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Préface d’Alain Decaux du livre de Claude Gay sur l’Histoire des tramways de Lille, « Au fil des Trams »

L’excellent livre de Claude Gay, « Au fil des Trams », est une totalité sur l’Histoire des tramways lillois. Il a été préfacé par Alain Decaux. Avec une écriture simple et émouvante, l’Académicien évoque dans son texte, le temps de son enfance

Je suis né au temps des tramways.

Les souvenirs de ma petite enfance lilloise sont peuplés de ces grosses voitures un peu courtes, un peu carrées, dont les roues de métal grinçaient dans les virages. On était assis face à face. Une plate-forme à l’avant, une autre à l’arrière. Pour avertir le conducteur, le receveur tirait simplement une courroie de cuir qui courait au plafond, tout le long de la voiture.

 Jusqu’à l’âge de dix ans, j’ai vécu à Wattignies, chez ma grand-mère. C’est ce tramway là que nous prenions. Mais il fallait changer de voiture en route et franchir un passage à niveau, à pied. Le grand sujet de conversation ? Savoir si, un jour, le tramway passerait sous la voie ferrée ou qui sait, au-dessus de celle-ci. Péremptoire, un receveur avait affirmé en 1932 à ma grand-mère que le franchissement se ferait avant 1940. Autant en emporte le vent et l’Histoire.

 Nous avons été très fiers, nous autres les Lillois, quand ces voitures trapues ont été remplacées par d’autres, plus longues, plus élégantes. On était assis dans le sens de la marche, deux par deux, sur des banquettes de paille et de moleskine, selon la classe.

 J’ai quitté Lille à la Guerre. Mais souvenirs se sont arrêtés là. Voilà pourquoi, à jamais, ils resteront pour moi ceux du temps des tramways.

 Je me revois – avec quelle netteté – agenouillé sur la banquette pour mieux regarder dehors. Je revois l’inscription si souvent multipliée : « Défense de fumer, même une Gitane ». Je revois le conducteur debout, tournant une manivelle que je convoitais douloureusement de toucher à mon tour. Ce qui ne m’est jamais arrivé. Je revois le même conducteur – le Wattman – avertissant d’un coup de pied rageur sur la pédale qui déclenchait la sonnerie.

Quelques fois, grand évènement, la perche qui alimentait la voiture en électricité quittait son fil. Le tramway s’arrêtait. Le receveur descendait, raccrochait la perche en jurant. Et puis l’on repartait. 

 Je me souviens de m’être battu à la sortie de l’école avec un petit camarade. Ma tête a porté sur un rail du tramway. Quelle aventure ! Il y a eu ce soir-là, à la maison, débauche d’arnica. D’autres fois, nous placions des amorces sur ces mêmes rails. Quand le tramway passait, c’était une pétarade qui nous remplissait de bonheur.

En écrivant l’histoire des tramways de Lille c’est toute mon enfance qu’il m’a rappelé.

Alain Decaux

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