Views: 2
Le violon d’Ingres du peintre Abel Leblanc, qui s’est toujours intéressé à la musique, est un… saxophone !
L’univers quotidien d’Abel Leblanc est dédié à la peinture… sa peinture ! Tous les murs, de la cave au grenier, sont recouverts des œuvres de sa vie. On y découvre l’histoire du peintre autant que celle de l’homme. Pourtant, Abel Leblanc, n’est pas le prisonnier d’une idée fixe. Il est ouvert sur le monde et sur les autres, prêt à accepter l’imprévu comme une offrande. Parmi toutes ses rencontres, ses découvertes, il en est une qui (hormis sa passion dévorante pour la peinture et sa famille) a beaucoup compté pour lui : la musique ! Lorsqu’il vous reçoit, il porte autour du cou un collier noir avec un mousqueton. Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une quelconque décoration ! Il lui sert simplement à accrocher son saxophone quand l’envie d’en jouer lui prend !
Je pratique la musique depuis plus de 75 ans mais je n’ai jamais eu la prétention d’être un bon musicien. Je ne prends pas vraiment la musique au sérieux : simplement ça m’amuse et ça me plaît. Quand l’envie me vient, je joue quelques notes puis, je passe à autre chose. En même temps, je respecte la musique. Elle permet d’accéder à un autre monde qui est celui du rêve et de l’amitié. Il y a beaucoup de sentiments, d’émotions, que l’on peut faire passer à travers une musique ou des chansons.
Le piano et l’armoire…
Dans la maison de mes parents, il y avait un piano. Il y avait aussi un grand buffet rempli de verres de cristal de formes de dimensions différentes. J’avais remarqué, encore tout petit enfant, que lorsque je frappais certaines notes du piano, certains verres se mettaient à vibrer. Quand vous chantez quelque chose ou que vous jouez d’un instrument il y a des gens – pas tous – qui vont être sensibles et qui vont vibrer avec vos parents comme les verres de l’armoire de mes parents. Se retrouver à l’unisson avec les autres, c’est toujours un plaisir. D’une façon générale, je trouve les gens un peu tristes. Ils oublient qu’il y a beaucoup de beauté dans de toutes petites choses : un brin d’herbe, une goutte d’eau, un coin de ciel. Il y a intérieur de ma tête un monde qui n’est pas tout à fait le monde réel. J’ai tendance à le voir plus beau qu’il n’est en réalité. C’est une manière de me faire du bien et si je transmets ce que j’ai vu, c’est une manière, de faire aussi du bien aux autres. C’est valable pour la peinture mais aussi pour les chansons que j’ai composées tout au long de ma vie.
Ballade pour Gisèle
Lorsque j’étais très jeune, mes parents ont pensé que ça serait bien pour moi de faire de la musique. Ils m’ont inscrit au solfège. J’avais horreur de ça ! Je n’ai pas persévéré. Malgré tout, je tapotais sur le piano familial, en me repérant à l’oreille. Je composais aussi des petits bouts de texte. Ma première vraie chanson, je l’ai écrite pour ma future femme Gisèle, c’était en 1940. En fait, je suis né deux fois. La première fois, c’était il y a très longtemps, comme c’est inscrit dans l’état civil. La seconde fois, c’est lorsque j’ai rencontré ma femme. Elle était douée pour tout. Elle chantait merveilleusement. Je n’ai jamais connu personne, de toute ma vie, capable de lire un livre à une telle vitesse. Je me suis beaucoup enrichi grâce à ses lectures. Elle m’impressionnait énormément et j’étais très amoureux. C’était au tout début de la guerre. J’étais élève à l’Ecole Normale de Douai. Comme on avait peur des bombardements on avait transféré l’école à Grandville, en Normandie. C’était idiot, car Grandville a été bombardée tandis qu’ici, il ne s’est rien passé. La plupart des professeurs, expédiés au front, avaient été remplacés par des formateurs bénévoles. Je me souviens d’un agriculteur qui nous avait fait un cours sur le fumier dans la grande salle du casino de Grandville. Gisèle me manquait beaucoup. J’ai écrit ma première chanson qui lui est dédiée… ensuite, beaucoup d’autres pour tous les membres de ma famille. Chacun de mes petits-enfants à sa chanson. J’imagine aussi des textes sur tous les sujets qui me plaisent. Ensuite je cherche une mélodie et un rythme qui vont bien avec.
L’appel du saxophone
Parallèlement à mes compositions musicales, je me suis mis au saxo. C’était une autre manière de séduire Gisèle. Il y avait, à la maison de mes parents, un vieil instrument. Assez vite, à l’oreille, j’en ai tiré des sons acceptables puisqu’ils avaient l’air de plaire à ma future femme. Malheureusement, à la fin de la guerre, il m’a lâché. Je l’ai toujours. Il est là, dans la pièce principale, accroché au mur. Je l’avais presque oublié de même que toutes ces histoires. Un jour, j’ai raconté mes vieux souvenirs. On m’a amené une trompette mais je n’ai jamais su jouer de trompette. J’étais bien malheureux. Je me suis rendu au magasin de musique et là j’ai craqué. Une heure plus tard, j’étais à la maison avec mon nouveau saxo. Ça va faire plus de six mois que je m’entraîne tous les jours. J’ai même un vrai professeur qui vient me donner des cours une fois par semaine.
Il y a quelques temps, je suis allé à la Braderie de l’Art à Roubaix. Ça se passe tous les ans dans un très vieux bâtiment industriel qui servait de laboratoires à l’industrie textile. Je m’attendais à n’y voir uniquement que des tableaux ou des sculptures.
Embrigadé dans la brigade
J’y ai découvert la Brigade des Tubes, une formation de cuivre de Mons en Baroeul. J’ai été stupéfait : une sorte de révélation. D’un seul coup vous vous trouvez entouré d’une horde de saxos, trompette, tubas et batteries. Ils sont presque une centaine et font un vacarme extraordinaire. En en même temps c’est tout à fait musical. Ils sont jeunes, vivants pleins d’énergie et complètement décalés. C’est les champions du désordre organisé. Alors j’ai téléphoné et je me suis inscrit. Au début, ils étaient un peu surpris. Ils sont venus me serrer la main avec une pointe de curiosité. Pour moi aussi, c’était surprenant. Ces brigadistes sont les champions du mail du SMS, du MMS et… que sais-je encore. Ils sont capables de changer le lieu de la répétition au dernier moment et de convoquer 80 musiciens habitant un peu partout dans n’importe quel endroit de la ville.
Abel est le doyen incontesté d’un joyeux groupe de jeunes.
Je suis de très loin le nouveau doyen de la Brigade. Celui que j’ai détrôné et qui se croyait très vieux n’a que 67 ans : un gamin. J’essaye de me mettre au diapason et de jouer en rythme avec les autres… comme je peux. Au début, j’avais peur de ne pas être au niveau. Pour l’instant ça va ! J’ai des partitions assez faciles par rapport à d’autres musiciens. J’aime bien cette idée d’un groupe où chacun peut apporter quelque chose quelque soit son niveau et son parcours.