Jehan-le-Fréron, paysan et Chef de Guerre « malgré lui. »

Jehan-le-Fréron, paysan et Chef de Guerre « malgré lui. »

Jehan-le-Fréron, paysan et Chef de Guerre « malgré lui. »

Jehan-le-Fréron, paysan et Chef de Guerre « malgré lui. »

Jehan-le-Fréron, un modeste paysan d’un petit village des environs de Crèvecœur-le Grand a été rattrapé par l’Histoire. C’était, lors de la Grande Jacquerie de 1358. Il a sans doute chaussé des bottes trop grandes pour lui. Mais contrairement à la plupart de ses compagnons, entraînés dans l’aventure, il a pu sauver sa vie : un épisode digne d’un roman tragique. 

En ce milieu du XIVe siècle, Jehan est un obscur paysan de la paroisse de Catheux-en-Beauvaisis.

Bien que située, à moins de six kilomètres de Crèvecœur-le Grand, cette châtellenie dépend du Comté de Breteuil. Elle possède une motte féodale sur laquelle est érigé un important château. La vie est dure dans la paroisse de Catheux et dans les campagnes de France. Cela fait un peu plus de vingt ans que les troupes du roi d’Angleterre ont envahi le territoire dans l’épisode de la « guerre de Cent Ans », le plus funeste et le plus long de l’Histoire de la Nation. Les deux premières décennies de guerre sont un véritable désastre pour le royaume de France. Les Anglais et leurs alliés, les Navarrais, mettent le feu aux moissons et détruisent les récoltes pour appauvrir la France, tandis que les troupes du Régent font la même chose pour affamer leurs ennemis.

“ La France, envahie par l’Angleterre va de défaites en défaites… „

Les Nobles français constitués en Armée sont vaincus à Crécy (1346) et à Poitiers (1356). Leurs techniques militaires sont obsolètes et le courage des chevaliers français est pris en défaut.  Lors de cette dernière confrontation les Anglais vont tuer ou faire prisonnier nombre de chevaliers de haut rang parmi lesquels, le Roi de France, lui-même, Jean-le-Bon. Sa rançon, de quatre millions d’écus d’or, pour sa libération, ne pourra jamais être réunie. 

La France, envahie par l’Angleterre va de défaites en défaites

La Noblesse, incapable de protéger la France et son peuple a perdu de son prestige. Rançonnée par l’Occupant elle rançonne à son tour les pauvres gens et commet pour cela nombre d’exactions. L’armée anglaise, qui avait combattu à Poitiers sous les ordres du prince de Galles – surnommé le Prince Noir – se composait pour partie de brigands. Elle avait enrôlé comme soldats mercenaires les voyous de l’Europe entière :  brabançons, flamands, gallois, bretons, hainuyers, gascons et allemands. Après la victoire de Poitiers, le prince de Galles congédia ces troupes dont il n’avait plus nul besoin. Pour survivre et s’enrichir, ces hordes de soudards, les armes à la main, s’employaient à piller et dévaster « le bon et plentiveux pays » de France.

La noblesse locale montrait beaucoup de tolérance pour ne pas dire de complicité, plutôt que d’affronter ces rugueux envahisseurs. En Picardie, les populations cherchent refuge dans des souterrains aux entrées masquées, un héritage des invasions normandes. Mais, malheur à ceux qui sont découverts ! Dans ces conditions, à Catheux comme ailleurs, les paysans découragés avaient cessé leur travail. Les campagnes étaient incultes. Les terres restaient en friche, de tous côtés. Le mal en était tellement profond que les nobles et clergé avaient peur de mourir de faim. En 1358, cela faisait deux ans que l’on n’avait pas labouré le « Plat Pays » comme on appelait alors la Picardie et les provinces du Nord.

