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Le musée des Récollets, le premier musée des Beaux-Arts de Lille, 1809 – 1847

Après une période de rodage laborieux, le premier musée des Beaux-Arts de Lille va s’établir dans l’ancien couvent des Récollets.

L’ancien couvent des Récollets, réquisitionné pour y entreposer les biens mobiliers confisqués, situé au bout de la rue des Arts.

Erigé à l’extrémité de la rue des Arts, cet endroit semblait prédestiné à accueillir des collections de sculptures et de peintures. L’ouverture de ce premier musée lillois est la conséquence d’un décret du Consulat, instituant la mise en place des musées de Province. Pourtant le projet d’ouvrir un musée dans la capitale des Flandres était dans l’air depuis longtemps. Dès 1790, sont stockées dans ce couvent des Récollets les œuvres d’Art réquisitionnées par l’Etat révolutionnaire. Elles proviennent des châteaux, des églises et des monastères de la région et sont environ au nombre de huit-cents. Ce trésor est entassé dans des conditions précaires, sans logique et sans inventaire… sans possibilité de le partager avec le public. 

Louis-Joseph Watteau, dit « Watteau de Lille ».

Le peintre Louis-Joseph Watteau (1731-1798) propose dès la fin de l’année 1793 au Directoire du district de Lille de constituer un musée à partir du patrimoine artistique contenu aux Récollets. En 1795, il est nommé officiellement afin « d’assurer la gestion des œuvres » du couvent ainsi que de celles toujours sous scellé dans les édifices religieux et les demeures privées. La municipalité lui octroie généreusement une subvention de 3 738 francs pour le bon fonctionnement de sa mission.  Louis Joseph est un peintre issu d’une famille valenciennoise.  En 1765, il est venu s’installer à Lille, espérant y trouver une clientèle plus prospère.

Comme, dans la famille Watteau, on est tous peintres de père en fils – ou peu s’en faut – on le distingue en le désignant sous le nom de « Watteau de Lille ». C’est un passionné qui mène sa tâche avec application et compétence. A partir du patrimoine des Récollets, Louis-Joseph va renouer avec une tradition d’avant la Révolution : l’organisation dans l’Académie des Arts voisine d’expositions temporaires. Elles sont surtout destinées aux étudiants des Beaux-Arts et ne touchent pas un large public. Au couvent des Récollets, on ne tente aucune manifestation publique. A partir de 1801, date de l’officialisation des musées de Province, le rythme des expositions temporaires dans différents lieux de la ville s’accélère. 

« La Procession de Lille de 1789 », François Watteau, 1758-1823, Hospice Comtesse

En 1803, on commence à envisager sérieusement de transformer le couvent et sa chapelle en lieu capable d’accueillir le public. Une balustrade est aménagée.  L’Etat attribue au musée de Lille quarante-six œuvres supplémentaires de premier plan, prélevées sur les collections nationales du Louvre et de Versailles. On y trouve – entre autres – le portrait de Marie de Médicis par Van Dick, la Nativité de Philippe de Champagne, le Martyre de saint Georges de Véronèse….  La municipalité vote une somme de vingt-mille francs pour aménager la chapelle. Il y a beaucoup à faire pour mener à bien la gestion de ce patrimoine pléthorique. Il est urgent de restaurer beaucoup de tableaux. Ils ont beaucoup souffert. C’est un travail particulier que seuls les ateliers parisiens sont en capacité de réaliser… à des tarifs très onéreux. En outre, on décide de doter le lieu d’une bibliothèque thématique de 20 000 volumes. Tout cela prend du temps ! 

La galerie d’exposition des Récollets,Isidore Bonnier de Layens, 1825, Palais des Beaux Arts, Lille

Le musée de Province des Récollets, premier musée des Beaux-Arts de Lille, ouvre enfin ses portes au public, le 15 août 1809.  Il propose 109 œuvres de très grande qualité. La salle d’exposition a été aménagée dans l’ancienne chapelle du couvent. C’est un local tout en longueur avec comme seules ouvertures deux fenêtres en ogives à chaque extrémité. Au centre de la galerie, l’éclairage est très défectueux, ce qui nuit à l’examen des œuvres. Elles sont, cependant, remarquables. On s’attendait à recevoir un public nombreux. Le musée, malgré la qualité exceptionnelle de sa collection n’est pas un franc succès auprès des Lillois.

Mais l’endroit est encensé par les visiteurs étrangers connaisseurs.

Ils sont, ravis et surpris d’y découvrir autant de chefs d’oeuvres des peintures françaises, flamandes et italiennes. En 1813, il se produit un évènement fâcheux. Les Récollets sont sous la direction d’Henri-Joseph Van Blarenberghe qui a succédé depuis quelques années à Louis-Joseph Watteau et qui sera le premier Conservateur en titre de la ville. Comme son prédécesseur il est peintre et issu d’une dynastie de peintres. Sa responsabilité se limite à l’animation du musée et au choix des toiles exposées. Les œuvres visibles dans la galerie comme celles des « réserves » sont la propriété de l’Etat. Ni le conservateur, ni la municipalité ont leur mot à dire sur leur gestion. Elles dépendent de l’autorité du préfet et de la commission spécialement désignée par lui pour remplir cette tâche, la « Commission des Arts ». Elle est composée de notables proches du pouvoir politique.

