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Radiographie du faubourg du Sud, 1917-2023, Lille, 59000
Entre ces deux images, il s’est écoulé plus d’un siècle. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Pas aux « Dix-huit ponts », le quartier représenté sur cette image, car il n’a jamais existé aucun cours d’eau dans le secteur. La ville s’est transformée, même si on note de nombreuses correspondances entre les deux images.
A l’occasion d’une demande de renseignement concernant un document que j’ai probablement publié, mon attention s’est remobilisée sur la période de la fin de la première Guerre mondiale. La photographie représente le sud de la ville de Lille, de la porte de Paris jusqu’au débuts du no man’s land qui bordait les remparts de l’époque. Un document très voisin – peut-être provient-il du même négatif – propose, pour une version recadrée, 1916, comme date de la prise de vue (Bibliothèque municipale de Lille, publiée sur Wikimédia). C’est tout à fait possible, mais alors, ce serait à la fin de l’année, ou en 1917, voire en 1918… ou encore plus tard. J’ai acheté un tirage de ce document en 2015 ou en 2016. Il était proposé sur E-Bay Allemagne, sans référence quant au lieu de prise de vue. C’est une photo grand format (18X24) qui a probablement été généré par « tirage contact ». C’est ce que suggère la taille du document et la croix blanche produite manuellement.
Cette croix indique les quatre points cardinaux.
Le haut, c’est le Nord. C’est une des raisons pour laquelle, il est permis de penser que cette photographie a pour but de cartographier le lieu. Alors que les photos aériennes de cette époque de la Guerre sont réalisées à main levée, avec l’angle oblique que permet le cockpit de l’avion, celui-ci est différent. Il provient d’une chambre utilisant des plaques de verre. L’appareil photographie verticalement à travers une trappe ménagée sous l’avion.
Ce quartier du Sud est une extension de la ville résultant de la décision en 1856 d’englober des communes de la périphérie… et notamment Moulins et Wazemmes. Un nouveau rempart va être construit (1865-1870) tandis que l’ancien sera rasé. Au Nord, on distingue la limite de cet ancien rempart (boulevard Louis XIV, porte de Paris, boulevard de la Liberté). Au Sud, se dresse la nouvelle muraille avec ses bastions et ses portes. La colonisation des terres agricoles de la plaine des Moulins avait débuté avant cette décision d’agrandissement de l’empereur Napoléon III. Dès les années 1840, des manufactures conformes aux standards de l’époque s’étaient établies dans le secteur des Moulins.
Le nouveau plan d’urbanisme est une forme de régularisation d’un mouvement amorcé depuis une quinzaine d’années. Les nouvelles rues sont larges et rectilignes et mènent, du centre aux portes de la ville. Le boulevard des Ecoles est très vaste. C’est une sorte de jardin public destiné à agrémenter la vie des Lillois de ces quartiers de luxe nouvellement construits. En face, on trouve la gare Saint-Sauveur, terminée en 1865. Elle est dédiée au transport des marchandises. Un petit train de ceinture lui permet de desservir les portes du Sud jusqu‘au Port fluvial.
Mais, à l’époque où a été prise la photo, elle a une autre fonction.
L’Occupant allemand en a fait un élément important de la guerre qu’il mène sur le front Ouest. Elle permet d’acheminer depuis l’Allemagne, les soldats et le matériel pour la portion du front qui va de Douai à Arras ainsi que le courrier militaire de la Feldpost. Un train Saint Sauveur – Bruxelles fait la navette plusieurs fois par jour. Un élément sensible est le bastion dit des Dix-Huit ponts ainsi appelé à cause de l’architecture en plain-cintre de la batterie 250 où s’est produit la catastrophe la plus tragique de l’Histoire de Lille (en bas, à droite). Il va servir de dépôt de munitions à l’armée bavaroise dès le début de l’Occupation. Mais, au petit matin, le 11 janvier 1916, il explose soudainement. Tout le quartier proche sera rasé et on déplorera plus d’une centaine de morts parmi la population de Moulins, ainsi qu’une quarantaine de soldats allemands. A l’époque du cliché, autour du bastion détruit, la place est nette. En face, la parcelle rectangulaire correspond à l’ancien Arsenal, totalement soufflé par l’explosion.
Dans la photo aérienne contemporaine, beaucoup d’éléments du Lille des années de Guerre, sont toujours là.
A la suite de l’explosion du bastion, à part quelques détails, les rues sinistrées, bien qu’élargies, ont été reconstruites sur le tracé initial. L’ancien Boulevard des Ecoles devenu, boulevard Jean-Baptiste Lebas, un temps devenu un parking, a retrouvé sa vocation de jardin Public. L’enclave correspondant à la gare Saint-Sauveur existe toujours. Mais, ce n’est plus une gare. D’ailleurs, on la nomme, « la Friche Saint-Sauveur ». La partie d’accueil, avec son parking, est désormais recyclée en « Maison Saint-So ». On y donne des concerts, des spectacles, des DJ sets, du cinéma jeune public, il s’y déroule des ateliers, sans oublier « la Ferme urbaine, la Guinguette du Cours St-So et le Bistrot de St So ». Le reste, la friche, (23 hectares), est devenu la propriété de « Métropole Européenne de Lille ». De grands projets de ré-urbanisation promettent au quartier un nouveau développement urbain. Entre les études et les recours juridiques de diverses associations, il s’est écoulé plus de dix ans. Mais les premiers travaux viennent de débuter.
Un changement important a été la colonisation du no man’s land autour de l’ancien boulevard de ceinture par de nouvelles constructions (essentiellement des logements HLM). Pour la petite histoire, l’une des rues de ces quartiers s’appelle, Charles Delesalle, du nom de l’ancien maire pendant l’Occupation. A l’Est, un bâtiment important, la Foire commerciale, a été érigé après-Guerre.
L’ancien Arsenal n’a jamais été reconstruit.
Il a été remplacé par l’hôpital privé, Saint-Vincent. L’essentiel de la zone où s’est produit le sinistre n’a jamais été réinvestie. Elle a été laissée à l’état de pelouse : un hasard, sans doute ! L’élément le plus marquant de cette évolution a été l’extension de la ville en périphérie, jusqu’à une ceinture constituée des deux rocades urbaines, l’une à l’Est vers la Belgique et l’autre au Sud vers Dunkerque, connectées à l’autoroute en direction de Paris et Valenciennes.
Prolongement :
http://blog.prophoto.fr/11-janvier-1916-quartier-moulins-lille-lexplosion-des-dix-huit-ponts/