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Le musée des Beaux-Arts de Lille à l’Hôtel-de-Ville, 1847 -1916
Au milieu du XIXe siècle, le musée des Beaux-Arts déménage dans les locaux de l’immense Hôtel de Ville reconstruit. Ce déménagement va permettre d’exposer de manière permanente plus de 250 œuvres c’est-à-dire le double de ce que permettait auparavant les locaux des Récollets.

Ce nouvel Hôtel-de-Ville était l’œuvre de Charles Benvignat.
Il était l’architecte en vogue du Lille de l’époque. Le nouveau bâtiment occupait totalement l’emplacement de l’actuelle Place Rihour. C’était la dernière évolution de cet antique palais que, Philippe le Bon, l’ancien comte des Flandres avait fait construire au XVe siècle. Le Palais Rihour, à l’époque de Philippe et de son fils, Charles-le- Téméraire était la plus grande résidence privée au nord de Paris. Dans ce lieu immense, il y place pour que s’épanouissent les nouvelles collections, numismatiques et archéologiques, les céramiques, les statues… et, bien entendu, les nombreux tableaux remarquables de ce grand « Musée de Province ». Le deuxième étage du bâtiment est consacré entièrement aux musée des Beaux-Arts. Il comporte à terme onze salles : ouvertes progressivement depuis 1848, jusqu’en 1880.

Le conservateur d’alors s’appelle Édouard Reÿnart.
C’est lui qui a assuré la transition entre les deux bâtiments municipaux. Aucun autre conservateur autant que lui n’aura autant marqué l’Histoire des musées Lillois. Il est celui qui est resté le plus longtemps dans la fonction (38 ans), de 1841 à 1879. Reÿnart s’est illustré par sa politique volontaire d’acquisition d’œuvres nouvelles. Rien qu’entre 1848 et 1862, il va réussir à enrichir les collections de « son musée » de 122 tableaux supplémentaires. Edouard Reÿnart était un feu follet entreprenant à l’esprit indépendant. Issu de la grande bourgeoisie lilloise, il était l’ami de nombreux notables, riches et puissants. Pour limiter son pouvoir et ses initiatives foisonnantes, le maire de l’époque, Louis Bigo-Danel, imprimeur de son état, flanque le conservateur d’une Commission. Elle est composée de membres des Ecoles Académiques et des Professeurs de peinture.

Aucune restauration ou achat ne peut plus être désormais effectué sans l’avis favorable des deux tiers des membres de la Commission ad-hoc. Pire, en plein déménagement des Récollets vers l’Hôtel-de-Ville, alors que le doublement des œuvres exposées se traduit par un surcroît de travail, la municipalité décide de supprimer le traitement du conservateur !
Ce dernier, qui n’était pas sans rien, ne semblait pas en prendre ombrage. Il professait à qui voulait bien l’entendre, qu’en « ce moment de grande misère du Peuple, il était normal que chacun fasse des effort ». Reÿnart fit, de sa propre initiative, le sacrifice de son salaire, ce qui coupa l’herbe sous les pieds de ses détracteurs. Le visiteur du nouveau musée, éloigné des manœuvres de Palais des hautes sphères lilloises, avait tout lieu d’être satisfait.
Les tableaux disposés dans de vastes salles, bien éclairées, étaient parfaitement mis en valeur. Par rapport aux Récollets, c’était le jour et la nuit. Le conservateur, dans l’ombre, travaillait à enrichir les collections du musée… parfois, sans quitter son bureau ! Il pouvait se reposer sur l’audace et le dévouement de ses amis. Ainsi en 1857, Charles Benvignat, l’architecte de l’Hôtel-de-Ville-Musée et Victor Mottez, le peintre lillois, se rendent de concert en Italie Au cours de leur périple, dans des circonstances obscures, ils réussissent à mettre la main sur deux médaillons de Paul Véronèse cédés à prix d’ami. Précédemment, ils ornaient le Palais Barbarigo de Venise. Ils les cachent dans la cale d’un navire en partance pour la France. Après quelques temps pendant lequel l’événement n’avait fait aucun bruit, ils en firent don au musée, réclamant simplement le remboursement de leurs frais ce qui ne représentait même pas le dixième de la valeur des œuvres.

