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Cette photographie est extraite de l’album de Julien Herbin, né en 1898 à Houplines, soldat de la Grande guerre.
Bien qu’appartenant à la classe 18, il est appelé sous les drapeaux en 1917. À cette époque, il travaille à Paris tandis que le Nord est en zone occupée. Il est affecté au 43e RI, un régiment lillois. D’avril à octobre 1917, il l’accompagne en Champagne puis en Flandres belge. Ce n’est que bien plus tard qu’on le retrouvera sur les collines de l’Artois.
Julien était un « taiseux », surtout s’il s’agissait d’évoquer la Grande guerre. Ses enfants et ses petits-enfants ne connaissaient rien de son passé militaire. Il y eut cependant une exception. À une époque où l’ancien soldat était déjà âgé, il entreprit avec sa fille, son beau-fils et le père de ce dernier, Alexander, un sous-officier de l’armée britannique qui avait combattu pendant toute la guerre, en Artois, la visite du cimetière militaire de Lorette * et des anciens champs de bataille. Pour la première – la seule fois de sa vie – on vit Julien pleurer à chaudes larmes. Il raconta alors « qu’à la fin de la guerre, il avait enterré, non loin de là, beaucoup de soldats français avec l’aide de prisonniers allemands ». Cette scène, saisie par le photographe (probablement en 1919) témoigne de cet épisode de la vie du soldat. Sur le dos de la photo, Julien a écrit : « 1914, les premiers morts de Lorette ». Nous sommes dans le cimetière de La Targette, près d’Arras, plus de 7000 tombes, l’une des plus vastes nécropoles de la Grande guerre. On est à mi parcours de sa constitution. Les « prisonniers allemands » (à partir de la gauche : 2e, 5e,7e,8e,10e) et leurs gardiens français sourient malgré le caractère macabre de leur tâche. La guerre est finie. Il y a deux Chasseurs alpins du 12e régiment (1er, 6e), un sous-officier et un officier et deux soldats d’un régiment d’infanterie (4e, 9e). L’homme de troupe, calot réglementaire, baïonnette au canon garde les prisonniers. Son chef, en tenue de sous-officier (le 4e en partant de la gauche), c’est Julien ! Fait prisonnier, pendant la guerre, à son retour d’Allemagne, il a été affecté, à nouveau, au 43e RI. Il se repose sur une canne et arbore fièrement une croix de guerre avec étoile et palme. Il avait eu une guerre très intense. Muté au 127e, en octobre 1917, il se bat dans les Flandres belges dans la région de Bixschoote, puis ce sera l’Oise (Noyon) et la Somme (Montdidier). Le 6 avril 1918, Julien rejoint le 201e RI. C’est là qu’il va connaître l’épisode le plus douloureux de sa carrière de soldat. Le régiment est positionné dans la forêt de Retz, près de Villers-Cotterêts (02). Au moins juillet, les combats sont terribles. Les troupes françaises et allemandes se disputent le terrain… l’occupant tour à tour à l’issue de terribles corps à corps Les pertes, des deux côtés, sont considérables. Le 25 juillet 1918, 1444e jour du conflit, Julien Herbin fait partie de la liste des disparus avec 30 autres soldats. Fin juillet le bilan est très lourd : 120 disparus, 27 blessés et 4 tués. Le rédacteur du Journal de marches et opérations notera : «Les hommes sont à bout de souffle. Ils n’ont pas dormi pendant sept jours et sept nuits. La fatigue des déplacements, durant ces longues journées de combat, est très grande. L’ordre pour la reprise de la station et des anciennes positions, à l’est, n’était plus possible faute d’hommes »
*La Bataille de Lorette se déroula d’oct 1914 à oct 1915. De nombreux cimetières de l’Artois témoignent de la dureté des combats dont ceux de Lorette et de la Targette
Note : Au départ, je n’avais en main que 2 photographies très énigmatiques. Je me suis donc livré une sorte d’enquête pour les décrypter. J’ai beaucoup été aidé dans mon entreprise par deux habitants de Neuville Saint Vaast : Monsieur Bardiaux, le conservateur du musée de la Targette et Monsieur Donald Browarski, un autre passionné de la guerre 14 18 qui a installé un petit musée dans sa propriété.