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Germinal : mes repérages à Anzin avec Caroline

Les bureaux et les ateliers de la compagnie d’Anzin aux alentours de 1900

Certains voyagent vers la mer, d’autres vers la montagne, moi je préfère Anzin, un lieu chargé d’Histoire qui a marqué la littérature française.

Pour écrire Germinal, Emile Zola se rend dans le valenciennois, du 23 février au 3 mars 1884. Il veut voir en vrai, la réalité de la vie dans les mines. Elle remplit les journaux parisiens, car une grande grève vient de se déclencher dans la région du Nord. Les mineurs n’y sont pas décrits à leur avantage par ces journaux qui appartiennent à de riches propriétaires.  Le 25 février, Emile Zola débute son périple à travers les exploitations minières. Il se rend à Anzin. C’est là que se trouve le Siège de la Compagnie éponyme. Il doit retirer son autorisation aux bureaux de la Direction Elle va lui permettre de visiter les exploitations et de descendre au fond. Puis, il se dirige vers le coron voisin, les 72, qui se trouve juste derrière le Siège et ses ateliers. 

Le coron des 72 en 1982

Pendant plus d’une semaine, il va coucher sur le papier ses observations à propos des différents lieux qu’il visite. Il va intituler son manuscrit, « Mes Notes sur Anzin ». Ce petit livret va trouver place, au milieu du « Dossier Préparatoire », avec les autres notes prises avant et après le séjour dans le valenciennois. Le Dossier préparatoire, rangé dans un coin du bureau, va tomber dans l’oubli. Par contre le roman, Germinal, qui décrit le travail et la vie au pays minier, est un coup de tonnerre. Il est en complet décalage avec ce qu’il est de bon ton de publier à Paris. Zola, considéré jusqu’à présent comme un conservateur, devient le « social-traitre » qu’il est urgent de vilipender. En revanche, les syndicalistes et les partis de gauche applaudissent ce qu’ils considèrent comme un roman ouvrier. Le Parti Socialiste publie Germinal en feuilleton. Ce voyage à Anzin et dans sa région est probablement à l’origine de cette bifurcation de l’orientation du récit.  Ce qui aurait dû être un livre sur la violence ouvrière s’est transformé en un roman social, bienveillant.

Plus tard, Zola va aggraver son cas en prenant le parti du capitaine Dreyfus accusé d’espionnage. L’écrivain devient la cible des journaux de droite et d’extrême droite. Il est caricaturé, diffamé, traduit en justice et sera même contraint à s’exiler. Sur son nom se cristallise l’antagonisme des deux France : la dreyfusarde et l’anti dreyfusarde ! A la mort de l’écrivain, des centaines de milliers de personnes – dont une section de mineurs de Denain – vont accompagner le cercueil. Puis, le nom de Zola s’estompe.

Quatre-vingt ans après la parution de Germinal, un professeur de littérature de l’université de Valenciennes, Henri Marel, revient sur cette vieille histoire du voyage à Anzin. Il est petit fils de mineur et né et a vécu toute sa vie à Bruay-sur-Escaut, une commune située au coeur de l’itinéraire de « Mes notes sur Anzin ». Comme il connaît chaque pouce de ce territoire, il est capable de relier les descriptions de l’année 1884 aux lieux de son époque. Il appelle cela « La Géographie de Germinal ». Ce travail sera prolongé par les publications de grands zoliens comme Colette Becker et Henri Mitterand. « Mes notes sur Anzin » vont retrouver une certaine actualité. 

La géographie du roman Germinal, selon Emile Zola.

J’ai fait la connaissance d’Henri Marel au début des années 1980. Il préparait pour le centenaire de la parution du roman – 1885 – une publication qu’il avait intitulée « Sur les traces de Zola dans le valenciennois ». Je m’occupais de la partie photo. Le titre était bien choisi. Calés dans les pas de Zola, nous avons revisité les lieux traversés par l’écrivain. Ainsi, j’ai pu hériter d’une partie de la science de l’universitaire. J’ai essayé d’en faire le meilleur usage, en 1993, en réalisant un film sur le sujet intitulé « Voyage au Pays de Germinal ». La boucle n’était pas totalement refermée. Pour des raisons fortuites, en 2022, je suis revenu sur les lieux. Ils avaient bien changé !

Je n’en avais pas tout à fait fini avec Anzin et Germinal. Dernièrement, j’ai été contacté par Caroline Behague. Elle est réalisatrice et a le projet de faire un film sur la genèse de Germinal. Mine de rien, j’étais le dernier à connaître avec précision la localisation des lieux décrits dans Mes notes sur Anzin. C’est ainsi que nous avons entrepris un petit voyage dans la région de Valenciennes. Nous avons refait le parcours de la journée du 25 février 1884. Nous sommes partis de la gare, où débarque Emile Zola le 23 février. Le bâtiment n’est pas d’époque, mais sa localisation est la même. 

