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Eugène-Gabriel Pagnerre, Architecte, 1874-1939 

loger - Architecte
La Villa Saint-Luc, rue du général de Gaulle, à Mons-enBaroeul, qui jouxte le premier cabinet de ll’architecte. Beaucoup de maisons de cette rue seront signées par lui.

Eugène-Gabriel Pagnerre était sans doute prédestiné à s’investir dans le domaine de l’Architecture… même si sa reconnaissance par la profession ne sera que tardive. Il laisse une œuvre originale qui marque durablement le paysage urbain des villes dans lesquelles il a travaillé.

Eugène-Gabriel Pagnerre n’avait pas vocation à marquer de son empreinte la métropole lilloise.

Il naît, en 1874, à Petite–Synthe, près de Dunkerque. Son père est entrepreneur dans le domaine du bâtiment. En 1878, ce dernier déménage et fonde un cabinet d’architecture-construction à la Madeleine, dans la banlieue lilloise. Le jeune Gabriel, s’initie au métier dans l’entreprise familiale. Il tente d’intégrer la prestigieuse section d’architecture de l’école des Beaux-Arts de Lille dont le numerus clausus est très restreint… mais ne réussit pas le concours. Il intègre une autre section de l”Ecole où il va apprendre les bases du dessin qui lui seront très utiles pour la suite de sa carrière. Au début, le jeune Gabriel marche dans les pas de son père, Lucien, qui connaît un réel succès à la Madeleine et aux alentours. Le style de la « Maison Pagnerre » est très inspiré des belles « Dunkerquoises » du bord de mer et des nouvelles rues des banlieues résidentielles de la grande ville maritime.

Noir et blanc - Photographier
Eugène-Gabriel Pagnerre, à 18 ans, à l’époque où il travaille aves son père, Lucien

Les façades sont solides, ouvragées et empruntent leurs figures de style à l’architecture traditionnelle flamande. À Lille et dans sa banlieue, cette inspiration maritime est plutôt dépaysante, mais elle séduit nombre de futurs propriétaires. Les maisons de Lucien et Gabriel sont solides, fonctionnelles, construites avec soin : elles nous sont parvenues sans la moindre ride. Gabriel et Lucien cosignent -rarement formellement – ces maisons de la transition entre les deux siècles, à l’instar de cette maison du début de la rue Pasteur, à Mons-en-Barœul.

Cette commune, à l’époque, n’atteint pas encore tout à fait les quatre-mille habitants. C’est un bourg rural, situé à quelques kilomètres de Lille. Il est traversé par les rails du tramway qui relie la capitale des Flandres à Roubaix. Dans les sous-sols de la Grande route de Roubaix, l’artère principale de la commune, est enfouie une canalisation, qui mène à l’usine à gaz de Wazemmes. Il est possible de construire en ce lieu, possédant un vaste foncier, des maisons de prestige dotées de tout le confort moderne : le chauffage et l’éclairage au gaz.

Façade - La fenêtre
Rue Pasteur, à Mons-en-Baroeul, une maison du tout début du XXe siècle, cosignée par le père et le fils.

Cette commune au fort potentiel de développement est le lieu idéal pour y implanter une entreprise de bâtiment résolument orientée vers la construction des belles « Bourgeoises ». En 1905, le jeune entrepreneur décide de fonder son propre cabinet d’architecte, à Mons-en-Barœul, au 255 de la route de Roubaix (actuellement rue du général de Gaulle). Ce sera aussi son domicile. Il s’agit d’une construction remarquable qui dame le pion aux maisons voisines, y compris celles qu’a dessinées lui-même le jeune architecte.

Architecture médiévale - Façade
Un siècle sépare ces deux photographies du 255, rue du général de Gaulle, à Mons-enBaroeul, le premier cabinet de l’architecte. La première image, prise aux alentours de 1905, met en scène l’architecte et sa famille, tandis que la seconde qui date de 2005 a été réalisée à l’occasion du tournage d’un film sur Gabriel Pagnerre.

 Gabriel Pagnerre y mêle l’inspiration flamande et néo-orientale

(très à la mode à l’époque dans la métropole lilloise). Le dessin, alliant symétrie et dissymétrie, est très élégant. Les détails ornementaux sont soignés. La façade utilise des matériaux de prestige. En même temps, Gabriel Pagnerre s’inspire du courant « Art and Craft », développé en Angleterre et en Belgique et popularisé par les revues d’architecture à la mode dont le néo-monsois est friand. L’utilisation d’éléments préfabriqués en béton réalisés dans les ateliers belges– notamment les soubassements –, permet un gain de productivité important et la mise en place d’un « bow window », à l’anglaise, réalisé au moindre coût. L’ensemble est très séduisant. La maison du futur architecte est une forme indirecte de publicité, alors interdite par la profession. C’est un appel aux clients potentiels, nouveaux acquéreurs d’une parcelle de la rue ou de celle voisine de la Pépinière (aujourd’hui, rue Henri-Poissonnier). Cette stratégie est gagnante. Beaucoup de maisons du quartier seront dessinées par Gabriel Pagnerre. Le jeune architecte s’efforce de construire des maisons qui soient le reflet de leur propriétaire tout en suivant son tempérament. Son style est fait d’inspiration régionaliste qui renvoie au passé tout en adoptant des innovations, empruntées aux tendances contemporaines.

