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17 octobre 1918, dans Lille en liesse, la « Délivrance »
« De toutes les maisons, comme à un son de cloche, sortaient les femmes, les hommes, les enfants, les vieillards. Les femmes nous tendaient leurs enfants pour qu’on les embrasse. Les hommes se jetaient sur nous et nous embrassaient. Les femmes, à leur tour, se jetaient sur nous et nous embrassaient. Nous recevions des fleurs des gâteaux, du pain. Nous ne pouvions plus avancer. La foule augmentait. De toutes les rues, accouraient, portant de petits drapeaux, d’autres femmes, d’autres hommes, d’autres enfants qui pleuraient et criaient. « Vive la France ! Vive les Anglais ! »
Albert Londres, texte daté du 17, Le Petit Journal du 18 octobre 1918
Au matin du 17 octobre 1918, après 1465 jours d’Occupation les lillois se réveillent dans un grand silence. Dans la nuit, l’Occupant a pris la route du Nord par le chemin qu’il avait emprunté quatre ans plus tôt.
Après une semaine d’explosions ininterrompues, provenant du sabotage des usines et des équipements publics, après le ballet des camions emportant vers la gare tout ce qui pouvait être sauvé et rapatrié en Allemagne, après un ultime bruit de convois quittant la ville dans la nuit, plus rien ! Les Allemands ont disparu. Seuls, sont restés quelques déserteurs, hagards, sans arme, une pauvre valise à la main. Ils ont préféré devenir prisonniers plutôt que de continuer à participer à cette boucherie sans fin. Pour les habitants de la ville, ce jour si particulier est désigné par un nom : « Délivrance » !
Les sentiments des lillois oscillent entre la joie d’être enfin libres et l’amertume à la pensée des jours écoulés.
« On a vécu pendant quatre ans dans un tombeau, sans nouvelle de sa Patrie et des êtres chers », écrit Eugène Martin Mamy, journaliste et écrivain lillois, dans « Quatre ans avec les Barbares » – un journal, tenu au jour le jour, pendant l’Occupation.
« On a assisté, les poings serrés, à la dévastation de son foyer on a connu l’humiliation d’entendre les cris de joie des ennemis de la France », poursuit-il. « On a été humilié, volé, insulté, incarcéré, on a eu froid, on a eu faim, on a souffert. On a pleuré. Et puis, un matin – ce matin – entendu une femme, au-dehors, qui criait par une fenêtre ouverte : « Y en a plus un dans la rue ! »
Dès neuf heures, la nouvelle parvient aux états-majors alliés.
Aussitôt, un détachement anglais, stationné dans la région d’Armentières prend la route de Lille. Dans les faubourgs du Sud, les premiers soldats sont fêtés comme des héros. L’Armée britannique a l’élégance d’attendre un régiment français pour poursuivre jusqu’au centre-ville. « Ce fut le 1ercorps de l’Armée française qui défila le premier dans la ville rendue à sa patrie. Les 120 000 lillois demeurés dans la cité les acclamèrent d’une même voix en brandissant des drapeaux », (Journal l’Excelsior, 18 octobre 1918).
La Grand-Place est noire de monde : une foule de plus en plus dense, en délire, électrisée par la présence de ses libérateurs et par les avions alliés qui survolent la place en rasant les toits. Dans la cour d’honneur de la préfecture, la Musique des sapeurs-pompiers joue la Marseillaise. Des drapeaux français, ressortis comme par miracle, flottent aux fenêtres des maisons. Les lillois – hommes comme femmes – arborent des cocardes tricolores fabriquées dans la plus grande hâte. Un vent de liberté souffle sur cette foule houleuse qui ressemble à une mer. Des chants d’allégresse retentissent dans tous les coins de la ville. Partout, ce sont les mêmes scènes de liesse.
Mais, tandis que la foule s’est regroupée dans le centre-ville pour vivre cet instant unique et tant espéré de la Libération, dans les faubourgs, des cortèges funèbres aux corbillards tirés à bras d’hommes, car les Allemands avaient remporté tous les chevaux, charrient vers les cimetières de la banlieue leur lot quotidien de morts terrassés par les épidémies. Derrière ces scènes de liesse, beaucoup de celles et de ceux qui avaient vécu ces quatre années terribles d’occupation ne pouvaient se détacher d’une certaine amertume.
Un Lillois écrit à sa famille :
« Nous avons été étonnés d’apprendre par les journaux le délire des Parisiens à la nouvelle de l’armistice. Pour nous, toute notre capacité de joie a été vidée dans les jours de la Délivrance. Pour nous la guerre a été finie ce jour-là. Quel formidable égoïsme n’est-ce pas ? Il faudra bien des jours encore pour que nous soyons redevenus des êtres normaux ».