L’ancienne gare de Valenciennes.

L’hôtel ou résidait Zola était l’immeuble de la Poste en 1980. Nous ne l’avons pas trouvé. On passe sur un pont, au-dessus des voies de chemin de fer, puis on tourne à droite, route de Condé, à la recherche des anciens bureaux de la compagnie d’Anzin. Nous avons failli les rater. Par hasard à travers deux constructions disparates, nous avons aperçu l’ancien porche du bâtiment. Ce que furent les ateliers de fabrication et de maintenance de la puissante compagnie d’Anzin est devenu une sorte de centre de logistique. Sans vergogne, nous nous somme baladés au milieu des camions. Puis, direction rue Pierre Mathieu qui donnait jadis accès à la fois au « Cabaret de la Cantinière » qui va servir de modèle à celui de Montsou et au Coron des 72 qui, dans le roman, deviendra celui des 240.

En arrivant, bonne nouvelle, le parking qui avait été sauvagement privatisé par l’EPHAD, construit en lieu et place des 72, a été rendu aux riverains et à l’espace public. Ainsi avons-nous pu garer la voiture à l’endroit où Zola avait stationné sa calèche. La façade de la Cantinière, dans le style des années 1970, est loin de celle du XIXe siècle. Mais, grâce à Henri Marel, je sais que c’était là ! Il y a trois ans, j’avais pu discuter avec les locataires. Je n’avais pas osé demander à entrer. Cette fois – ci, on tente le coup. Caroline tape à la porte. C’est Djamila qui nous ouvre et nous propose d’entrer. L’endroit ressemble plutôt à un salon marocain. Mais sur les murs sont restés des bastaings, vissés aux murs. Ils servaient à accrocher des bancs de bois, typiques des estaminets miniers de cette région. 

Djamila et Caroline dans ce qui fut « Le cabaret de la Cantinière ».

Nous apprenons que, pour faire de la place, Djamila et son mari se sont débarrassés de divers accessoires, dont une grande armoire destinée à entreposer des bouteilles. En pénétrant dans ce lieu chargé d’Histoire, je n’ai pu empêcher un peu d’émotion. Il y trois ans à travers la fenêtre ouverte nous avions pu échanger quelques mots. Le couple mangeait une boite de conserves réchauffée ?

«    –     C’est dur ici, la vie est dure. Et à Lille, c’est comment ? m’avait demandé le mari.

  • A Lille, aussi, la vie est dure ! »`

Il avait l’air plutôt content de ne pas être tout seul. Maintenant, qu’il n’est plus là, la vie est encore plus dure pour Djamila. Elle est non-voyante. Elle trouve ce local trop grand et voudrait vivre en appartement. Elle a fait une demande de mutation à son bailleur social. En partant, Djamila a embrassé Caroline et m’a serré chaleureusement la main.

Le coron des 48, proche des 72 et d’un style voisin est entouré de barrières.

Sur le site des 72, il n’y a plus rien ! Le jardin de l’EPHAD et un parc municipal ont remplacé les constructions. Le Coron des 48 qui se trouve de l’autre côté de la rue – jadis la voie ferrée de la Compagnie – est désormais entouré de grilles, devant et derrière. Selon la presse locale il y aurait beaucoup de délinquance et d’incivilité dans le coin. En tout cas, ce n’est plus un lieu envisageable pour y tourner un film.

Nous avons essayé de nous rendre sur le site de la fosse Thiers qui a servi de modèle au Voreux, dans le roman. Pas facile à trouver ! Elle n’est pas répertoriée par le GPS. Le coron Thiers, par contre, n’a guère changé depuis Zola. L’écrivain l’a visité mais ne s’en est pas servi. L’église et l’école qui sont celles du roman sont assez bien conservées. La Fosse, on l’a trouvée par hasard, en passant devant. Il y a panneau qui matérialise l’endroit et un tableau explicatif qui retrace l’histoire du site.

Pour matérialiser la fosse, un poteau et un panneau explicatif.

Tous ces lieux de Germinal ont bien changé à mesure que progressait l’axe du temps. Aujourd’hui difficile de s’y repérer. On est quasiment au stade de l’archéologie.  Un défi de plus pour retracer en image l’histoire de Germinal !.

Pour aller plus loin :

http://blog.prophoto.fr/emile-henri-claude-et-les-autres-germinal-1982-1983-ii-iii/

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