Malvales - Jardin
Le Vert-Cottage, à Mons-en-Baroeul, bâti en 1912, la seconde résidence-atelier de l’architecte, au moment de l’apogée de sa carrière.

En 1912, le Monsois est à l’apogée de sa carrière.

Son père, Lucien, décède et Gabriel devient la seule référence de l’entreprise familiale. Il obtient aussi cette année-là, son diplôme tant attendu – d’architecte, ce qui lui permet désormais de pouvoir prétendre à concourir aux appels d’offres des marchés publics, alors qu’auparavant, seule la construction privée lui était accessible. Il déménage également son cabinet d’architecte dans la maison de ses rêves, dont il a dessiné les plans. « Le Vert-Cottage », qu’il vient de construire au 4 bis de la rue du Quesnelet, est à l’époque comme encore aujourd’hui, la plus belle maison de la commune. Dans cette période d’avant-guerre, Eugène-Gabriel est devenu la coqueluche de la bourgeoisie triomphante !

Vitrail - Services de design d'intérieur
Une fenêtre du Vert-Cottage

En même temps, quelques nuages commencent à s’amonceler au-dessus de son parcours. Si le style du professionnel est composite, le personnage est aussi constitué d’un curieux mélange. Très attaché à la langue flamande et aux valeurs régionales, franc-maçon, il est très proche de figures du Parti Socialiste (très à gauche à l’époque et proche du futur Parti Communiste). Cela commence à se savoir ! Dans les années 1924 – 1925, il collaborera même à l’hebdomadaire « L’Enchaîné », la revue régionale des Communistes. Pour une partie de sa clientèle bourgeoise, Eugène-Gabriel sent le soufre. Son cabinet enregistre un léger tassement des commandes.

En 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France et c’est la fin de ce monde, insouciant et prospère.

Dix -huit millions de morts dont un million de militaires français, Lille en grande partie détruite par des bombardements punitifs, l’agglomération occupée dans des conditions très sévères pendant presque toute la durée de la guerre, l’élite industrielle et intellectuelle du Nord déportée en Allemagne : plus jamais les choses ne redeviendront comme avant ! Au moment de la déclaration de guerre, Gabriel Pagnerre a quarante ans. Il est père de famille. Il ne fait pas partie des soldats mobilisables. On aurait pu penser que ses idées de gauche allaient le ranger dans le camp des pacifistes à l’instar d’un Jean-Jaurès. Mais, il se révèle dans l’épreuve un ardent nationaliste. Il pense que la Patrie en danger a besoin de lui. En août 1914, en vacances dans une maison de Malo-les-bains, il va s’engager à Dunkerque.

L’architecte, en uniforme militaire, pendant la guerre

Tandis que le Vert-Cottage sert de lieu d’hébergement pour l’Etat-major allemand, lui, est au fond des tranchées du front de l’Est ! Versé au Génie, il démontre son savoir-faire dans l’art du franchissement des cours d’eau, l’aménagement des routes, la pose des voies de chemin de fer, le creusement des galeries de mine, le maniement des charges explosives, la construction d’abris en béton. En août 1915, il est élevé au grade de sous-lieutenant, en octobre 1917 il est nommé lieutenant. Lorsque la paix revient et qu’au début de l’année 1919 il retrouve son cher Vert-Cottage, c’est un homme respecté pour sa conduite héroïque. Mais l’architecte, dans beaucoup des lieux où se décident les nouveaux projets, n’est plus le bienvenu. Pendant qu’il était au front, d’autres ont pris la place et il lui faut reconquérir une position dans la profession et sur le marché de la construction ! La France est en ruine et l’opulence d’avant-guerre a laissé place aux projets parcimonieux. Sa réputation d’homme mal-pensant est un handicap pour conquérir les quelques marchés de prestige de la bourgeoisie locale. Ses affaires ne sont pas bonnes. En 1922, il doit se résoudre à vendre sa grande maison du Vert-Cottage. Il s’installe à Lille dans un lieu plus modeste, mais aussi plus central. L’architecte se doit de faire évoluer sa production.

