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Le retour du tramway dans la métropole lilloise

A la fin du XIXe et au début XXe siècle, le développement de la métropole lilloise, à Lille, Roubaix et Tourcoing, a été favorisé, par la construction d’un réseau dense de tramways. Le tramway assurait, à une époque où l’automobile était marginale, la mobilité des travailleurs, condition de la prospérité des entreprises. Ainsi, les villes où s’étaient concentrées les usines ont pu bénéficier de l’apport de compétences parfois venues de très loin tandis que le tissu urbain, colonisé par les lignes du tramway se densifiait.
Les constructions, nouvelles sur le trajet des rames et tout autour, transformaient la campagne en villes qui se rejoignaient pour ne plus former qu’un seul tissu urbain. Ces conséquences n’avaient pas été forcément anticipées par les promoteurs du tramway de cette époque lointaine. Avec ses rails, ses roues de petite section, il permettait de déplacer de lourds convois avec une faible énergie. On ne disposait alors que de moyens de traction modestes (chevaux, puis vapeur, puis électricité). La voie ferrée était à la fois une question de bon sens et une nécessité catégorique.
Dans les années 1960 les paradigmes changent.
Avoir confié la gestion du réseau de tramways à une compagnie de bus était très imprudent de la part des élus. Les nouveaux moteurs thermiques, surpuissants, permettent aux autocars de se libérer des contraintes de la traction. L’essence et le gasoil sont donnés. Pour garder le tramway, il faut entretenir un réseau coûteux d’infrastructures ferroviaires alors que pour faire rouler des autobus en ville, c’est cadeau de l’État et des Collectivités territoriales ! Qu’importe si le réseau de transports urbain produit une quantité impressionnante de gaz à effet de serre contenant aussi des microparticules néfastes à la santé des riverains et si les larges pneus des bus nécessitent trois à quatre fois plus d’énergie que les fines roues métalliques du tramway !
Le « tout automobile » et le « tout camion et bus » sont à la mode.
Le moteur thermique a la cote ! Il a la faveur de la sphère économique et des décideurs politiques. Les leçons de sobriété énergétique du XIXe siècle avaient été oubliées tandis que celles du XXIe, liées aux dangers de la pollution étaient inconnues ! Ainsi, va–t-on démanteler, ligne après ligne le réseau de tramways de la métropole. Le dernier voyage de la dernière rame a lieu le 29 janvier 1966.

Pourtant il existe encore une ligne en activité, c’est celle du bon vieux Mongy, Lille-Roubaix-Tourcoing. Elle a été sauvée par la date plus tardive de la concession accordée à la société d’Alfred Mongy. L’expiration du contrat est prévue en octobre 1968. Le dernier survivant des tramways de la métropole est en grand danger.
Mais les riverains du Grand-Boulevard, les personnels de la Compagnie, les experts du transport urbain protestent. Ils publient dans la presse des points de vues très argumentés en faveur des avantages de la voie ferrée de la pérennisation du Mongy. Dans les instances de décision, les avis sont partagés. Finalement, le Conseil Général du Nord et la Communauté urbaine de Lille accordent à la Société Nouvelle de l’Electrique Lille-Roubaix-Tourcoing issue de l’ELRT (Electrique Lille Roubaix Tourcoing) un renouvellement du contrat d’affermage pour une durée de trois ans. Cette décision fut très importante.
Cinquante ans plus tard, le Mongy est toujours vivant !
Pendant ce demi-siècle, d’importants changements d’aménagement et d’organisation auront eu lieu. On améliorera le parcours, de nouvelles rames seront acquises. Plus personne, aujourd’hui, n’oserait proposer la destruction du vieux Mongy, au nom du progrès ! Le tramway, si décrié par les politiques et les élites intellectuelles de la fin du XXe siècle est redevenu à la mode. Sur fond de réchauffement climatique et de thrombose urbaine provoqués par les véhicules automobiles.

