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La Guerre en images racontée par la presse, le Miroir, 21 février 1915.

Cette étude de cas, le Miroir du 21 février 1915, est très éclairante quant à la manière dont les journaux, écrivent le roman de la Guerre et contribuent à l’adhésion du public à sa légitimité.

Dans les années 2014 – 2018, j’ai écrit pas mal de textes sur la période 1914 -1918. Les anniversaires sont l’occasion de raviver le devoir de mémoire. Les textes historiques trouvent les circonstances d’un écho naturel dans le public, ce qui ouvre la voie à quelques débouchés commerciaux. Aujourd’hui, la Guerre de Quatorze n’est plus du tout « bankable ». Il peut paraître futile de s’y intéresser. Il y a dix ans, un document illustré, comme celui-là, valait entre 30 et 60 euros. Cet exemplaire de l’année 1915 m’a coûté 2,80 euro : une misère ! Pourtant, une guerre qui se déroule à moins de 2500 kilomètres de nous, ressemble furieusement à celle du début du XXe siècle. La relation qu’en font les médias d’aujourd’hui présente beaucoup de similitudes avec l’image que renvoie ce vieux Miroir de 1915

L’art de la Une, la décoration du Général Joffre

La Une du journal.

A tout seigneur, tout honneur. L’accent est mis sur le général Joseph Joffre, commandant en chef des armées françaises. En 1915, c’est une icône. Dans les journaux, on l’appelait, « le Vainqueur de la Marne », ce qui était très exagéré. L’issue de la bataille de la Marne de 1914 a surtout résulté d’une erreur de manœuvre allemande, celle l’armée de von Kluck, qui avait pris quelques libertés avec le plan d’invasion peaufiné depuis plus d’une décennie. Cette « victoire » été permise par les généraux frondeurs qui ne croyaient pas à la pertinence des analyses de Joffre qui, lui, voulait se replier de l’autre côté de la Seine.

Quoi qu’il en soit, cette bataille de la Marne, marqua la fin des avancées germaniques, continues depuis le début de la calamiteuse bataille des Frontières voulue et organisée par Joffre. Cette victoire, Joffre s’en attribua tout le mérite, ou peu s’en faut. « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais bien par qui elle a été perdue « , déclarait-il finement.

En 1915, Joseph Joffre est au sommet de sa gloire. Il dirige d’une main de fer le « Château »,surnom donné à son état-major hébergé au château de Chantilly. Le « Château » est un Etat dans l’Etat. Le Gouvernement peu au fait de la science de la Guerre, a délégué à Joseph Joffre la conduite des opérations. Joseph en use et en abuse jusqu’à fournir de fausses informations à la représentation nationale, réduite, pour savoir ce qui se passe vraiment, à lire la presse allemande ! Plus tard, ce genre de comportement sera sanctionné par une promotion-placard avec titre de Maréchal de France.

Mais, en février 1915, l’étoile du général brille à son firmament. La grande Croix de l’ordre de Léopold était sans doute une décoration importante aux yeux de Joffre pour qu’il se lance, toute affaires cessantes sur la route qui de Chantilly va à la Flandre maritime. Un petit bout de terre du royaume, toujours aux mains de alliés, y abritait Albert 1er, le roi des Belges.

Donner aux Généraux le rôle de « tête de gondole » de la Guerre est incongru de nos jours. Les vedettes martiales des médias d’aujourd’hui sont les politiques. Ainsi Vlodymyr Zelenski, acteur de métier, est-il, la figure dominante de la guerre en Ukraine. Il limoge à tour de bras ses généraux, au moindre revers sur le terrain ou bien, au contraire, s’ils commencent à devenir trop populaires. En deuxième rideau on trouve les chefs d’états européens qui se disputent les devants de la scène sans pour autant avoir les idées très claires sur ce qu’il serai réellement pertinent de mettre en œuvre pour peser sur l’issue de la Guerre. 

Le Kronprinz aime se faire photographier

Reproduction de photogrammes de films de propagande prussienne.

Le Kronprinz, c’est Guillaume de Prusse junior, le fils du Kaiser Guillame II. Ce dernier lui a confié le commandement de sa Ve armée. Dans les armées allemandes fédérées, les fils de monarques suivaient toujours des études militaires dans les écoles les plus prestigieuses. L’Académie de guerre de Prusse était l’une des toutes meilleures. Les titres du Kronprinz n’impressionnent guère le journaliste du Miroir qui, en sous-titre, écrit : « Trois des films les plus réussis tournés sous les ordres du « Raté » : « le Clown-Prince comme les Anglais l’appellent préfère léguer à la prospérité son image vivante. » Cette attaque ad-hominem est caractéristique de la presse en temps de guerre.

Elle devient un outil de propagande et non plus d’information. Il y avait bien d’autres raisons de stigmatiser l’armée allemande pour son comportement en ce début de la guerre : exécutions sommaires et massives des prisonniers ; civils passés par les armes ; villes et villages incendiés ; bombardement systématique des zones habitées destinés à provoquer l’effroi dans la population civile. Tout cela constituait des crimes de Guerre que les journalistes actuels choisiraient sans doute de qualifier de « terroristes », ce qui est plus stigmatisant mais ne change rien à la nature des faits.