La France, envahie par l’Angleterre va de défaites en défaites

C’est dans ce contexte que va survenir la plus grande révolte paysanne du siècle. Le 21 mai, une centaine de paysans du Beauvaisis s’en prennent aux maisons de gentilshommes et aux châteaux de la région. Ils tuent les habitants et brûlent leurs demeures. D’abord circonscrit à la région de Mello, l’incendie se propage dans tout le nord de la France. Sous l’impulsion de Guillaume Carle, un ancien soldat originaire précisément de ce village, près de Senlis, la révolte rassemble en quelques semaines plusieurs milliers de paysans. Étienne Marcel, le Prévôt des Marchands de Paris, qui a des ambitions politiques, soutient la Fronde des paysans. Le mouvement va rentrer dans l’Histoire sous le nom de « Jacquerie ».

“ La Jacquerie de 1358 fut un des évènements les plus tragiques de l’Histoire de France. „

La « Jacque » était une sorte de veste courte portée par les paysans du XIVe siècle. Bourré d’étoupe, le vêtement formait une protection efficace pour partir au combat. Jean Froissart, chroniqueur de l’époque, très favorable à la Noblesse et au Roi dresse un portrait épouvantable des « Jacques ». Il qualifie les émeutiers de « chiens enragés » : « Ils déclarèrent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, haïssaient et trahissaient le royaume, et que cela serait grands biens que tous les détruisent. […] Lors se recueillirent et s’en allèrent sans autre conseil et sans nulle armure, seulement armés des bâtons ferrés et de couteaux, en premier à la maison d’un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et brûlèrent la maison. » Ces exactions des Jacques vont se nommer « les Effrois ». Du côté de Senlis, la troupe des Jacques de Guillaume Carle fait des ravages. 

La Jacquerie de 1358 fut un des évènements les plus tragiques de l’Histoire de France.

Dans la région de Poix un autre groupe de 2000 paysans sillonne la région. Il brûle les châteaux et assassine leurs habitants. A leur tête, a été nommé, Simon Doublet de Grandvilliers. Simon est mal à l’aise dans son costume de Capitaine. Il est « effrayé » par les excès, souvent monstrueux, de ses hommes. Dès qu’il en a l’occasion, il s’échappe. Il n’en fut pas moins recherché, plus tard, lorsque ce tragique évènement fut terminé. Les nobles brûlèrent ses maisons et s’emparèrent de ses biens. Les Jacques de Picardie – ils étaient désormais 3 000 – nommèrent à leur tête un nouveau chef, Jehan-le-Fréron.

“ Jehan-le-Fréron est nommé Capitaine des Jacques presque par accident. „

C’était un paysan de Catheux-en-Beauvaisis. C’est sous ses ordres que la troupe s’en alla abattre et brûler le château de Catheux, puis ceux de Mesnil-Saint-Firmin, Thoix, Poix et d’Auffay. Mathieu de Roye, à la tête de sa garnison parvint à défendre son château du Plessier, mais les émeutiers brûlèrent et dévastèrent tous les bourgs et villages, cinq lieues à la ronde. A Crèvecœur, les Jacques brûlèrent sept des maisons de Jean de Crèvecœur. Ils pillèrent et emportèrent tous ses meubles et autres biens qui s’y trouvaient. Durant ces évènements, Jean de Crèvecœur était à Paris, venu servir la cause du Dauphin, à la tête de vingt hommes d’armes, entretenus à ses frais.

Jehan-le-Fréron est nommé Capitaine des Jacques presque par accident.

La Noblesse s’organise pour mettre un terme à cet épisode mortifère. Le Comte de Foix assiège la ville de Meaux tandis que Charles le Mauvais, roi de Navarre, fait route vers Mello. Charles II de Navarre est un Capétien, petit-fils de Louis X le Hutin. Il a des vues sur le trône de France et entend devenir Roi en lieu et place de Jean-le-Bon, prisonnier des Anglais. C’est aussi l’ennemi de Charles, le Dauphin. Son expédition contre les Jacques, dictée par les circonstances, est une forme de retournement. Il rencontre le groupe principal commandé par Guillaume Carle tout près de Mello. Le premier contact est rugueux et ne tourne pas à l’avantage de Charles le Mauvais. Ce dernier décide d’obtenir par la ruse ce qu’il ne peut atteindre par la force. Il s’empare par traîtrise de Guillaume Carle et le fait décapiter. Ses troupes partent à l’assaut des Jacques.  Sans chef, désarçonnés, ils résistent mal aux Navarrais. Plusieurs milliers seront assassinés.

