Views: 1

Le Bonhomme Picard d’hier et d’aujourd’hui

 Le Bonhomme Picard a accompagné mon enfance.  Il avait disparu, puis il est réapparu. Tout récemment, sa Une sur la Motte féodale de Catheux a attiré mon attention, au point de renouer avec une vieille tradition familiale et d’acheter le numéro.

Inauguration des travaux de sécurisation de la motte féodale de Catheux

Mon histoire avec le Bonhomme Picard débute dans les années 1950.

Elle s’est poursuivie bien des années plus tard. C’était le journal que lisait ma grand-mère.  C’était son seul luxe !  Elle passait beaucoup plus de temps à entretenir son jardin qu’à lire des livres… qui étaient, pour elle, un plaisir paresseux des gens de la ville. Pourtant, elle avait été la première du canton du Crèvecœur le Grand au certificat d’études. Elle lisait et elle écrivait de manière tout à fait remarquable.   Pour elle, qui avait passé son enfance dans une ferme, l’agriculture était un domaine très supérieur à celui de la culture.  C’étaient les légumes de son jardin qui lui permettaient de boucler ses fins de mois.

Mais il y avait tout de même, chaque semaine, un moment d’exception. C’était, quand le facteur lui apportait son journal. Elle guettait sa venue à travers sa fenêtre – dire « croisée » en picard –. Dès qu’il descendait de son vélo, elle accourait. Il fallait d’abord briser un bandeau de mauvais papier avec un timbre et l’adresse du destinataire… et le journal se dépliait ! C’était un très grand format avec des articles tous petits. Ils étaient encadrés à la manière des faire-part de deuil. Ils relataient les petits riens des villages du coin : les mariages, les enterrements, les banquets, les conseils municipaux…  

Même les minuscules villages d’une centaine d’âmes avaient droit à quelques lignes. C’était un miracle d’avoir pu entasser toutes ces rangées de caractères, en plomb, composées à l’envers, pour partager jusque dans les coins les plus reculés, l’information locale. Tous ces articles, étaient soigneusement rangés, par canton : Songeons, Marseille-en-Beauvaisis, Froissy, Breteuil-sur-Noye, Grandvilliers et Crèvecœur le Grand.  L’imprimerie et le siège du journal étaient établis à Grandvilliers ! Le directeur du Bonhomme Picard et celui de l’imprimerie étaient une seule et même personne ! C’était un grand classique de la presse locale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle !

Ma grand-mère glissait une chaise (cayelle en picard) sous la table de la cuisine qui bordait la croisée.

Elle étalait le journal à plat, et, les coudes sur la table, le menton dans les mains, elle commençait sa lecture. Elle lisait tout, minutieusement… article après article. Cela lui prenait une heure ou deux. Elle oubliait totalement son jardin… et le reste. Elle ponctuait sa lecture de commentaires à voix haute. J’étais impressionné de voir que ma grand-mère, qui ne sortait pratiquement jamais de son village, puisse connaître autant de monde. À la fin, un peu comme le dessert termine un bon repas, elle se rendait à la dernière page où était imprimé le « Conte Picard ».  C’était un texte dans la lignée des fabliaux du Moyen Âge, toujours écrit en langue picarde.  

Cette lecture la mettait en joie.

Comme elle voyait que j’essayais de déchiffrer par-dessus son épaule, elle a pris l’habitude de me le lire à voix haute. J’essayais de rire aux moments adéquats. Il me suffisait pour cela d’imiter ma grand-mère !  À cette époque, il était interdit aux enfants des écoles de parler picard.  Mais, quand elle recevait ses copines, ma grand-mère utilisait le plus souvent cette langue, préférée par les gens d’un certain âge. Quand la conversation roulait sur des histoires salaces, concernant les habitants et surtout les habitantes du village, le picard était pratique pour ne pas risquer de choquer les chastes oreilles d’un enfant. Mais ces mystères étaient une forte motivation pour progresser. Je comprenais désormais presque tout. J’avais un peu de mal à me représenter les situations, mais je savais parfaitement de qui on parlait. Parfois j’essayais une phrase en picard.

Contrairement à mes parents qui se fâchaient tout rouge en telle circonstance, ma grand-mère souriait avec un air amusé, mais elle me répondait toujours en français. Un jour, elle m’a proposé de lire le conte à sa place. Je me suis appliqué « en mettant le ton » comme me l’avait appris, pour les textes en français, Roberte, mon institutrice. Cette lecture mettait ma grand-mère en joie. Parfois, elle en pleurait de rire. La lecture du conte picard du « Bonhomme » était le meilleur moment de la semaine. Plus tard, je suis allé au collège, en pension. Le week-end, je venais voir ma grand-mère. Elle prétendait qu’elle n’avait pas eu le temps de lire le conte. Je savais que ce n’’était pas vrai, mais me pliais à l’exercice de bonne grâce. A la fin, elle découpait le texte et le glissait dans une boite de denrées (biscuits, chocolat, pâté, miel du village). C’est le genre de colis que l’on préparait pour les prisonniers pendant la Guerre. Elle me disait que je pourrais relire le texte pendant la semaine. Cela a continué tout le temps du collège et même au-delà.

Puis, je suis passé à autre chose.