Cette pratique des reportages de complaisance, mis en scène pour la caméra ou l’appareil-photo, n’était le seul fait de l’armée allemande. Au même moment, dans l’Oise picarde, à l’arrière du Front de Montdidier, l’armée française organisait des manœuvres, à deux pas d’un état-major. Ce spectacle était bien loin des réalités de la Guerre. Le soir, la Comédie française donnait des représentations dans une grange, pour l’édification de la Presse, venue tout exprès de Paris. 

Les soudards allemands se donnent l’illusion d’être les maîtres dans la capitale belge

Kaléidoscope de scènes de la vie quotidienne de Bruxelles occupée.

Le Miroir a récupéré par des moyens inconnus une belle collection d’images de la vie quotidienne des troupes occupantes. On les voit dans différentes situations à l’extérieur et à l’intérieur des immeubles de la ville de Bruxelles. Le qualificatif de « soudard » est très désobligeant. « Coucou bavarois » aurait été plus juste.

Les armées allemandes fédérées se saisissaient sans vergogne des commodités de la ville, chassant les primo occupants et recyclant les bâtiments dans un usage au service de la guerre et du front. Les militaires germaniques avaient aussi la croyance que la main d’œuvre locale était incompétente. C’est pourquoi un escadron de Bavarois s’échine à faire fonctionner une rame de tramway. Aux champs, c’était la même chose. Les soldats allemands se transformaient en laboureurs.

Le Palais de justice, le Palais de la Nation, le Tribunal de commerce, la Salle d’Audience de la Cour d’appel deviennent des lieux de casernement, tandis qu’à l’extérieur, soldats et officiers déambulent fièrement. La photographie était au service de la Guerre en cours. Toute ces images réalisées en territoire occupé permettaient aux allemands de l’intérieur d’avoir une idée convenable de cette guerre menée à l’extérieur des frontières. Ces images rassurantes étaient fallacieuses. La réalité des tranchées avec ses morts et ses blessés était très différente.

La vaine menace des sous-marins allemands

Les beaux documents de l’état-major dévoilés au public.

Encore une fois le Miroir est très habile pour se procurer des documents très confidentiels. Peut-être y faut-il voir une proximité avec le « Château ». Les sous-marins allemands de type U-boat (U 21) étaient plutôt efficaces et ont gêné les approvisionnements surtout au début de la Guerre. Mais l’Angleterre qui possédait la Marine la plus puissante du Monde avait investi dans la construction de Chasseurs de sous-marins. Ce qui avait réduit considérablement leur efficacité.

Un Allemand mort de froid près d’Arras

Une belle photo professionnelle d’un sujet macabre… mais pas trop.

Cette image réalisée par un professionnel, convoqué tout exprès, est une exception. Mise en scène, elle propose sa propre lecture du Front. Ce soldat, mort de froid est mis en avant avec en arrière-plan un groupe de Poilus pour servir le sujet principal. Une image presque apaisée d’une horrible réalité.

Les habitants de Lille ont vécu sous le bombardement des heures particulièrement tragiques

Bombardement de Lille en 1914

Ces quatre photographies ont été prises entre le 12 et le 16 octobre 1914. Comme Lille était bouclée et que photographier était interdit aux Français, la prise et l’acheminement de ces clichés jusqu’à Paris est un mystère. La photographie prise le 12 avec les chevaux des Goumiers, tués par les obus, est très rare mais pas inconnue. Un certain nombre de photo-carte-postales de ce cliché ont été mises en circulation. En revanche, les autres sont inconnues à presque tous. Ces quatre photos réalisées dans le centre de la ville donnent une idée de la réalité du siège de Lille en octobre 1914. Comme la garnison refusait de se rendre les Allemands avaient fait le choix de bombarder la population civile avec des obus de gros calibres et des bombes incendiaires. 2500 maisons du centre furent détruites au cours de ce bombardement. Cette manière d’agir est toujours d’actualité en Ukraine à Gaza et ailleurs. Elle pourrait faire l’objet de critiques venant de la presse, sauf si celle-ci est en faveur ce genre de comportement !

L’empire austro-hongrois avant la guerre et ce qu’il en restera quand la paix sera signée

L’Empire austro-hongrois amputé, si l’Allemagne est vaincue.

Sur une double page, l’analyse comparative de l’empire austro-hongrois, tel qu’il est en 1915 et tel que la publication imagine qu’il sera une fois la guerre terminée. L’empire austro-hongrois réunit des territoires disparates avec des populations aux langues et cultures différentes. Le nationalisme est un bon moteur pour faire naître les conflits et déstabiliser l’édifice. Le Miroir commente ainsi la situation : « La mosaïque austro-hongroise qui ne fut jamais solidement cimenté est à la veille de se désagréger. En dehors des justes revendications qu’on fait valoir les états voisins, l’occasion s’offre trop belle aux différentes races courbées sous le joug des Hasbourg de chercher à s’émanciper. L’empire d’Autriche est aussi malade que son triste souverain ». 