“ Les Jacques sont massacrés. „

Dans la région d’Aumale, la troupe des Jacques de Jehan-le-Fréron affronte un groupe d’hommes d’armes commandé par Guillaume de Picquigny. Le combat tourne à l’avantage des nobles et les Jacques sont décimésAvec les survivants, Jehan-le-Fréron se replie vers la région de Crèvecœur-le Grand. Il s’ensuit, dans tout le nord de la France, une répression féroce, où plus de 20 000 paysans furent pendus ou passés au fil de l’épée.

Les Jacques sont massacrés

Les Jacques traqués par les nobles et les brigands se cachent. Le travail de la terre s’est interrompu et les champs sont en jachère. Dans la campagne en friche, des hordes de mercenaires du Roi d’Angleterre terrorisent les villageois depuis les châteaux qu’ils occupent et qui leur servent de protection. La France est dans un quasi état de collapse. Les quelques personnes sensées qui restent dans le royaume exhortent le Dauphin Charles à prendre des mesures.

Ce dernier est persuadé que, pour forcer les Anglais et les Navarrais à s’éloigner du Parisis et de la Picardie, le plus sûr moyen est de raser les forteresses du territoire, qui servent d’abri à ces forces hostiles. Pour cela, il a besoin des « Jacques ». Les troupes dont il dispose ne sont pas assez nombreuses. Le 14 mai 1358, il promulgue une Ordonnance qui reconnaît et proclame le droit qu’ont les gens du peuple à résister à leurs oppresseurs, « en faisant entre eux des rassemblements à main armée ». « Si ceulx contre qui ces violences seroient exercées n’estoient pas assez forts pour y résister, ils pourront appeler à leur secours leurs voisins qui pourront s’assembler par cri public », précise le texte. Pour mener à bien cette politique, le 10 août 1358 Charles signe une lettre de « rémission générale » en faveur de tous ceux qui avaient participé à la Jacquerie (aujourd’hui, on parlerait d’amnistie). Ainsi, les Paysans de Catheux et d’ailleurs, vont-ils, en échange d’un vague acte de contrition, pouvoir regagner leur paroisse pour y mener une vie paisible. C’est le cas de Jehan-le-Fréron. En Septembre 1359, le Conseil du Roi présidé par le Chantre de Poitiers et maistre Gremier Bonifâcestatue sur le cas du paysan de Catheux-en-Beauvaisis.Après avoir rappelé la liste – fort longue – de ses méfaits, il conclut néanmoins que toutes ces exactions se déroulèrent « contre sa conscience et contre sa volonté. »

le Dauphin sut prendre des décisions hardies qui sauvèrent la France et affaiblirent ses envahisseurs

Finalement, le Dauphin sut prendre des décisions hardies qui sauvèrent la France et affaiblirent ses envahisseurs. A la mort de Jean-le-Bon, en 1364, il est couronné Roi sous le nom de Charles V. On l’appellera Charles le Sage. Il se débarrassera de ses ennemis avec méthode. Etienne Marcel, le Prévost des Marchands de Paris, partisan d’une monarchie constitutionnelle qui, à la tête d’une bande armée, avait investi le Louvre, le 22 février 1358, a eu grand tort de lui laisser la vie sauve. Le Ier août, le Dauphin le fait assassiner. Quant à Charles II de Navarre, dit le Mauvais, il sera perdu par son goût de l’intrigue. Il va comploter avec les Anglais et Etienne Marcel avant de se retourner contre les « Jacques ». Puis, il complotera à nouveau avec l’Angleterre, ce qui aidera Charles V à le marginaliser. Il ne sera jamais Roi de France, comme il l’a toujours rêvé. Il meurt loin de Paris, à Pampelune, en 1387

“ A partir de l’épisode des Jacques, Charles V va s’employer à reconstruire la France. „

A la mort du Roi Charles V, en 1380, il ne reste plus guère aux Anglais que quelques villes maritimes. Édouard III, le Roi d’Angleterre, ne contrôle plus sur le continent que Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux, Bayonne et quelques forteresses dans le Massif Central . Mais, il faudra attendre la dernière bataille de 1453 ou est reprise la ville de Bordeaux et le traité de Picquigny en 1475 pour que s’achève officiellement la guerre de Cent Ans. Calais sera rendue en 1558 et la Rochelle reconquise par Louis XIII en 1628. 