Mais, Reÿnart, malgré les pouvoirs de la Commission, militait pour une politique d’achat des nouvelles œuvres, en rapport avec le prestige d’une ville qui claironnait vouloir rester la capitale des Flandres. Il insistait auprès des édiles sur la nécessité de dégager un crédit annuel pour acheter de nouvelles œuvres. Le Beffroi faisait la sourde oreille. Mais, quelques années s’étant écoulées, la municipalité accorda généreusement 1000 Fr par an au musée de peinture. Cette subvention augmenta de manière progressive jusqu’à 9000 Fr/an sans compter les frais d’entretien des locaux.

Un épisode, au cours duquel le musée va faire l’acquisition de deux œuvres majeures est resté dans les annales.
En 1874, Reÿnart est informé que deux tableaux du maître espagnol, Francisco de Goya, sont en vente il s’agit de « Les Jeunes » et « Les Vieilles », deux représentations allégoriques exceptionnelles. Il se déplace aussitôt et se positionne pour l’acquisition ces deux trésors de l’Art espagnol. « Les Jeunes » plaisent beaucoup à la Commission qui donne son accord pour l’achat, mais pas Les Vieilles » ! Selon la Commission, la laideur de ce tableau déparerait le musée de Lille. Il aurait été dommage de disjoindre ces deux tableaux. Reÿnart achète Les Vieilles » sur ses propres deniers. Quelques temps plus tard, il en fera don de manière anonyme au musée.
Des donations importantes contribuèrent aussi à enrichir les collections.
Ainsi en 1873, Alexandre Leleux, grand amateur d’art, rédacteur en chef et propriétaire du Grand Echo du Nord – le journal le plus lu à Lille – offre-t-il au musée sa collection de 122 tableaux parmi lesquels on trouve « Le Champ de blé » de Jacob van Ruisdael. Antoine Brasseur, petit Lillois pauvre avait fait fortune à Cologne comme marchand d’Art. Il n’avait pas d’héritier. Reÿnart fit plusieurs fois le voyage à Cologne, suggérant à Brasseur de faire du musée de Lille, son légataire.

C’est ainsi, qu’en plusieurs lots, 140 tableaux de maîtres hollandais, allemands et flamands, vinrent de Cologne vers Lille parmi lesquels le « Jeune fumeur de pipe délaissant l’étude » de Pieter Codde. A sa mort, Antoine Brasseur légua une partie de sa fortune au musée ce qui permit de conforter sa politique d’acquisition. Reÿnart, peintre, conservateur bénévole et même parfois mécène, malgré ses méthodes controversées, fit passer les collections de 188 tableaux en 1841, à son arrivée à 715 lors de son départ. A la mort de Reÿnart, en 1879, est nommé à la tête du musée de peinture, Auguste Herlin. C’est un peintre réputé, une sorte de précurseur de Jean-François Millet, habile à représenter les scènes de la campagne.
C’est à ce moment que le maire fit part de sa décision de supprimer la fonction de conservateur. Auguste Herlin remplit alors la fonction sans autre titre que celui de vice-président de la Commission. Sa politique d’acquisition d’œuvres nouvelles, bien que moins ambitieuse que celle de son prédécesseur n’est pas pour autant négligeable. Ainsi, lorsqu’une riche donatrice propose de faire à la ville de Lille l’un de ses tableaux – très côté à cette époque- il la persuade d’offrir plutôt l’œuvre d’un autre artiste, « La Becquée » de Jean-François Millet. C’est ainsi que ce tableau est entré au musée.

C’est sous la direction bénévole d’Auguste Herlin que, le musée Rihour devenant trop petit, on décide de la construction d’un nouveau musée, le Palais des Beaux-Arts, place de la République, face à la préfecture (une histoire que nous raconterons plus loin). Débuté en 1885 il ne sera achevé qu’en 1892. En raison de son âge, Auguste Herlin, désormais très âgé, quitte ses fonctions de conservateur du musée de Lille cette même année. Le suivant, Eugène Deully ne rentrera en fonction qu’en 1897, poste qu’il occupera jusqu’en 1912.
Son successeur, Emile Théodore, dans la grande lignée des conservateurs bénévoles de la ville de Lille s’illustrera pour sa défense des collections lilloises face à la rapacité des occupants allemands jamais à court d’idée pour spolier le patrimoine artistique français. Son action héroîque sera déterminante pour sauver une grande partie des toiles qui se trouvaient dans les locaux de l’Hôtel-de-Ville, incendié mystérieusement le 23 avril 1916.

Sujet voisin :
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