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Hommage à Pierre Desreumaux : archéologie du journalisme

Certains messages déposés dans un centre d’archives ou Internet comme une bouteille à la mer finissent par trouver leur destinataire

Pierre Desreumaux
Carte de presse de Pierre Desreumaux

Alors que je cherchais tout autre chose, est apparue une étrange fiche.

Elle avait pour titre « Souvenirs d’un localier des années 1950 ». Son auteur, Pierre Desreumaux, habitait au n° 9, avenue de la Liberté, à Mons-en-Barœul. Il y évoque sa carrière :

Le n° 9, avenue de la Liberté

 « En vaillant petit soldat, je me suis engagé dans la grande armée des journalistes professionnels le 1er février 1949. J’allais avoir 19 ans. » Si Pierre Desreumeaux est toujours vivant cela lui ferait aujourd’hui 94 ans. Un bel âge ! Je me suis rendu avenue de la Liberté pour photographier sa maison. Mais là-bas, plus personne ne se souvient de lui. Sur Internet, rien de plus ! Reste son autobiographie pressée !

Les parents de Pierre Desreumaux étaient trop pauvres pour lui payer les frais d’une école de journalisme.

Qu’importe, le jeune homme entend suivre le chemin de Simenon, son écrivain préféré : « J’ai découvert ses premiers pas dans la profession à Liège. Je me devais de l’imiter », Ses débuts sont « laborieux » : « Chaque soir, après huit heures passées dans un bureau d’une entreprise textile, j’appuyais sur les pédales de « mon vieux clou ». Il s’agissait de rallier les mairies de Mons-en-Barœul, de Marcq ou de la Madeleine pour rafler au passage les communiqués municipaux, les avis des sociétés, les listes d’Etat-civil, etc. Un travail bien peu glorieux qui ressemblait à celui d’un facteur, mais à l’envers. » 

Pierre Desreumaux travaille bientôt pour « La Croix du Nord », rue d’Angleterre, à Lille :

40 000 exemplaires diffusés, à Lille, Cambrai et Arras. « Ma tâche consistait à suivre les assemblées générales des sociétés locales, les cérémonies officielles qu’elles soient religieuses ou civiles, les manifestations syndicales et les défilés militaires, ratisser tout ce qui faisait la vie de tous les jours, sans oublier les accidents, les délits et les incendies piqués dans les procès-verbaux des policiers et des gendarmes ». Le travail de « localier », dans les années 1950-1960, n’a rien d’une sinécure :

Pierre Desreumaux
Dans les années 1950 les journalistes affectionnaient le Rolleiflex.

« Les journalistes œuvraient six jours sur sept. Hormis les secrétaires de rédaction chargés de corriger et de calibrer les articles pour la mise en page qui avaient des horaires bien précis (souvent l’après-midi et de nuit) les localiers, eux, ne comptaient pas leurs heures. Ils travaillaient tous les dimanches (l’agenda croulait sous les réunions des clubs, comités, groupements, partis et sociétés) et récupéraient un jour dans la semaine. Moi, c’était le vendredi ! » la Croix, il y avait seulement quatre journalistes. Rien à voir avec des mastodontes comme Nord-Eclair ou La-Voix-du-Nord. Mais toutes ces plumes différentes se retrouvaient bien volontiers au « Bar de l’Echo », sur la Grand-Place, pour échanger les derniers potins.

Le journalisme local s’alimentait des petits événements qui, à cette époque, captivaient le lecteur. « Je n’ai jamais compté les heures endurées lors de colloques ou de réunions syndicales dans la fumée bleue des pipes et des cigarettes où le dernier rang des auditeurs ne parvenait pas à distinguer les traits de l’orateur à la tribune. 

