles encore vivantes du Résistant – Denise et Henriette – ont toujours été attachées à la mémoire de leur père. Elles répondent volontiers aux différentes sollicitations lorsqu’il s’agit d’évoquer leur cher disparu. Nous avons bâti cet article à travers différentes interviews réalisées dans les années 2000, 2010 et 2021.

Henri Poissonnier nait en 1900…

juste avec le siècle ! Il se marie avec Madeleine – qui en réalité pour l’État civil, se prénommait Maria – et emménage à Mons, 329 rue Daubresse-Mauviez – aujourd’hui, rue du général de Gaulle – tout près de la Brasserie. Denise naît en 1923 et Henriette, sa cadette, dix ans plus tard. Juste avant la seconde Guerre mondiale, Henri Poissonnier est un homme heureux. Il est photograveur à l’imprimerie Liévin-Danel, rue Nationale, dans le centre de Lille. C’est un professionnel reconnu et apprécié de son patron. La ligne de tramway Lille-Roubaix passe juste devant son domicile. Il est à vingt minutes de son travail. Ce quartier excentré de cette petite ville d’à peine 9000 habitants est encore très rural. Tout autour, se trouvent des fermes et des pâtures… « À l’époque des moissons, j’allais glaner les épis de blé » raconte Denise. « On devait les tasser dans le panier pour pouvoir en ramener un maximum. Le grain était séché puis donné aux poules. J’allais aussi, deux fois par semaine, chercher du lait battu à la ferme Barbry. Avec trois litres, ma mère confectionnait une « Coquille » de deux kilos. »

Dans la cour de la Brassereie Coopérative de Mons (aujourd’hui Heineken), toute proche de la maison du Résistant, le transport de la bière était encore assuré – en partie -à l’aide des chevaux.

En 1939, le paysage change.

Les chevaux de la brasserie voisine – plus d’une cinquantaine – sont réquisitionnés par l’armée. Les riverains sont sur le pas de leur porte pour contempler ce spectacle étrange. À deux pas de la maison, rue du Barœul, s’installe un cantonnement de l’armée française L’intendance ne suit pas. Les soldats sont sous-alimentés et n’ont aucun endroit pour se laver. Henri Poissonnier est toujours prêt à aider les autres. « Il leur a ouvert la maison pour qu’ils puissent faire leur toilette », témoigne Henriette. « Lorsque que ma mère, qui avait fui sur les routes au moment de la Débâcle, est rentrée à Mons, elle a retrouvé sa maison dans un état de saleté de désordre indescriptible. Mon père les avait aussi nourris en faisant crédit chez les commerçants. Il leur disait : « Ma femme paiera lorsqu’elle sera rentrée » C’est ce qu’elle fit ! »

C’est peut-être cet esprit d’entraide et de partage, au cœur même de sa personnalité, qui causera la perte d’Henri Poissonnier. L’un de ses voisins, Alfred Moreaux, est l’un des cadres du réseau de Résistance, « Voix du Nord ». Dans cette commune de la banlieue-Est de Lille, ce mouvement est solidement implanté. La profession du Monsois est connue de tous. Henri Poissonnier, sollicité par son voisin va accepter de détourner des tickets d’alimentation imprimés chez son patron, fabriquer des faux papiers, des faux-tampons destinés à multiplier les faux documents nécessaires aux différents groupes du réseau de Résistance régionale. L’aide ponctuelle des débuts s’est transformée, au fil des mois, en collaboration suivie : il adhère dans les premiers au mouvement « Voix du Nord »

Après-guerre, La carte de membre de la Voix du Nord d’Henri Prévost. Ce policier municipal, parrainé par Jules Noutour (qui était également policier) et Jeanne Parmentier (Résistante de la première Guerre mondiale) va prendre la succession de cette dernière comme chef du réseau, après son arrestation. Ce genre de cartes, fabriquées par Henri Poissonnier, existaient pendant l’occupation. Elles n’avaient pas été distribuées mais étaient prêtes a servir, cachées dans une tombe du cimetière, en prévision de la Libération.

Dès 1942, Henri Poissonnier va réaliser, à partir d’un dessin du journaliste Jean Piat, la têtière de « La Voix du Nord » clandestine, dont le premier numéro était paru en avril 1941. Il est devenu, l’imprimeur du réseau. Le soir, le père de famille travaille à la fabrication de ses papiers et tampons à l’aide de différents instruments. Un moment important, de la soirée est celui de l’émission de Radio-Londres, en français. Le poste est caché dans une malle que Madeleine va chercher au moment de l’émission. Elle l’écoute avec la plus grande attention. Ensuite, elle en fait le commentaire à son mari. « Papa n’entendait plus très bien et il avait du mal à comprendre ce qui se disait à cause de la mauvaise qualité de l’émission, brouillée par les Allemands », se rappelle Denise.