Le journal de Grandvilliers a continué son petit bonhomme de chemin. Il est passé de mains en mains jusqu’à un groupe de presse spécialisé dans les micro-tirages de la presse quotidienne régionale. Il possède une rotative offset dernier cri qui imprime tous les titres de l’entreprise dans un autre département. L’Internet est passé par là. Le Bonhomme Picard est réapparu il y a quelques années. Différents clones dans l’Oise et dans la Somme ont été créés, mais l’édition de Grandvilliers et des cantons limitrophes existe toujours. Selon sa direction les deux tiers de ses journalistes sont des Picards pur sucre de betterave. Le tiers restant – les Horsins(traduction = ceux de l’extérieur qui sont à l’intérieur) – sont priés de faire des efforts de caméléon pour prendre la couleur de la muraille picarde. 

Le tracteur communal est le second sujet d’actualité.

Dernièrement, la première page du Bonhomme Picard new-look a attiré mon attention. Elle concernait la Motte féodale de Catheux. C’est un sujet qui m’intéresse pour différentes raisons. Evidemment, cela ne vaut pas la Une sur la charcuterie Belleperche de Crèvecœur-le Grand, qui, comme l’année dernière année a gagné le championnat de France de boudin noir. Jamais deux sans trois ? Un exemplaire encadré du journal trône sur le comptoir de la boutique et participe à la renommée de la maison. Mais, cet article sur la Motte féodale, un sujet culturel et historique, était moins attendu ! Ces derniers temps, dans la plupart des journaux régionaux, l’information locale a été supplantée par les faits divers et les news people à la sauce cantonale. Ici, trois pages entières sont consacrées aux faits divers. On y trouve, pèle mêle « les voleurs spécialisé dans l’arnaque aux personnes âgées ; un accident près du stade ; un alcoolique qui a des pulsions quand il a bu. il prend sa voiture et percute les véhicules de ses voisins ; une collégienne qui dit avoir été suivi par un homme ; les policier en action face aux violences urbaines. » Il y a là de quoi satisfaire les penchants morbides des lecteurs d’aujourd’hui. Le reste du Bonhomme, c’est de l’information locale, comme au bon vieux temps ! La Motte de Catheux occupe toute une page titrée : « Témoin du Moyen Âge, la motte féodale de Catheux retrouve son éclat ». il y est question de l’inauguration des travaux de sécurisation effectués par la commune, propriétaire du lieu. On en profite pour faire un peu d’Histoire « Détruite vers 1540, elle reste un témoin essentiel d’une organisation médiévale ». La délation est un vilain défaut, mais cela ne s’engage pas bien. Le château et son donjon ont été mis à bas, en juin 1358, lors de la Grande Jacquerie, par une armée de 3 000 paysans (les Jacques). Ils étaient commandés par Jehan de Cateu-en-Beauvoisis, dit « Le Fréron », un fermier du village. Jehan connaissait bien la route de ce château qui passait juste devant chez lui. Au Moyen-Âge, Jehan-le-Fréron était de très loin le Cathensien le plus célèbre. Il le demeure encore aujourd’hui. Une petite allusion à ce lointain illustre ancêtre des Gilets Jaunes aurait été la bienvenue. 

 Dans le canton de Crèvecœur-le-Grand, lorsqu’on convoque la culture, l’agriculture n’est jamais très loin !  

Ainsi, cette inauguration de la motte féodale était-elle couplée à la célébration de l’acquisition d’un tracteur neuf. Destiné d à l’entretien du territoire communal, il n’a pas coûté moins de 70 000 €. Une bonne partie de la facture a été réglée par le dernier descendant de la famille Dassault, candidat malheureux à la dernière élection à la députation du secteur Beauvais-Nord. Du temps de Marcel Dassault, élu pour la première fois en 1958, la réfection des toits et clochers d’églises du coin devaient beaucoup à la générosité de l’avionneur ! Le Ruissellement n’existe que dans les médias et le discours du président de la République à l’exception de la circonscription Beauvais-Nord. Lorsque je suis dans l’Oise, je passe au moins deux fois par jour devant l’église du Crocq, où, jadis, chaque dimanche, ma grand-mère me traînait à la messe.

J’ai toujours une pensée pour elle et je me dis qu’elle serait fière de voir le clocher de « son » église en si bon état. Cet été, alors que j’étais à la terrasse du bar-tabac-PMU de Crèvecœur-le Grand, mon voisin a entamé la conversation. C’était un ancien ouvrier couvreur spécialisé dans la rénovation des bâtiments anciens. Il avait refait le toit du clocher de l’église du Crocq ainsi que ceux de Cormeilles et de la Chapelle-du-Planton. Il m’en a cité une vingtaine d’autres… tous financés par Marcel Dassault. Ainsi, lorsque je passe devant l’église du Crocq j’ai toujours une pensée pour ma grand-mère mais aussi pour ce valeureux couvreur, au travail si soigné.

La presse locale c’est intéressant parce qu’elle relate des évènements survenus dans des lieux connus des gens du coin. Elle peut-être une incitation à la réflexion du lecteur et même un enjeu démocratique. Mais, elle est en grand danger. Aux Etats-Unis, qui sont souvent la préfiguration de notre futur, il n’existe plus un seul journal régional en version papier. Entre la régression des compétences en lecture de la population, la paupérisation du public, l’augmentation des coûts de production, la concurrence des chaînes d’info, l’imitation des réseaux sociaux par les journaux régionaux, la presse locale navigue entre bien des écueils. Mais elle a encore beaucoup d’amateurs.

Un peu d’Histoire :

http://blog.prophoto.fr/la-motte-feodale-de-catheux-60360/

Laisser un commentaire