Pierre Desreumaux

J’ai passé des soirées à suivre les conférences des Foyers de Culture, de la Société de Géographie, de l’Alliance Française ou de la Ligue Maritime et Coloniale. Je me cultivais, certes, et j’aimais çà, même s’il fallait griffonner trente à quarante lignes sur un bloc-notes grand format appuyé sur mes genoux et dans le halo incertain fourni par les spots de la scène. »

Dans sa longue carrière au service de l’information locale, Pierre Desreumaux a gardé une tendresse particulière pour son premier article de février 1949 : « Je me souviens de mon premier « papier » comme si c’était hier. C’était la relation de l’assemblée générale des « Pêcheurs à la ligne » de l’arrondissement de Lille qui se tenait dans une des salles du Conservatoire, place du Concert. Je ne connaissais absolument rien à l’art de lancer le bouchon dans les eaux des rivières du secteur, pas plus des règlements qui gouvernaient les chevaliers de la gaule. En fin de séance, le secrétaire fédéral vint à mon secours pour un compte-rendu impeccable. J’avais passé quatre heures pour accoucher de cinquante lignes ». 

La place du général de Gaulle à Lille en 1950

Ces journaux des années 1950 paraissaient sur huit pages.

Pas question de s’étendre sur l’information. La vie de journaliste était une vraie vie de chien : jamais de retour à la maison de Mons avant minuit. En revanche c’était un métier très « alimentaire » avec la couverture obligatoire de tous les banquets et repas de la ville de Lille et de sa banlieue : « banquets corporatifs, de confréries diverses ou de sociétés folkloriques qui se donnaient au Royal Hôtel, à Air-Terminus dans les sous- sols de la Chambre de Commerce ou dans les salons Maréchal, rue de Solferino, déjeuners de la Foire Commerciale ou du Salon du Confort Ménager ». Souvent, Impossible de boucler le dernier article avant le départ du dernier tramway : la sanction était le trajet à pied, en pleine nuit, entre la rue d’Angleterre et le Haut-de-Mons. Le journalisme d’antan, c’était aussi du sport !

Après sept années de cette vie furieuse, Pierre Desreumaux trouve un travail plus calme à l’agence France Presse, rue Jean Roisin, à Lille. Il va y rédiger des dépêches de 19 heures à 2 heures du matin. Mais ce ne fut qu’une courte parenthèse dans sa carrière. Bientôt repris par la fièvre du « localier » le Monsois  va rejoindre la rédaction du Courrier Picard à Amiens et son édition locale. 

Mons-en-Barœul et ses journalistes

Je ne me serais pas permis d’encombrer l’autobiographie de Pierre Desreumaux de considérations personnelles. Je suppose que s’il l’a écrite, c’est qu’il a voulu laisser une trace de son existence et de son travail, qu’il faut respecter. Mais il est notable que le pourcentage de journalistes lillois résidant dans la commune de Mons-en-Barœul dans les années 1950 était plutôt élevé.

Henri Jolibois : Il était le fils du Secrétaire général de la mairie. Il habitait rue Jean Jaurès et était très catholique. Il a intégré la rédaction de Nord-Eclair en 1950. Jeune journaliste plein de fougue, il écrit quelques articles d’histoire locale et annonce toute une série à venir. Mais, il est bientôt chargé de couvrir l’actualité du conseil municipal de Lille et des associations qui lui sont proches. Il mène une vie de compte-rendu de réunions et de banquets organisés à la moindre occasion. Cette vie de journaliste local était très dangereuse. Il meurt jeune terrassé par un infarctus. Il a été très regretté par ses collègues.

Henri Prévost : Il habitait rue Thiers. Il était le Secrétaire Général de la mairie, un bon endroit pour obtenir des informations. Héros de la Résistance, bien que membre du réseau Voix-du-Nord, il devient correspondant du journal Nord-Eclair en 1945. Si pendant la guerre ses photos – souvent destinées à Londres – réalisées avec un vieux 6X6 sont médiocres , après la libération il opère avec un Contax 24X36, la Rolls des appareils photo de l’époque. C’est peut-être la raison de sa créativité ? Ou bien a-t-il suivi des cours de photo quelque part ? En tous cas il a probablement été le meilleur photographe de presse de la métropole de sa génération.

