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Emile, Henri, Claude… et les autres : GERMINAL, 2021, I/III
La dernière version de Germinal en six épisodes de France TV, réalisée par David Hourrègue, a mobilisé l’attention des médias. Puis, lorsqu’elle a été diffusée, les gens qui, souvent découvraient l’œuvre, avaient l’impression de revivre un moment de l’histoire sociale et économique de leur Région, qui leur était inconnue. Difficile de rester totalement à l’écart, surtout si on a été très impliqué dans cette onde de fond déclenchée depuis un siècle-et-demi par l’écriture du roman, Germinal.
Impossible de sortir en ville ou chez des amis sans entendre parler de Germinal : tel acteur découvert dans un autre film y est très différent ; les conditions de vie des mineurs en ce milieu du XIXe siècle sont épouvantables ; telle scène est vraiment très impressionnante, etc.
En même temps, le journal local (La Voix du Nord) égrenait les différents lieux où le film a été tourné. En cette période de confinement où il ne se passait quasiment plus rien, Germinal était un bon moyen de renouveler l’actualité. Le synchronisme entre le tournage et la pandémie a, d’une certaine manière, été un avantage pour la Production. Les lieux témoignant du passé de la mine ou du XIXe siècle sont devenus des attractions du tourisme mémoriel. Comme ils étaient privés de ressources cela tombait plutôt bien.
Ainsi le fort de Seclin
joyau de l’architecture militaire de la fin du XIXe siècle est transformé en coron minier, celui des « 240 »du roman. Cette cour centrale du fort Séré-de-Rivières est un lieu que je connais bien pour y avoir donné, quelques conférences historiques. C’est une idée qui ne me serait jamais venue ! Mais, après avoir visionné pas mal d’images on finit par s’y faire. Au début, j’avais toujours le pressentiment qu’un membre de la famille Boniface (propriétaire du lieu) allait faire irruption dans la scène… et puis je me suis concentré sur l’histoire. Quelques amis qui partagent cet intérêt pour les vieilles forteresses, m’ont écrit pour s’étonner de cet usage sacrilège et me demander mon avis. Mais, d’autres qui se souviennent que j’ai été, autrefois, réalisateur de documentaires – et en particulier ceux qui ont travaillé sur une série de trois films accompagnant le Germinal de Claude Berri (1993) -, me pressaient de dire ce que je pensais de la série de France 2.
Comme j’ai quelques soucis avec les ondes électromagnétiques, je ne regarde plus guère la télévision. J’ai essayé de faire de mon mieux, avec mon petit ordinateur relié avec un fil, à l’ancienne, mais, impossible de revoir quelques images du Germinal d’Albert Capellani, de 1913. Il n’est visible que sur des sites louches et, sur les sites fiables, il est indisponible. Il ne me reste que de vagues souvenirs datant des années 1990. Pour les décors extérieurs, c’était assez simple. Le réalisateur avait encore tout ce qu’il fallait sous la main. D’après Jacques Schab, le compositeur qui, a« habillé »le film de sa musique, enregistrée avec l’orchestre de Douai, en 2010, le « Germinal »de Capellaniest le plus réaliste, le moins romancé de tous ».On veut bien le croire ! Celui d’Yves Allégret (1963) est devenu une curiosité. Les mineurs du film s’expriment avec un accent parisien des faubourgs. C’est comme si, un bout du Valenciennois avait été transporté dans la Plaine de Saint-Ouen, le temps du tournage.
A part ça, l’adaptation est très fidèle au roman et suit au pied de la lettre le récit de Zola. Après, en 1993, vient celui de Claude Berri. Je n’ai pas eu besoin de le revoir. Je le connais quasiment par cœur et on verra tout à l’heure pourquoi. En ce qui concerne la version 2021 – en épisode, comme le livre qui a d’abord été publié en feuilleton – d’après une source très proche du projet, « Emile Zola était un peu réalisateur ». Je veux ! Mon neveu ! Il avait le goût de l’image.