La connaissance de l’Art et son Histoire ne sont pas les critères pour remplir la fonction. L’ancien couvent de la rue des Arts regorge d’objets mobiliers – surtout des toiles – entreposés dans des conditions précaires.  Si on voulait les exposer, elles nécessiteraient une restauration coûteuse. Ce sont essentiellement des tableaux des XIVe, XIVe et XVIe siècle. Ils sont considérés comme un fatras obsolète et sans intérêt par le conclave des édiles. C’est ainsi que le baron Duplantier, préfet du Nord, informe de sa décision de vendre aux enchères publiques 354 tableaux conformément à l’avis de la Commission. Cette vente rapportera à l’Etat la somme dérisoire de mille-trois-cent-soixante-cinq francs et cinquante centimes. 

Le retable de l’Agneau mystique, 1432 Hubert et Jan van Eyck, cathédrale Saint Bavon, Gand.

Parmi ces tableaux vendus, se trouvent des œuvres magistrales dont le Retable de l’Agneau Mystique des frères van Eyck.

Ce tableau occupe une place singulière dans l’Art et son Histoire. Il semble qu’il ait été une copie d’époque de celui de la cathédrale Saint-Bavon, de Gand.  Jules Houdoy, pourtant président de la « Société des sciences et arts de Lille » ne craint pas d’écrire à propos de la vente de ce tableau hors du commun, « Etudes Artistiques », 1877, « Ce tableau est le premier, Je crois, qui a été peint à l’huile, c’est son plus grand mérite. » Quelques-unes de ces œuvres bradées pour une bouchée de pain vont réapparaître quelques années plus tard et rejoindre des églises et des musées, mais pas le Retable de l’Agneau Mystique ! Il est perdu pour toujours ! On ne saura jamais s’il s’agissait comme c’est vraisemblable d’une copie voisine de l’oeuvre connue de la main de Jan van Eyck, le frère cadet survivant. 

Autoportrait, Jan van Eyck, 1433

Il a vécu à Lille de 1425 à 1430. Il y occupait le poste de peintre officiel de Philippe le Bon, duc de Bourgogne et comte des Flandres. Il est probable qu’une partie de l’Agneau ait été peinte à Lille entre 1426 (date du décès d’Hubert, son frère aîné) et 1430. Le retable achevé a été inauguré en 1432. S’agissait-il d’une copie à l’identique ? ou simplifiée ? Par qui l’œuvre lilloise a-t-elle été commandée ? Où se trouvait-elle ? Faisait-elle partie de l’inventaire de Louis-Joseph Watteau de 1792-93 ou bien a-t-elle été acheminée aux Récollets plus tard ? Autant de question passionnantes dont on n’aura sans doute jamais les réponses ! 

Entre 1813 et 1826, date du décès d’Henri-Joseph Van Blarenberghe le fonds ne s’enrichit guère car les crédits pour des acquisitions nouvelles était proches de zéro. Mais Henri-Joseph Van Blarenberghe fit preuve de combativité pour sauvegarder le patrimoine des Récollets. En 1816, 1’Etat lui réclame – pour les restituer – huit des quarante-six tableaux envoyés en 1801. Henri-Joseph fait la sourde oreille malgré des avertissements de plus en plus pressants. Quand il se sent contraint de répondre c’est par des atermoiement et des manœuvres dilatoires. Les services consulaires étrangers finirent par se lasser. Finalement, le ministre avertit Henri-Joseph qu’il pouvait garder ses tableaux. C’est ainsi que Lille a pu conserver la Mort de la Madeleine de Rubens, les quatre Couronnés, de Crayer et quelques autres chefs d’œuvre de l’Art européen. L’honnêteté ne paie jamais ! 

La Mort de la Madeleine, Rubens, Palais des Beaux Arts de Lille.

Peu à peu, les Récollets trouve son public.

Sa fréquentation n’est pas extraordinaire mais devient tout à fait honorable. van Blarenberghe décède en 1826. Il est remplacé en 1828 par Isidore-Ernest-Joseph Bonnier de Layens. Sans forcer son talent le nouveau conservateur va pouvoir enrichir le musée de Lille d’œuvres fortes.

En 1834, la ville et le musée héritent d’un trésor exceptionnel, le legs Wicar. Jean Baptiste Wicar, né à Lille est un riche portraitiste de réputation européenne en même temps qu’un collectionneur averti. Dans les œuvres léguées au musée on trouve 1300 dessins d’artistes européens ainsi qu’un bas-relief de Donatello et une Tête de cire du temps de Raphaël. Malgré de multiples restaurations elle était considérée, à l’époque comme le chef d’œuvre des musées français, à l’égal de la Joconde du Louvre. 

La tête de cire du temps de Raphaël, pièce majeure du legs Wicar

En 1842 François Édouard Joseph Reÿnart, prend la direction des Récollets.

Il va régner sur ce musée ainsi que sur le suivant pendant quatre décennie. Infatigable, pugnace, entreprenant, entouré d’amis fortunés et amoureux des Arts, il va beaucoup s’employer à enrichir le musée de nouveaux chefs-d’œuvre. Lorsqu’il était informé d’une transaction intéressante, il n’hésitait pas à la conclure sur ses propres deniers ou ceux de ses relations. Ses méthodes cavalières n’étaient guère appréciées en haut lieu. Mais son réseau relationnel et ses manières joviales lui permettaient le plus souvent de triompher de toutes les embuches. De 188 tableaux en 1841, le musée va passer à 715 lors de son départ en 1875. En 1847, le musée emménage dans l’Hôtel-de-Ville rénové. Quelques années plus tard le couvent des Récollets sera rasé. A sa place, on construira le lycée impérial  qui deviendra plus tard le lycée Faidherbe 

Le lycée impérial, puis Faidherbe.

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