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Quand Lille devient allemande, 4 – 12 octobre 1914

Début octobre 1914, Lille est assiégée pendant plus d’une semaine. Malgré la résistance héroïque de sa garnison, elle devra se rendre à l’ennemi.

Les soldats allemands pénètrent par la porte de Douai
Les soldats allemands pénètrent par la porte de Douai (image de propagande)

Cette prise de Lille marquera le début d’une douloureuse période d’Occupation.

La population sera maltraitée tandis que le potentiel économique de la Cité sera en grande partie détruit. En 1918, l’armistice signée, la grande question que vont poser les Lillois qui sortent de ces quatre années de cauchemar sera de savoir si ce désastre aurait pu être évité. Pour bien des commentateurs, Lille aurait dû être mieux défendue. 

Lille était la place-forte la plus septentrionale du territoire français. Elle constituait le premier rempart contre les invasions, en particulier celles de notre voisin allemand, très coutumier du fait. Depuis les années 1870, les dirigeants français, civils et militaires, n’avaient aucune illusion sur les intentions de l’Allemagne d’étendre son hégémonie en Europe en contrôlant de nouveaux territoires. La Guerre permettait aussi à l’Allemagne de détruire le potentiel industriel des Etats voisins et de s’affranchir de toute forme de concurrence économique. 

À Lille, le dispositif de défense est élaboré.

La ville est protégée par un rempart entouré de « forts de ceinture ». Le dispositif est doté d’une artillerie conséquente. On l’avait constitué à grands frais pour se prémunir d’un nouveau désastre tel que celui vécu lors de la guerre de 1870. De 1875 à 1914, pendant presque 40 ans, il avait été suffisamment dissuasif pour imposer la paix. 

La Porte de Valenciennes
La Porte de Valenciennes, achevée en 1870, elle appartient à la Nouvelle enceinte-Sud. Elle marque la volonté de doter les villes d’un système de défense, avant la funeste Guerre de cette année-là.

En 1914, la situation est différente.

Les progrès de l’artillerie et l’efficacité des nouveaux explosifs rendent la défense des forteresses et des villes moins efficaces. L’entretien des places fortes et de leurs garnisons a un coût élevé pour l’économie du pays. Au plan local, les remparts sont un obstacle à l’extension des villes et au développement d’opérations immobilières juteuses.

À Lille, toutes tendances confondues, le Conseil municipal milite pour la destruction de l’enceinte militaire qui enserre la ville. D’ailleurs, Georges Vandame, député du Nord mais aussi adjoint aux finances du maire conservateur, Charles Delesalle, avait décroché le poste de rapporteur du projet de loi sur « le déclassement définitif des places du Nord ». Il milite ardemment pour la démolition des remparts. Le dossier des villes fortifiées n’a pas bonne presse auprès des politiques.  La doctrine militaire, depuis les années 1870, est fondée à la fois sur « l’offensive » et « la défensive ». Celui qui l’incarne et la met en pratique est le général Michel, chef des armées.

En 1911, le général Joseph Joffre propose au Conseil une doctrine « moins-disante » sur le plan financier reposant uniquement sur « l’offensive ». Michel est remercié dans des conditions Indignes et Joffre prend sa place.

Georges Vandame
Georges Vandame, député du Nord, adjoint aux finances à la mairie et Joseph Joffre, général en chef des Armées, deux protagonistes de notre histoire.

C’est dans ce contexte que, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France.

Tous les soldats, mobilisés, quittent la ville en direction du front de l’Est. Bientôt, l’Armée française recule.  La Marne, est un premier revers pour l’Allemagne. Le Front se fige. Lille est en dehors de la sphère de la guerre. L’Allemagne attaque alors au Nord. Elle envahit la Belgique. Liège tombe le 16 août. Lille et sa région sont réintégrées dans « la zone des armées » sous la responsabilité directe de Joffre. On remet les remparts et les forts en état de marche. On délègue à Lille 1000 canonniers et 9000 hommes d’infanterie.

L’ordre formel du gouvernement est : « Résistez ».

Le 22 août, des éléments avancés de l’armée allemande sont repoussés par les batteries des forts de ceinture. Mais, l’avancée des armées allemandes en territoire belge, s’accompagne d’exécutions sommaires et de massacres des populations civiles. De plus en plus de réfugiés belges affluent à Lille. Ils apportent dans leur bagage des récits terribles. Les édiles lillois prennent peur. Le 24 août, une délégation du conseil municipal de Lille demande à René Viviani, président du Conseil, que la cité soit déclaré « ville ouverte » c’est-à-dire qu’elle ne soit pas défendue en raison des difficultés à pouvoir le faire. Les représentants lillois obtiennent gain de cause. 

Le mortier Krupp de 420 mm
Le mortier Krupp de 420 mm fleuron de l’artillerie allemande à l’assaut des villes et places-fortes.

Les défenseurs de Lille quittent la place le soir même.

Il s’ensuit un grand désordre où des éléments incontrôlés des troupes qui battent en retraite pillent les magasins militaires. Des armes et munitions en quantités importantes sont laissés à l’abandon. Des éléments de l’Armée allemande pénètrent en ville et s’emparent de la mairie. Puis, ils disparaissent comme par enchantement. La guerre semble avoir délaissé la ville. Jusqu’au début octobre, il ne se passera plus rien de sérieux.

Mais, l’État-major du Général Joffre se rend compte subitement que Lille est un nœud ferroviaire de première importance pour acheminer des soldats dans les batailles en cours, dans le dunkerquois et l’arrageois. En toute hâte, le 10 octobre, l’Etat-Major envoie 4000 soldats de la Réserve de la territoriale accompagnés de quelques centaines de cavaliers – les goumiers – pour défendre la ville.  Les premiers obus pleuvent aussitôt sur Lille. Le lendemain, le bombardement reprend de manière systématique. Sans discontinuer, des obus de gros calibre et les bombes incendiaires pilonnent la ville. 

Lille bombardée en octobre 1914
Lille bombardée en octobre 1914.

L’artillerie de Guillaume II cible les manufactures et le centre-ville.

Des quartiers entiers sont en feu. Cependant, les assauts des fantassins allemands sont repoussés. Les territoriaux et les goumiers tiennent les remparts.  Dans les rues qui mènent aux portes de la ville, les cadavres de soldats ennemis sont innombrables, résultant de tentatives d’incursion qui ont échoué. Mais, dans l’après-midi, plus un seul canon de 75 n’est en état de fonctionner. Il n’y a plus une seule balle à mettre dans les fusils Lebel. À 16h35, tandis que les Allemands pénètrent dans la ville par la porte d’Arras, le commandant français fait hisser le drapeau blanc.

Malgré cette reddition, l’artillerie continuera à bombarder les quartiers industriels. Les premiers éléments de l’armée allemande entrent par les portes du rempart-Sud. Ils mettent le feu aux usines et aux maisons à l’aide de grenades incendiaires. Les mêmes scènes se reproduisent dans les quartiers du centre-ville. Les pompiers sont dans l’impossibilité d’agir, car les Allemands ont donné l’ordre de couper l’eau.  

L'armée allemande investit le centre-ville
L’armée allemande investit le centre-ville (image de propagande).

Plus 2500 maisons brûleront cette nuit-là. Le général d’artillerie Wahnschaffe qui était persuadé de se battre contre une garnison de 40 000 hommes est très déçu. Il ne fera que 2000 prisonniers car, environ le même nombre, en habits civils,  s’est fondu dans la population.  Lille est allemande !

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