D’ailleurs, il était photographe
ce qui, à l’époque, était beaucoup moins courant qu’aujourd’hui. Zola était capable de modifier la trame de ses romans pour produire des scènes visuelles. Il n’est pas abusif de considérer que le Voreux, au nom si bien choisi, englouti par les eaux est l’ancêtre du « Film Catastrophe ». La Production de la dernière version en a remis une couche – voire plusieurs -, par rapport à ce goût du fantastique qu’a toujours développé Emile Zola. Ainsi cette scène du puits de mine s’enfonçant dans la terre, en général éludée dans les autres productions, mais présente dans le roman, est-elle traitée avec force et précision par la magie de la mise en scène et du trucage cinématographique. Je connais très bien ce lieu, la fosse de Wallers-Aremberg, pour y avoir tourné moi-même des séquences ou assisté à différents évènements. J’attendais le moment où un petit détail imperceptible trahirait la supercherie. Eh bien, je n’ai rien trouvé ! Le spectateur lambdase laisse embarquer… à tous les coups ! La Série est une succession de scènes qui font images, peut-être au détriment de la tension entre les protagonistes.
Lorsque j’ai eu l’occasion de fréquenter le tournage du Germinal, en 1992
quelque chose m’avait frappé dans le travail de Claude Berri, le réalisateur. Avant ce tournage Je connaissais très bien pour avoir rôdé avec lui dans les bistrots de la rue de la Vanne, à Montrouge, le chef-décorateur du film, Hoang Thanh At. Il n’était pas conventionnel. Il m’avait refilé un scénario du film qui traînait dans un coin du plateau. Ainsi, il m’arrivait de le consulter avant le tournage de la scène – je pense par exemple à celle où Chaval chasse Catherine -. Je trouvais les dialogues plats. Cela ne faisait pas de cinéma dans ma tête. Mais tout était dans les intentions, dans les silences, dans la tension entre les personnages. Quand Berri s’emparait du texte, il prenait tout son sens. Il ne s’occupait guère de la place de la caméra, mais, les acteurs, c’était son truc ! Il déployait une énergie extraordinaire – sans doute déraisonnable par rapport à son état de santé – pour obtenir le résultat qu’il avait imaginé… poussant les comédiens à puiser jusqu’au fond de leurs ressources.
J’ai l’impression que la version 2021 est plus dans le visuel, dans une succession de tableaux, mais je peux me tromper ! Il y a aussi pas mal de scènes et d’intentions rajoutées : un peu de sexe, de sentiment et parfois de violence. Catherine tuant Chaval à coup de pic de mineur c’est plus costaud que Sharon Stone, maniant son pic à glace ! Surtout, ce n’est pas dans Zola ! Les éclairages électriques dans la mine noyée, censée référer à une scène datant de 1884 et plus probablement de 1866, question anachronisme, c’est violent, pour celui qui connaît la question ! Mais, il ne faut pas s’arrêter là. Ce sont des conventions qu’il faut accepter pour poursuivre l’histoire.
La dernière scène qui se substitue à celle où Etienne s’éloigne de Montsou à travers la campagne – une des plus belles pages de la littérature française – c’est de la pure fiction ! C’est une autre histoire ! Et tous ces mineurs de l’année 1866, le poing levé, un symbole inventé dans les années 1920 par le Parti communiste allemand pour faire pendant au salut fasciste, cela déroute ! Mais la scène est bien écrite et bien jouée. Elle nous emporte. Je pense qu’elle aurait bien plu à Emile Zola. En tous cas la série, qui a caracolé en tête des indices d’audience a été plébiscitée par les Français, y compris par ceux – les plus nombreux – qui pensent à droite… voire un peu plus. C’est l’un des exploits de la production de cette Série. L’autre, c’est d’avoir vendu, en 2021, à la Télévision publique de Macron cette histoire communiste de Germinal. Rien que pour ça, je n’ai qu’un commentaire à faire : « Chapeau les gars » !
Prolongement :
Les effets spéciaux dans la Série Germinal :
Pour accéder à la suite :
Emile, Henri, Claude… et les autres : GERMINAL, 1982-1983, II/III