La vie familiale heureuse d’Henri Poissonnier va se poursuivre jusqu’au milieu de l’année 1944.

Bien sûr, son épouse est un peu surprise de constater que son mari change de tramway plusieurs fois, sans motif, lorsqu’il se rend à son travail ou ailleurs… mais elle avait fini par s’y habituer. Mais, le 19 juin 1944, la Gestapo vient arrêter Henri Poissonnier dans les locaux de l’imprimerie de la rue Nationale. « Il s’est fait arrêter pour une histoire toute bête », raconte Henriette. « Un jeune homme de Villeneuve-d’Ascq a été pris avec une fausse carte d’identité sur lui. Quelqu’un a parlé et on est remonté jusqu’à mon père. » Henri Poissonnier est torturé par la Gestapo mais ne parle pas. La police allemande se rend au 329 de la rue Daubresse–Mauviez pour y effectuer une perquisition en règle. Elle ne trouve rien ! Prévenue de l’arrestation de son mari, l’épouse d’Henri Poissonnier, s’est emparée de tout le matériel compromettant existant dans la maison est l’a enterré, sous le poulailler familial. Les preuves contre le Résistant sont extrêmement minces : juste une dénonciation arrachée sous la torture. Les juges ne sont pas complètement certains de la culpabilité de l’imprimeur. Henri Poissonnier est condamné à neuf mois de prison : un verdict particulièrement clément dans cette période barbare de l’Occupation. Il est envoyé à la prison de Loos pour y purger sa peine. Personne à cet instant n’aurait pu deviner sa fin tragique. Mais, Henri Poissonnier, se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Dans sa grande malchance, il va faire partie du convoi des 871 prisonniers de Loos envoyés vers les camps de la mort, le 1er septembre 1944, juste avant que Lille ne soit libérée.

Un train de marchandises et sa locomotive en 1944.

Henri Poissonnier est affecté à l’ancienne mine de sel de Kochendorf. À deux-cents mètres sous terre, on y produit du matériel militaire – essentiellement des moteurs d’avions – dans des conditions de travail épouvantables. Il va y croiser le chemin de deux prisonniers de droit commun polonais qui faisaient également partie de ce fameux train de Loos. Au camp, ils ont pris du galon. Ils sont devenus des Kapos torturant et même assassinant les prisonniers. Sous les coups, le travail épuisant, le manque de nourriture, Henri Poissonnier ne va pas résister à ces conditions inhumaines de détention. Il va décéder dans le camp voisin de Vaihengen, le 28 février 1945. La commune va donner le nom d’Henri Poissonnier à l’une des rues du centre de la ville.

En 1945, on donne à l’une des rues du centre le nom d’Henri Poissonnier.

Elle va aussi faire apposer une plaque commémorative sur le mur de la maison du 329 de la rue Daubresse–Mauviez. Lorsqu’elle sera démolie, en 1996, pour permettre l’extension de la Brasserie, Denise pourra la récupérer. Elle la conservera précieusement à côté d’une reproduction de la têtière clandestine de « La Voix du Nord », réalisée par l’un de ses fils. . Après-guerre, personne dans la famille n’a eu le cœur d’aller déterrer, de dessous le poulailler, les faux tampons du Résistant. Ils sont partis, juste avant la fin du siècle, avec les gravats, lors de la démolition de sa maison.

Photogramme du film, Jacques Desbarbieux

En 1951, la justice militaire met la main sur les deux tortionnaires polonais responsables, d’une bonne centaine d’assassinats. Celui qui avait torturé Henri Poissonnier sera condamné à mort et à la confiscation de ses biens. Mais il sera gracié. De remise de peine en remise de peine, on finira par le laisser sortir. « Quelques années plus tard, j’ai appris qu’on l’avait relâché au bout de huit ans de prison », constatait, un peu amère, Henriette. « Il est retourné tranquillement mener une retraite heureuse dans son village du Pas-de-Calais. Franchement, ce n’était pas cher payé ! » 

Nota :Henri Poissonnier avait trois filles. Nous n’avons pas pu recueillir le témoignage de sa fille aînée, Agnès, décédée en 1991.

Sources

Articles : Voix du Nord, 2014, Alain Cadet et Association Historique de Mons, 2003, Jacques Desbarbieux, Jean-Pierre Daerden, André et Jeanne-Marie Caudron

Interwiews : 2014 et 2021, Alain Cadet

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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