Visiblement, le Miroir, qui connaît beaucoup de monde au « Château » a des idées très précises sur la manière dont l’Empire autrichien – allié de l’Allemagne dans le conflit – sera démembré. Ainsi, au Sud, le Trentin reviendrait à l’Italie, tandis que l’Istrie et toute la façade Adriatique seraient cédées à la Serbie et au Monténégro. Dans la partie Est, le nord de la zone reviendrait à la Russie tandis que le sud serait donné à la Roumanie.

La France et ses alliés, n’étaient pas les seuls à vouloir profiter de la guerre pour s’emparer des possessions des nations ennemies. La Prusse et les autres états allemands fédérés partageaient le point de vue. Une des causes importantes de la guerre était le projet de l’Allemagne d’étendre son territoire au dépens des nations qu’elle aurait vaincue. Ainsi, la Belgique et le Nord-pas-de Calais avaient-ils vocation à constituer une nouvelle région allemande dont la capitale aurait été Bruxelles.

On pourrait se montrer surpris du cadeau fait à la Russie. Mais, en 1915, la Russie du Tsar Nicolas II se bat aux cotés des alliés. Ce front de l’Est était un vrai problème pour l’Allemagne. C’est pourquoi, en 1917, elle organise depuis la Suisse le retour en wagon plombé diplomatique de Lénine. Ce voyage de la Suisse vers la Russie sera complété de trains entiers chargés de lingots d’or et de devises afin de soutenir la jeune révolution bolchevique. L’entreprise fut couronnée de succès. L’Allemagne put négocier avec le nouveau gouvernement soviétique une paix séparée, très avantageuse pour sa poursuite de la guerre contre les Alliés de l’ouest. Mais, quelques années plus tard, elle s’en mordra les doigts. En 1918, des ouvriers allemands, fédérés en soviets, revendiquent un meilleur statut, ce qui, dans une économie de guerre, est un fait dérangeant. Ainsi, l’Allemagne déchirée par ses luttes intérieures a-t-elle dû soustraire du front et rapatrier des troupes d’élite pour mater les ouvriers récalcitrants. Cette décomposition de l’intérieur fut une cause importante de la défaite allemande. En 1915, imaginer une issue de la guerre qui donne la victoire aux alliés était très osé. L’Allemagne, mieux préparée, avec un plan d’invasion cohérent (plan Schlieffen, 1905 )avait plutôt réussi son pari même si sa conquête des territoires ennemis se faisait à un rythme inférieur à celui prévu. Plusieurs fois au bord du gouffre, les Alliés n’ont dû leur salut qu’à une suite répétée de miracles. 

La Guerre est un acte de prédation qui se substitue à la lutte économique. Le but de la Guerre consiste à s’emparer de territoires et de ressources au détriment des pays concurrents. A défaut, on peut se contenter d’une domination où les ressources du pays vaincu seront pillées. Annoncer « cash », dans une publication grand public que le but de la guerre consiste à s’approprier de territoires au profit des intérêts économiques des vainqueurs ne fait plus dans la presse d’aujourd’hui. C’est devenu vulgaire. On préférera lui assigner des buts nobles comme la défense des valeurs : la liberté ou la démocratie ou autres…

Malgré le danger, la fatigue, les souffrances, nos soldats ne dédaignent pas de s’amuser.

La Guerre vue par le Miroir et l’Etat-Major.

Quand l’Allemagne fait réaliser des photographies destinées à renvoyer à l’arrière qui présentent une vision idyllique du front, le Miroir se moque de cette opération de communication. Mais, quand l’Etat-Major français fait la même chose,  il relaie obligeamment les clichés fournis par l’Armée française. Ainsi, pendant cette guerre terrible, on joue aux dames et au billard malgré les amputations. On joue de la musique, on pratique le football au milieu du champ de bataille où on se livre à un combat de boules de neige dans la froidure de l’hiver.

Quelques remarques concernant cette lecture impertinente du Miroir

La presse, aujourd’hui comme hier a le rôle d’accompagnement, voire d’accélérateur de la Guerre. D’autant plus qu’elle est la propriété de ceux-là même qui ont décidé de déclencher les hostilités. L’ennemi est toujours caricaturé, dévalorisé pour mieux justifier les débordements. On ne propose pas au public les images terribles des morts et des blessés qui se comptent par centaines de milliers mais une réalité parallèle, plus désirable. En temps de guerre et même dans les temps d’accalmie de la guerre hybride, la presse est un auxiliaire des actions militaires. Rendre compte de ce qui se passe vraiment serait une idée incongrue qui pourrait conduire à des sanctions.

Le Miroir :

Le Miroir est un hebdomadaire illustré français lancé en 1910 comme supplément du Petit Parisien, puis comme périodique autonome à partir de janvier 1912 et contenant essentiellement des photographies d’actualité. Il devient Le Miroir des Sports en juillet 1920.

A la fin de la première Guerre Mondiale, Le Petit Parisien imprimait chaque jour deux millions d’exemplaires.

D’après Wikipédia… 

 

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