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La motte féodale de Catheux, 60360

Catheux n’a pas toujours été ce petit village perdu dans la campagne. Au moyen-âge, la paroisse avait une certaine importance, au point de posséder un château-fort. Il était construit au sommet d’une motte érigée à la force des bras.  C’était l’usage dans cette région du nord, naturellement peu escarpée.

La motte féodale de Catheux, en hiver. Claude Villetaneuse

La commune existait déjà à l’époque des Mérovingiens.

La toponymie indique la présence d’un château très ancien en ce lieu. L’histoire locale retient la présence dans ce domaine, d‘Amicie de Breteuil, dame de Cateu(1160-1226). Elle va y fonder une chapelle. 

Le sceau d’Amicie de Breteuil.

Ainsi, Catheux, aux confins de Crèvecœur-le Grand, appartenait à la Châtellenie de Breteuil. Le château est détruit lors d’un épisode de la Grande-Jacquerie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis intéressé à cette vieille motte féodale, qui, à part moi, ne voit plus passer grand monde. Pour d’autres raisons, j’ai étudié la vie de Jehan de Cateu – dit le-Fréron -, un acteur majeur de la Grande-Jacquerie de 1358. A cette époque, la vie est dure dans la paroisse de Catheux et dans les campagnes de France. Cela fait un peu plus de vingt ans que les troupes du roi d’Angleterre ont envahi le territoire.

Cet épisode, la « Guerre de Cent Ans », sera l’un des plus funestes et plus longs de l’Histoire de France.

Les Anglais et leurs alliés, les Navarrais, mettent le feu aux moissons et détruisent les récoltes pour appauvrir la France, tandis que les troupes du Régent font la même chose pour affamer leurs ennemis. La France, envahie, va de défaite en défaite : Crécy (1346) ; Poitiers (1356). La Noblesse, incapable de protéger la France et son peuple a perdu de son prestige. Rançonnée par l’Occupant elle rançonne à son tour les pauvres gens. Elle montre aussi beaucoup de tolérance pour ses rugueux envahisseurs, pour ne pas dire de complicité, plutôt que de les affronter. A Catheux, comme ailleurs, les paysans, découragés, ont cessé le travail. Les campagnes restent en friche. C’est la famine ! Même les nobles et le clergé ont peur de mourir de faim. En 1358, cela fait deux ans que les terres n’ont pas été labourées. C’est ainsi que, dans le Beauvaisis, les paysans s’en prennent aux maisons de gentilshommes et aux châteaux de la région.

La Grande Jacquerie suivant un livre d’Histoire du XIXe siècle.

 Ils tuent leurs habitants et brûlent leurs demeures. On nomme ces apprentis guerriers, les « Jacques », à cause de la veste des paysans, la « Jacque » qui protège du froid mais qui, bourrée d’étoupe, est une tenue de combat rudimentaire.  On va nommer cet épisode, « les Effrois ». Un de ces groupes de« Jacques » sillonne les régions de Poix et de Crévecoeur. Leur capitaine est un certain Simon Doublet, de Grandvilliers. Effrayé par les exactions de ses hommes, par une belle nuit, Simon file « à l’Anglaise ». 

Les Jacques nomment un nouveau chef. Leur dévolu tombe sur un paysan de « Cateu-en-Beauvoisis », Jehan de Cateu, dit le-Fréron. Il est brave, costaud et dégage une autorité naturelle. Jehan-le-Fréron et ses 3 000 hommes sillonnent la campagne. La troupe attaque, abat et brûle les châteaux de Mesnil-Saint-Firmin, Thoix, Poix et Auffay… de même que les maisons de Jean de Crèvecœur. Naturellement, Jehan ne pouvait bouder le plaisir de s’attaquer au château de Catheux dont il connaissait bien la route. Tout fut pillé, brûlé, abattu sans compter, sans doute, d’autres exactions que l’Histoire a oubliées. Mais les armées des nobles sont plus pugnaces contre leurs paysans que contre les soudards du Roi d’Angleterre. Les Jacques seront défaits. 20 000 paysans furent pendus ou passés au fil de l’épée.

La répression des Nobles, illustration d’époque.

Les Jacques survivants, traqués par les nobles et les brigands se cachent. Le travail de la terre s’est interrompu et les champs sont en jachère. Dans la campagne en friche, des hordes de mercenaires du Roi d’Angleterre terrorisent les villageois, depuis les châteaux qu’ils occupent et qui leur servent de protection. La France est dans un quasi état de collapse. Les quelques personnes sensées qui restent dans le royaume exhortent le Dauphin Charles à prendre des mesures. Celui qui, bientôt, devait devenir le roi Charles V, dit « le Sage », a une idée, très impopulaire parmi la classe dominante de la Noblesse, mais de nature à améliorer la situation du Royaume. Pour forcer les Anglais et les Navarrais à s’éloigner du Parisis et de la Picardie, le plus sûr moyen est de raser les forteresses du territoire, qui servent d’abri à ces forces hostiles.