Ainsi cet épisode de la Grande Jacquerie de 1358 où s’illustra Jehan-le-Fréron, fut-il une de ces circonstances où la France affaiblie, divisée, trahie, faillit disparaître. Mais ce furent ces circonstances mêmes qui permirent son sursaut et sa reconstruction : un cas de figure qui s’est présenté plusieurs fois dans l’Histoire de la Nation française.

Annexes :

Jehan Froissart, Chroniques, 1359 (extrait)

« Lors se cueillirent et s’en alèrent, sanz autre conseil, et sanz nulle armeure fors que de bastons ferrez et de cousteaux, en la maison d’un chevalier qui près de là demoroit. Si brisièrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfans, petis et grans, et ardirent la maison. Secondement il en alèrent à un autre fort chastel et firent pis assés. Car il prisrent le chevalier et le lièrent à une estache bien et fort, et violèrent sa femme et sa fille les pluseurs, voiant le chevalier. Puis tuèrent la dame, qui estoit enchainte, et sa fille et tous les enfans, et puis le dit chevalier à grant martyre, et ardirent et abatirent le chastel. Ainsi firent-ils en pluseurs chastiaus et bonnes maisons, et multiplièrent tant qu’ils furent bien {…} Et ces mescheans gens assemblés, sanz chief et sanz armeures, roboient et ardoient tout et occioient touz gentilz hommes que il trouvoient; et enforçoient et violoient toutes dames et pucellez sanz pitié et sanz merci, ainsi comme chiens esragiés. »

Acte royal de Charles V (Régent au moment de la signature de l’acte) : « Rémission »concernant Jehan le Fréron, 1359

« Rémission octroyée à Jean Le Fréron, de Catheuœ, qui avait pris part à la destruction des châteaux de Catheux, du Mesnil-Saint’Firmin, de Thoix et d’Auffay. 

Septembre 1359, à Paris. 

Charles, Savoir faisons à louz presenz et à venir que, de la partie de Jehan Le Freron, de Cateu en Beauvoisiz, nous a esté signifié que, comme, au temps que les genz du plat païs se esmeurent et firent plusieurs effroiz contre les nobles du dit royaume, le dit Jehan, par contrainte de Achart de Bulles, lors capitaine des genz du plat païs de Beauvoisiz, et aussi des dictes gens, et pour doubte de mort, convint qu’il chevauchast avecques eulx, et contre sa volenté le firent capitaine, pour abatre et ardoir et faire abatre et ardoir toutes forleresces et autres maisons de nobles et pour gaster et pillier touz leurs biens, et depuis par la dicte contrainte ycelui Jehan fust venuz au chastel de Cateu i, et eust commanxié à abatre  et ardoir le dit chastel, et ce fait le dit Jehan avec sa compaignie fust alez aus chasteaux du Mesnil, de Thois et d’Auffray, et par semblable manière eust commandé à abatre et ardoir yceulx chasteaulx et plusieurs autres maisons de nobles, et soubz ombre de ce les genz de sa  compaignie eussent pris et gasté touz les biens estanz es dictes forteresces, maisons et ailleurs où il les peurent trouver, la quelle chose le dit Jehan ne leur eust peu destorner à faire, ja soit ce que ce fust contre sa conscience et contre sa volenté, et pour ce se doubte, rémission est octroyée à Jean Le Fréron, ….

Donné à Paris, l’an de grâce mil CGGLIX, ou mois de septembre, par le Conseil estant à Paris, ou quel estoient messeigneurs le Chantre de Poitiers et maistre Gremier Bonifâce »

Bibliographie :

Chroniques de Jehan Froissart, 1359

L’Histoire de la Jacquerie d’après des documents inédits, Siméon Luce, 1894

Sujet Voisin :

Collège Jehan le Fréron de Crèvecœur-le-Grand : Jehan aurait pu se nommer Jacques !

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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