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Histoire de l’école primaire, à Lille, selon Michel Bodin
Michel Bodin, le président du Denier des Ecoles laïques de Lille, est un ancien directeur d’école primaire. A la retraite il est devenu militant et animateur de l’association, le Denier, qui concentre la mémoire des écoles de la ville et s’efforce de la faire connaître au public scolaire, aux parents et aux visiteurs de partout. Michel Bodin qui connaît sur le bout des doigts la question raconte l’école comme personne…
« L’ancienne école Ruault-Récamier où nous nous trouvons est typique des écoles primaires de la période Jules Ferry et des lois du début des années 1880. Sa construction date des années 1890 : les plans datent de 1887 et elle fut inaugurées en 1892. Sous le bâtiment se trouve plus de 500 m2 de caves qui auraient pu servir d’abris en cas de guerre. Suite à la Guerre de 1870, les édiles lillois étaient méfiants. Mais en 1914-1918, l’école ne servit pas d’abri, mais d’annexe à l’hôpital St Sauveur tout proche. Cette école est caractéristique de toutes celles qui ont fleuri, à Lille, en cette fin du XIXesiècle. Ces écoles étaient construites avec soin. Les façades étaient recouvertes de motifs décoratifs. Les préaux étaient ouvragés. Les bâtiments étaient vastes avec de grandes caves où l’on pouvait entreposer le charbon. Ces écoles de la IIIeRépublique, maillant le territoire français, répondaient à un cahier des charges très précis. Il avait été établi par les « hygiénistes », très en vogue auprès du gouvernement d’alors. Pour ces derniers, il fallait amener dans les lieux de vie, l’eau, l’air et la lumière. C’était l’époque où l’Etat était très préoccupé par l’Ecole et la formation de ses enseignants, « les Hussards noirs de la République ». La Guerre de 1870, n’était pas si loin et l’on redoutait qu’une nouvelle ne puisse survenir. Il était important de former une population instruite… partageant les mêmes valeurs civiques et un même idéal national. L’école était le creuset qui permettait de former les cadres, les employés, les ouvriers d’une Nation performante sur le plan économique et redoutable en temps de Guerre, apte à résister à l’envahisseur.
Le plan-type des écoles de cette fin du XIXe siècle
regroupait selon les besoins de chaque secteur un certain nombre de salles de classe. Chacune d’elles mesurait 65m2 pour 50 élèves, soit 1,25m2 par élèves. Les ouvertures étaient effectuées côté Sud. C’était meilleur pour l’hygiène et surtout pour l’éclairage (il ne faut pas oublier que l’électricité n’existait pas encore dans les écoles). La place du tableau noir était étudiée pour qu’il puisse recevoir toute la lumière et si c’était possible on ménageait un système de double fenêtres de chaque côté. Les planchers étaient en chêne, les pupitres également. Tout était étudié avec précision, jusqu’à la place et les dimensions des fosses d’aisances. Dans chaque école, il y avait toujours un jardin afin que le directeur puisse entreprendre des travaux pédagogiques avec ses élèves. Le jardinage et le bricolage étaient enseignés aux garçons de la classe du « Certificat d’études » tandis qu’à l’école des filles on dispensait un enseignement ménager : cuisine, couture, repassage, etc.
Il y avait dans ces écoles un nombre de classes en rapport avec la population du quartier et quelques classes enfantines, l’ancêtre de nos écoles maternelles. C’était un changement par rapport à la situation antérieure. Avant on appelait ces classes « les Asiles », car leur but n’était pas d’enseigner l’écriture ou le calcul, mais simplement d’accueillir les jeunes enfants pour que leurs mères puissent se rendre au travail. Dans les bourgs avoisinants, se développe, parallèlement, le concept de la Mairie-école. La mairie et l’école sont regroupés dans un même bâtiment. A partir d’un millier d’habitants, on construisait aussi une salle pour la « petite école » (l’ancêtre de notre école maternelle). Dans ce système, l’instituteur pouvait bénéficier d’un logement de fonction (avec des planchers de pichepin, il est vrai). Il était, en règle générale, le Secrétaire de Mairie, ce qui lui assurait un revenu complémentaire. Dans les grandes écoles comme celle-ci, le logement du directeur, comportait cinq « pièces à feu » tandis que celui du concierge n’en avait que trois. C’était tout de même un bon traitement pour ces agents de l’Etat. La IIIe République soignait bien ses enseignants.
Cette école publique, laïque et obligatoire était un grand progrès
par rapport à ce qui existait auparavant. Les enfants étaient désormais scolarisés jusque douze ans, puis, quatorze ans, en 1936. Les enfants apprenaient la lecture, l’écriture, le calcul, les sciences, l’histoire et la géographie. Ils sortaient avec un bon bagage scolaire. Cela avait été rendu possible par la création des Ecoles Normales dans chaque département. Elles formaient de nombreux enseignants. C’est une idée que l’on avait prise aux Allemands. Dans les années 1800, l’école n’était pas obligatoire et elle était organisée différemment. Il y avait ce que l’on appelait les écoles mutuelles avec un maître pour 400 élèves. Il formait les plus grands pour qu’ils deviennent des moniteurs. C’est un système inspiré de ce qui se passait en Angleterre.
Dans les années 1930
les nouvelles écoles construites sont toujours imposantes mais les techniques de construction varient. Le béton remplace la brique – en tous cas pour ce qui est de l’infrastructure du bâtiment -. Les façades s’inspirent de l’Art nouveau comme pour l’école Briand-Buisson où l’on trouve des motifs qui évoquent les fables de la Fontaine ou encore l’école Alfred de Musset. Dans les années 1960-1970, les écoles deviennent mixtes. On retrouve des mosaïques mais de bien moins bonnes qualité. Elles se détachaient au bout de quelques années. Les classes étaient plus petites, basses de plafond. Les pupitres d’écoliers en chêne avaient laissé place à des meubles en stratifié à durée de vie limitée. On construisait et on fonctionnait beaucoup plus à l’économie. On est passé de l’encrier et de la plume Wilkinson au stylo-bille, en 1962. Cela a été une belle querelle entre les anciens et les modernes, je l’ai vécue ! Certains maîtres regrettaient les pleins et les déliés de la plume tandis que d’autres disaient « qu’il fallait vivre avec son temps ». Aux alentours de dix-neuf cent quatre-vingt-dix, c’est la mode de l’école transparente. On doit pouvoir voir ce qui se passe à l’intérieur… de l’extérieur. Cela a conduit à des abus et à un retour en arrière.
Aujourd’hui, c’est l’inverse
il y a des grilles, des digicodes et des clés électroniques partout. La tendance actuelle est d’économiser le foncier, qui est hors de prix. On construit le bâtiment scolaire sur plusieurs étages et on installe la cour de récréation sur le toit, comme cette nouvelle école en construction du côté de la Porte de Valenciennes. Dans les écoles modernes, le tableau blanc interactif a remplacé le vieux tableau noir et ses craies. Le projecteur de cinéma ou de diapositives a laissé sa place au magnétoscope et au caméscope, puis à l’ordinateur accompagné de son vidéoprojecteur. Désormais, Il existe des armoires mobiles avec des tablettes à l’intérieur pour chaque élève. L’informatique et l’Internet se sont invités à l’école.