Gabriel Kerlidou : Il habitait rue Jean-Jaures. Cet ancien résistant, photographe lillois réputé, intègre le service photo du journal La Voix du Nord en 1944. Lui aussi est un amateur du Contax. Cela lui vaudra quelques démêlés avec ses collègues qui ne jurent que par la chambre grand format. Il se repliera vers la direction du service développement. A la fin de sa carrière, le 24X36 étant devenu la norme, il retournera au reportage et deviendra le photographe de prestige du journal. Gabriel était un photographe sensible et juste. 

André Caudron : Il habitait près de l’avenue des Acacias.  Il intègre la rédaction de Nord- Eclair à la fin des années 1940. Il y deviendra rédacteur en chef de plusieurs éditions puis de celles de La Voix du Nord. Il s’intéressait à l’histoire locale et savait tout sur la commune de Mons-en-Barœul. Il a été le principal rédacteur du livre de référence des années 2000, « De la Campagne à la Ville ». André était aussi un auteur respecté de l’Histoire tout court. Il a écrit des livres sur l’histoire des milieux catholiques et sur la période 1940-1945. Il n’était pas avare de conseils éclairés pour guider ses jeunes collègues qui débutaient dans le métier.

Une version pour l'”édition locale”

La dure vie du journaliste local dans les années 1950

Pierre Desreumaux, né en 1930, nous a laissé le souvenir des débuts de sa carrière dans un document intitulé, « Souvenirs d’un localier des années 1950 ».

Pierre Desreumeaux habitait dans le Vieux-Mons, avenue de la Liberté. A l’école, son obsession était de devenir journaliste. Mais, ses parents étaient bien trop pauvres pour lui payer les frais d’une école de journalisme. Qu’importe, le jeune homme entend suivre le chemin de Simenon, son écrivain préféré : « J’ai découvert ses premiers pas dans la profession à Liège. Je me devais de l’imiter ». Après le Lycée, l’adolescent intègre la vie active. Il ne rechigne pas sur les heures supplémentaires pour approcher les lieux de sa passion :

« Chaque soir, après huit heures passées dans un bureau d’une entreprise textile, j’appuyais sur les pédales de « mon vieux clou ». Il s’agissait de rallier les mairies de Mons-en-Barœul, de Marcq ou de la Madeleine pour rafler au passage les communiqués municipaux, les avis des sociétés, les listes d’Etat-civil, etc. Un travail bien peu glorieux qui ressemblait à celui d’un facteur, mais à l’envers. »

Cette obstination va finir par payer. Le 1er février 1949, il intègre la rédaction locale de Lille du quotidien « La Croix » en tant que journaliste, juste avant ses 19 ans. « Ma tâche consistait à suivre les assemblées générales des sociétés locales, les cérémonies officielles, les manifestations syndicales, les défilés militaires, sans oublier les accidents, les délits et les incendies piqués dans les procès-verbaux des policiers et des gendarmes », explique-t-ilCe travail de « localier », dans les années 1950-1960, n’a rien d’une sinécure : « Les journalistes œuvraient six jours sur sept, hormis les secrétaires de rédaction chargés de corriger et de calibrer les articles. Les localiers ne comptaient pas leurs heures. Ils travaillaient tous les dimanches (l’agenda croulait sous les réunions des clubs, comités, groupements, partis et sociétés) et récupéraient un jour dans la semaine. Moi, c’était le vendredi ! 

La vie de journaliste était alors une vraie vie de chien : jamais de retour à la maison de Mons avant minuitParfois il se révélait impossible de boucler le dernier article avant le départ du dernier tramway : la sanction était le trajet à pied, en pleine nuit, entre la rue d’Angleterre, siège de la Rédaction et le Haut-de-Mons. Le journalisme d’antan, c’était aussi du sport ! Après sept années de cette vie furieuse, Pierre Desreumaux trouve un travail plus calme à l’agence France Presse, à Lille. Il y rédige des dépêches de 19 h à 2 h du matin. Mais ce ne fut qu’une courte parenthèse. Bientôt repris par la fièvre du « localier », le Monsois va rejoindre la rédaction du Courrier Picard et son édition locale d’Amiens.