Dans le milieu des année 1920, quelques années avant la loi Loucheur qui va multiplier les maisons acceccibles à la classe moyenne, Gagriel Pagnerre va construire l’essentiel des maisons qui bordent la rue Pasteur de Mons-en-Baroeul. Ces constructions, moins ambitieuses que celles d’avant guerre, sont réalisées avec soin, C’est un travail conforme aux idées sociales de l’architecte.

Au milieu des années 1920,

il entreprend, bien avant que la loi Loucheur ne soit promulguée, un programme de construction de maisons économiques, dont la rue Pasteur de Mons-en-Barœul est un exemple emblématique. De dimensions modestes, elles sont réalisées avec soin, avec à chaque fois un visuel différent de la façade. L’une d’entre elles, le numéro 74, et même construite en béton, un matériau encore très peu utilisé, à l’époque, dans l’architecture civile. Aujourd’hui, ces maisons sont très recherchées. À la fin de la décennie, la promulgation de la loi Loucheur (1928) va lui permettre de multiplier ce type de programmes de construction « d’habitations à bon marché », comme celui du quartier du Plouich, à Marcq-en-Barœul, où des rues entières de maisons « Loucheur » vont être construites. Dans cette période, postérieure à 1912, il va aussi réaliser quelques bâtiments publics : des écoles à Halluin et Saint-Pol-sur-Mer, des Bains Publics, à Villeneuve-d’Ascq et Hellemmes, un Dispensaire, une Bibliothèque et même une Maison du Peuple.

Cette Maison du Peuple d’Halluin, inaugurée en 1914, juste avant la déclaration de guerre existe toujours aujourd’hui même si elle a perdu sa fonction initiale

Vers la fin de sa carrière

il va pouvoir à nouveau se positionner sur quelques réalisations de prestige qui rappellent par leur ambition la période d’avant-guerre… comme la Maison Isotherme (1929) construite sur le Grand-Boulevard ou bien encore cette grande demeure de béton de la rue César Franck, à Lille (1934) qui sera une des dernières grandes réalisations de l’architecte. Mais, ces maisons de la fin de sa carrière sont désormais très différentes. Elles suivent les règles de l’architecture fonctionnelle et rappellent le travail de son ami Mallet-Stevens dont il soutiendra la candidature au poste de directeur des Beaux-Arts de Lille. Il admire le travail de Le Corbusier qu’il fera venir dans la capitale des Flandres pour une conférence, en 1933, alors qu’il est devenu le Secrétaire du Syndicat Régional des Architectes du Nord.

A droite, Gabriel Pagnerre, après-guerre, en 1923. A gauche, en 1934, la construction du n°5, rue César Franck, à Lille. Les techniques et les formes ont beaucoup évolué en comparaison des projets du début de carrière.

En 1937, victime d’un premier AVC, Eugène-Gagriel Pagnerre est désormais dans l’impossibilité d’exercer son métier d’architecte. Il va avoir une fin de vie difficile marquée par le dénuement et la maladie. Recueilli par sa fille cadette, Nelly, qui exerce un métier modeste à Paris, il va être emporté par une nouvelle attaque en juin 1939.  Il repose désormais au Père-Lachaise.

En quarante ans de carrière,

Eugène-Gabriel Pagnerre aura construit plusieurs centaines de maisons dans la métropole lilloise, dans la région d’Armentières et dans le dunkerquois. S’il va développer des styles différents, tout au long de sa carrière, c’est qu’il a toujours voulu se situer à l’avant-garde de l’évolution du métier. Touche-à-tout turbulent, l’architecte était aussi connu pour ses articles, publiés dans des revues très diverses, parfois techniques, parfois engagés. Il s’intéressait aussi à l’urbanisme et à l’organisation des grandes villes. Il a par exemple, dessiné en 1925, un plan d’une ville nouvelle à partir de la commune de Mons-en-Barœul, qui a bien des égards évoque celui de l’architecte Henri Chomette, réalisé quelques quarante ans plus tard.

En 1925, ce “plan bleu” jette les bases d’une restructuration urbaine de sa commune de coeur, Mons-en-Baroeul. Il situe le centre de la Nouvelle Ville à l’endroit exact où, quarante ans plus tard, Henri Chomette va l’établir.

Pour aller plus loin...

Si au début des années 2000 il n’existait pratiquement rien sur l’architecte, en 2004-2005, un travail de fond a été entrepris par l’Association Historique de Mons, relayé ensuite par l’association Eugénies (principalement dédiée au travail de l’architecte) et soigneusement mis à jour. Il existe un film produit par l’Association Historique et Fondus d’Images , « Sur les traces de Pagnerre » et, surtout, le site d’Eugénies- Jacques Desbarbieux. Il contient la totalité de ce qui a été publié sur le sujet et répond à toutes vos questions :

https://pagnerre.blogspot.com/p/mons-en-barul.html

Pour voir le film :