Pour cela, il a besoin des “Jacques”.

Les troupes dont il dispose ne sont pas assez nombreuses. Le 14 mai 1358, il promulgue une Ordonnance qui reconnaît et proclame le droit qu’ont les gens du peuple à résister à leurs oppresseurs, « en faisant entre eux des rassemblements à main armée ». « Si ceulx contre qui ces violences seroient exercées n’estoient pas assez forts pour y résister, ils pourront appeler à leur secours leurs voisins qui pourront s’assembler par cri public » Le 10 août 1358 Charles, signe une lettre de « rémission générale » en faveur de tous ceux qui avaient participé à la Jacquerie (aujourd’hui, on parlerait d’amnistie). Ainsi, les Paysans de Catheux et d’ailleurs vont ils, en échange d’un vague acte de contrition, pouvoir regagner leur paroisse pour y mener une vie paisible. C’est le cas de Jehan-le-Fréron. En Septembre 1359, le Conseil du Roi présidé par le Chantre de Poitiers et maistre Gremier Bonifâcestatue sur le cas du paysan de Catheux-en-Beauvaisis. Après avoir rappelé la liste – fort longue – de ses méfaits, il conclut néanmoins que toutes ces exactions se déroulèrent « contre sa conscience et contre sa volonté. » En somme, Jehan avait fait passer de vie à trépas nombre de Nobles, à l’insu de son plein gré. Cette décision inattendue a contribué à assoir le pouvoir royal contre ses ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur. A la mort du Roi Charles V, en 1380, il ne reste plus guère aux Anglais que quelques villes maritimes et quelques forteresses dans le Massif Central. 

La motte féodale de Catheux est un lieu chargé de cette époque féroce du moyen-âge. Elle en porte encore les stigmates. Mais l’Histoire de l’endroit ne s’arrête pas là ! Le château féodal et son donjon ne seront jamais reconstruits. La Motte va se transmettre par héritage dans les familles nobles du coin. Mais, en 1777, elle est rachetée par Jean-Baptiste Lesage, un négociant en tissus, riche et avisé, mais peu délicat. Une bonne partie de sa fortune provient du fait que, prévenu par une indiscrétion de la mort probable du roi Louis XV, il avait raflé à bas prix, sur la place de Paris et ailleurs, tous les tissus de couleur noire qui pouvaient servir de tenture. L’usage était de masquer les façades des bâtiments publics et même les hôtels particuliers de tentures noires à la mort du souverain.

Lorsqu’en 1774, Louis XV décède, il a pu revendre son stock à prix d’or. A Catheux, sur l’ancienne motte des comtes de Breteuil, Jean-Baptiste installe son cocon. Entre l’emplacement de l’ancienne forteresse et l’église Saint-Denis il fait ériger un nouveau château à sa convenance.  On peut s’interroger sur les raisons qui poussent ce négociant en tissu de de haut rang à venir s’enterrer dans ce lieu perché. C’est que la région de Crèvecœur est depuis quatre siècles un centre important de production textile. 

La Halle au tissu de Jean-Baptiste Lesage démontée à Catheux qui remontée à Crévecoeur, photographiée par l’excellent Gatien Debray dont le studio et la boutique faisaient face au bâtiment.

Jean-Baptiste Lesage, fait ériger dans l’enceinte de sa motte une halle remarquable à l’architecture composite. La puissante charpente dans le style normand est probablement du XVIe siècle tandis que l’étage posé au-dessus est dans le style de la fin du XVIIIe siècle. {1}. Elle mesurait vingt-huit mètres sur douze. Un grand escalier permettait d’accéder à un imposant grenier. Il accueillait le « Bureau des marques » ainsi qu’une salle garnie de bancs réservés aux réunions des tisserands locaux. Il s’agissait en quelque sorte d’un centre de négoce adapté à la vente des tissus produits dans la région.

Depuis le XIVème siècle, Crèvecœur-le-Grand et les paroisses proches avaient grande réputation dans la production de la Serge – ou du Sergé – un tissu particulièrement prisé. Très solide, indéformable, respirant, résistant dans la durée, le Sergé convient particulièrement à la confection des vêtements.  Il peut être tissé à partir du coton ou de la laine. Dans la région, c’est surtout le Sergé de laine qui domine.  Le Sergé de Crèvecœur-le-Grand est tissé selon un cahier des charges très précis, destiné à assurer l’excellente qualité du produit. 