On est revenu à des fondamentaux qui évoquent ceux des années 1870. Le tramway est un mode de transport économique, écologique, particulièrement adapté aux besoins des grands pôles urbains. Un vaste plan de la Métropole européenne de Lille conforte non seulement le trajet du début du XXe siècle, Lille-Roubaix-Tourcoing en le dotant de nouvelles rames, mais en crée de nouvelles. Au départ de Lille on atteindra trois embranchements avec des terminus au Nord, au Sud et à l’Ouest ( Wambrechies, Wattignies [1] et Hallennes-lez-Haubourdain ).
Ces tracés ont fait l’objet d’arbitrages douloureux.
Le tronçon Sud prévu jusque Seclin s’arrête finalement à Wattignies au grand dam du maire de Seclin et de sa commune oubliée. Le tronçon Nord qui longe le site historique de la Citadelle selon le tracé le moins impactant pour la préservation du paysage a provoqué le retrait de candidature de la ville de Lille au classement de la Citadelle au Patrimoine mondial de l’Unesco. Le Beffroi craignait que le tracé du futur tramway ne puisse être remis en cause. De l’autre côté de la ligne de Mongy, à Roubaix, trois nouveaux embranchements (Nord, Sud et Est) sont prévus avec des terminus à Roncq, Mouscron et Hem

Sur le réseau historique (Lille-Roubaix-Tourcoing) les 24 rames actuellement en circulation possèdent une autorisation d’exploitation jusqu’en 2027. Elles datent des années 1990 et ont été modernisées dans les années 2010. La MEL prévoit à l’horizon 2034 un flux journalier de 60 000 voyageurs. C’est pourquoi elle a commandé 30 nouvelles rames de type CITADIS de la société Alstom pour un budget de 124,8 millions d’euros. Les travaux d’aménagements vont débuter à l’été 2024 pour une mise en service courant 2026.
En ce qui concerne le nouveau réseau de grande banlieue, les nouvelles lignes sont prévues à l’horizon 2035.
Avec une capacité de transport de 250 voyageurs par rame toutes les 6 mn, cela représente 2500 personnes transportées chaque heure, soit 120 000 voyageurs/jour, c’est-à-dire trois fois la fréquentation actuelle du Mongy, entre Lille, Roubaix et Tourcoing. Cette perspective n’a pas échappé aux agences immobilières, aux investisseurs et aux promoteurs. Sur les trajets des futures lignes de tramway, la spéculation va bon train sur le foncier existant et sur les parcelles qui pourraient devenir constructibles.
D’ores et déjà, dans les communes concernées, on voit fleurir, en rangs serrés, de nouveaux immeubles qui n’attendent plus que leurs nouveaux occupants. Les promoteurs sur leurs dépliants ou leurs sites Internet i vantent leurs futures constructions. Ils publient les plans de la ligne de tramway qui va mettre l’endroit à quelques minutes des gares du centre-ville. Ce nouveau réseau va contribuer à contenir l’émission de gaz à effet de serre et à particules mais va aussi modifier le paysage urbain. Construire en Grande-Banlieue où il existe encore des terrains qui peuvent être conquis au profit du nouveau tissu urbain offre des perspectives alléchantes.
La demande de logement sera dopée par la nouvelle forme de mobilité offerte par le nouveau tramway. Tandis que dans les centre-ville des grandes agglomérations et de leur proche banlieue les surfaces constructibles sont devenues quasiment inexistantes, la périphérie offre de belles perspectives de nouvelles opérations immobilières. Il est probable que l’on assiste à un phénomène comparable à celui de la fin du XIXe siècle et au début du XXe : une extension de la ville, à l’Est et à l’Ouest qui épouse la configuration des nouvelles voies ferrées du tramway. Même si sous la pression de l’Europe, les élus locaux affichent leur volonté de ne plus laisser la ville prendre le pas sur les campagnes, la pression économique conduira probablement à une extension considérable de la grande métropole urbaine du Nord.
[1] Notons que c’est précisément le trajet de l’ancienne ligne C