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Un épisode historique injustement oublié : la vente de « la Nouvelle Poudre sans fumée » à l’Allemagne

Le mortier de 420 mm Krupp : il était capable de propulser avec précision des obus de près d’une tonne à plus de neuf kilomètres. Cette merveille de la technologie allemande n’a été rendue possible que grâce à la possession du secret de la Poudre sans fumée, mise au point par Paul Vieille, un ingénieur militaire français.

La poudre sans fumée, à base de nitrate de cellulose,

a été mise au point à partir de 1884 par l’ingénieur militaire des Poudres, Paul Vieille. Avant lui, on connaissait les propriétés de la substance, mais elle était tellement volatile que beaucoup de chimistes et de militaires qui avaient tenté de la domestiquer avaient perdu la vie dans l’explosion inopinée de l’objet de leur recherche. Comme elle est trois fois plus puissante que l’ancienne poudre noire, plus silencieuse, qu’elle est difficile à détecter par les observateurs ennemis au moment du tir, la posséder était un réel avantage militaire. La France va pouvoir réformer son parc de fusils et de canons pour l’adapter à ce nouveau moyen de propulsion… très performant ! C’est ainsi que sont nés le fusil Lebel et le canon de 75, qui vont s’illustrer pendant la première Guerre mondiale. Il est vital pour la Prusse et ses alliés de combler ce retard technologique, faute de quoi, toute guerre contre la France est inenvisageable. Elle obtiendra les secrets du canon de 75 au moyen de l’espionnage dans une affaire devenue très célèbre, où l’on a découvert Esterhazy, l’agent au service de l’Allemagne, couvert par sa hiérarchie, qui va préférer dénoncer injustement le capitaine Dreyfus.

Une publication de l’époque dénonce cette vente qu’elle juge scandaleuse.

En ce qui concerne « la poudre sans fumée »,

le système d’espionnage allemand, pourtant très efficace, ne parvient pas à percer les secrets de sa fabrication, tandis que ses chimistes – au demeurant excellents – n’arrivent à aucun résultat. Mais l’Allemagne va pouvoir acheter et les secrets de fabrication du produit de la manière la plus légale qui soit. Paul Vieille, partage ses locaux et ses terrains d’essais avec le laboratoire de recherche des « Sociétés françaises de dynamite », plus connues sous le nom de « Nobel ». C’est un très grand avantage pour cette société privée qui a ainsi l’occasion d’être facilement mise au courant dans le détail des travaux de l’ingénieur militaire français.

Comme la ficelle est un peu grosse, la société Nobel va y ajouter un peu de nitroglycérine (ce qui rend le produit un peu plus puissant mais aussi, peut-être, plus instable, si l’on se réfère aux nombreuses explosions spontanées des dépôts de munitions allemands avant et pendant la guerre de 1914 – 1918). La Société Française de dynamite, très longtemps restée dans les seules mains de son fondateur et de sa famille va, en 1887, sous le nom de « Société Centrale de Dynamite », s’ouvrir à la cotation en bourse et émettre environ 40 000 actions. Le « Tour de table » est assez international. Si l’on retrouve en bonne place des Français, on dénombre également des intérêts espagnols, italiens, suisses, vénézuéliens et même Anglo-africains (du Sud). La nouvelle « Société Centrale de Dynamite », a déjà inventé – sans le savoir – l’esprit européen de libre-échange… voire plus ! Dans le Conseil d’administration de cette Société anonyme siègent de nombreux Français dont un Député de la Nation et deux Sénateurs du Palais du Luxembourg.

Cela ne va nullement empêcher l’ex Société Nobel, en 1889, de vendre à l’Allemagne, contre Marks sonnants et trébuchants, le brevet de cette fameuse poudre sans fumée. Les observateurs militaires d’outre-Rhin sont aux anges : « L’empereur d’Autriche et toutes les personnes présentes ont été surpris ; on ne s’attendait pas un pareil résultat, qui été rendu encore plus frappant par l’emploi simultané de la poudre ordinaire. »

Ce canon de 155 mm, système de Bange, et ces fusils Lebel de l’armée française sont de nouvelles armes françaises mises au point pour s’adapter à la puissance de la nouvelle Poudre sans fumée.

L’événement est pour le moins frappant !

L’armée avait fait de la fabrication de cette poudre un secret d’État. Tout militaire accusé d’avoir détourné une cartouche de ladite poudre sans fumée aurait été traduit devant le Conseil de guerre et envoyé au bagne ! Naturellement, on n’a pas la preuve formelle que Nobel a volé les secrets de Paul Vieille, mais il y a de fortes présomptions. En définitive, ce sont les journaux allemands qui parlent le mieux du problème. Ainsi dans la Berliner Volkzeitung, peut-on lire : « La découverte de la nouvelle poudre, qui doit amener la transformation de la stratégique, a déjà révolutionné la fabrication des canons… Il est donc probable qu’on demandera au Reich-stag, dans sa prochaine session des crédits importants pour opérer cette transformation de l’artillerie. On doit s’attendre à une dépense de quelques centaines de millions de Marks qui se répartira sur plusieurs années. »

Il eût bien un procès mais il s’enlisa dans les procédures, avec des juges peu enclins à condamner ces personnages du conseil d’administration appartenant à l’élite politique. Il n’en sortira rien ! Pendant la guerre qui va suivre, bien des personnes dont la culpabilité n’avait rien d’évidente, seront condamnés à mort pour des vétilles, sans rapport d’échelle avec cet événement commercial précurseur.