Un atelier de tissage, à la campagne.

Tous les jeudis, le « Bureau des marques », sous l’autorité du Roi délivrait le Plomb, garant de la qualité des pièces. En ce début des années 1780, la petite entreprise de Jean-Baptiste est très prospère. Mais à la fin de la décennie, rien ne va plus ! La Révolution, les Guerres napoléoniennes, le boycott des marchés français par les acheteurs étrangers, le début du tissage mécanisé sont autant de facteurs néfastes au commerce du Sergé de Crèvecœur. La motte de Catheux se vide progressivement de sa clientèle. En 1817 Jean-Baptiste Lesage vend son beau château à la découpe au prix des matériaux. Ils vont servir à la construction ou à la rénovation des maisons du village et des bourgs environnants. En 1822, en lieu et place de la défunte demeure, est érigé un calvaire à l’initiative – dit-on – de Jean Baptiste, lui-même.

Le calvaire vers 1900.

Mais l’histoire n’est pas tout à fait terminée. 

En 1827, tandis que le lieu est retourné dans le giron de la famille la Rochefoucauld, Seigneurs de Crèvecœur, la Halle est vendue à la ville de Crèvecœur-le-Grand pour une somme symbolique. Elle deviendra le nouvel Hôtel-de-Ville. Un peu plus tard, la Grande Salle du premier étage servira à organiser des banquets et de lieu de répétition à l’Harmonie locale. Le 7 juin 1940, ce fleuron de l’architecture est détruit par les bombes incendiaires allemandes. 

Finalement cette vieille Motte castrale de Catheux, est un lieu chargé d’une Histoire fascinante. Comme je possède une maison dans le coin et que, pour revenir de Crèvecœur à chez moi, si c’est plus sinueux, ce n’est guère plus long de passer par Catheux que par la Grand Route, c’eût été un crime contre l’Histoire de na pas tenter la visite du lieu. 

La signalétique est plus que rudimentaire. Mais comme on voit la butte depuis la route, on se dit que ce doit-être là. On finit par atteindre un grand escalier qui mène tout droit au sommet. C’est sécurisé, mais c’est raide. 

L’escaler d’accès est plutôt raide

Du temps de Jehan-le-Fréron et même de Jean-Baptiste Lesage, il devait exister d’autres solutions avec un chemin en courbe le long des pentes qui permettait le passage d’une charrette. En haut de l’escalier, on découvre le grand calvaire, qu’on doit – peut-être – à Jean-Baptiste<;

Le calvaire de JeanBaptiste, de nos jours.

Il est entouré de deux niches destinées à abriter deux statues. Malheureusement, elles ont été volées : un mal de notre époque moderne où toutes les manières de faire de l’argent sont bonnes. Même sans château du XIe ou du XVIIIe siècle, l’endroit est majestueux. Il incite au recueillement, d’autant plus que les visiteurs ne s’y bousculent pas. On doit pouvoir y passer une journée entière, sans rencontrer personne. Il semble que le lieu soit une propriété communale. Faisons le vœu qu’il en reste ainsi. Il serait dommage qu’il soit cannibalisé par un programme immobilier à l’enseigne alléchante : « Résidence du Donjon » ou « Domaine Jehan-le-Fréron ». 

{1} L’Histoire locale situe la construction de ce bâtiment au XVIe siècle. Si je propose une version légèrement différente, ce n’est pas sans motifs.  Au XVIe, l’ancienne motte féodale est abandonnée sans usage précis. La construction de ce bâtiment coûteux, sans justification économique, paraît très peu vraisemblable. Si la facture de la partie basse est conforme aux standards du XVIe, l’étage supérieur est typique de la fin du XVIIIe. L’hypothèse la plus vraisemblable est que, pour ériger son bâtiment dédié au négoce du tissu, Jean-Marie Lesage a récupéré une vieille halle de marché quelque part en France (peut-être dans un bourg de la Normandie proche) et fait aménager un étage supplémentaire pour obtenir un bâtiment fonctionnel au moindre coût. Voici ce qu’en dit, après examen des photos d’époque, Didier Joseph-François, professeur émérite de l’école d’architecture de Lille et auteur d’ouvrages de référence sur l’architecture des maisons et des bâtiments publics, du Moyen Âge au XVIIIe siècle :« Il me semble que la structure bois montée sur plots pourrait bien être d’origine du XVIe siècle, démontée et remontée sur la place. Par contre l’étage est postérieur assurément, fin XVIIIe, début XIXe ».

L’histoire de Jehan-le-Fréron

http://blog.prophoto.fr/jehan-le-freron-paysan-et-chef-de-guerre-malgre-lui/