Emile, Henri, Claude… et les autres : GERMINAL, 1992-1994, III/III

Emile, Henri, Claude… et les autres : GERMINAL, 1992-1994, III/III

En 1992, Germinal revient, pour son avant dernière mouture, celle de Claude Berri, et l’aventure recommence…

Pendant dix ans, je n’ai plus entendu parler de Germinal.

A un moment, j’ai appris que Claude Berri était en train d’en réaliser une nouvelle version. Cela ne me faisait ni chaud, ni froid. Le tournage a débuté sans que cela m’intéresse vraiment. C’est alors que j’ai reçu un appel du directeur du CRRAV (une structure soutenue par la Région) qui me proposait, ni plus ni moins, de suivre le tournage du film, avec le budget, tout cuit qui va avec ! Non mais, c’est incroyable, proposer à un type du service public, de réaliser un film avec des crédits régionaux, quelle hérésie ! Quand j’y pense, j’ai l’impression que ce n’est pas vrai et que j’ai rêvé. On n’était pas encore dans l’orthodoxie de la Commission Européenne ! Ce directeur, YvesGeffray, avait pris ce poste qui le rapprochait de son domicile, mais il avait été le responsable pour France 3 des coproductions internationales.

C’était un battant qui ne s’embarrassait pas des détails.

Ses critères pour lancer une production c’étaient qu’elle soit financée – et çà il savait faire – et que les délais et le budget soient respectés. La raison de ce casting baroque était sans doute que son adjoint, Didier Hespel, m’avait donné un coup de main dans le tournage avorté des années 1980. Il savait que je connaissais assez bien le sujet. Les raisons de cette proposition inespérée tenaient aux circonstances. France 3 avait proposé à RennProductions de suivre les tournages pour alimenter ses reportages et réaliser un making-of. Mais elle s’était vite rendu compte que l’entreprise était budgétivore et avait jeté l’éponge. Quelqu’un à la Région pensait que c’était important de garder trace de l’évènement. C’est ainsi que j’avais récupéré le cadeau empoisonné, mais avec des objectifs revus à la baisse.

Le projet a enthousiasmé mon nouveau directeur. Il s’appelait Jacques Gruwez. Je cite son nom parce que c’était vraiment un type bien. Il n’avait qu’un défaut, c’est qu’il disait « oui »à tout. Après, il fallait suivre la cadence. Il y avait des semaines où soixante heures ce n’était pas beaucoup pour rester dans les délais : loin des stéréotypes de l’idéologie obligatoire. Nous voici donc, mon directeur et moi, arrivant au siège de Renn-Productions,dans le VIIIe arrondissement, tout près de Champs Elysées, … la classe ! 

Dans la cour, il n’y a que des BMW dont le modèle plus ou moins dispendieux indique le niveau dans la hiérarchie de leur propriétaire. Nous voilà reçus par le Directeur de l’époque, un type direct qui pense à toute vitesse. On est persuadé d’avoir toutes les cartes pour emporter le morceau. Mais voici que l’autre déclare : « Un budget c’est bien, mais ce qui nous intéresse ce sont les intentions du réalisateur ! » La réunion, à peine commencée était déjà terminée !

Dans le train du retour, mon directeur était dégoûté.

J’avais quand même un atout en poche : c’était le scénario des année 1980 : une manière de récupérer les investissements infructueux des années passées. Je l’ai exhumé, retapé, relooké comme il fallait. J’avais organisé le sujet en trois films de 26 mn, parce que c’était le bon format pour le créneau-antenne France 3-CNDP, susceptible de l’accueillir. Le reportage de Zola, effectué en1884, était mon premier module. Je l’ai intitulé « Voyage au Pays de Germinal. » 

A peine une semaine plus tard, nous voici de retour chez Renn avec le même interlocuteur. Je voyais bien qu’il était surpris de découvrir un gros document censé avoir été produit en cinq jours, mais comme il était très bien élevé, il n’est pas allé plus loin. Il a posé quelques questions coinçantes – c’était son job – mais il n’a pas été très méchant. C’était bon signe. A la fin il a dit qu’il donnerait un avis favorable mais que c’était Claude Berri en personne qui décidait. Le boulot a été entrepris dans la foulée, livré en épisodes, comme Zola. Est vite surgie une difficulté imprévue : les droits à l’image ! Il y en avait pour une somme très supérieure à mon petit budget. J’ai dû mettre au point un numéro de mendiant roumain, pour attendrir les ayants-droits. Cela prenait du temps mais, quand l’interlocuteur, s’apercevait que je ne disposais pas de la somme qu’il réclamait, il préférait baisser son prix plutôt que de perdre le marché. C’était une chance parce que j’aimais vraiment les extraits que j’avais choisis. Le film a été monté et diffusé à l’antenne pour la première fois en 1993. Henri Marel, décédé en 1992, ne l’a jamais vu.

Quelques jours après la diffusion j’ai reçu une lettre de Valenciennes. C’était Anne-Marie. Elle était toujours vivante mais était désormais totalement aveugle. Elle me racontait que son auxiliaire de vie était venue spécialement à son domicile pour allumer le poste de télévision. Elle avait été contente d’entendre la voix de son mari et disait d’autres choses fort belles. A la fin elle s’excusait par avance de maladresses de la calligraphie ou des éventuelles fautes d’orthographe, car ayant perdu la vue, elle était obligée d’écrire son texte dans un geste continu. Sans erreur, l’écriture remplissait toute la feuille d’une écriture ferme et droite. C’était le message émouvant de quelqu’un qui a l’habitude d’inscrire son propos dans le format d’une page. Je l’ai toujours.

Prolongement :

Voyage au Pays de Germinal

https://www.youtube.com/watch?v=0_1_HWxgSys

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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