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Louis-Désiré Blanquart-Evrard, premier historien de la Photographie ?
Le rôle de Blanquart-Evrard dans l’évolution de la photographie mondiale est sans doute sous-estimé. La faute en revient à la polémique initiée dans les années 1850 par le clan anglo-saxon, fervent supporter du procédé Talbot, concurrent de celui de Blanquart. Elle a été plébiscitée, colportée et amplifiée par les critiques français qui avaient des raisons différentes mais convergentes de dénigrer leur compatriote. Depuis plus d’un siècle et demi, la mauvaise réputation qui en en a résulté, colle au Lillois comme un sparadrap souillé… au point de rendre son rôle dans l’Histoire de la photo mondiale, insignifiant dans son propre pays. Pourtant, Blanquart a beaucoup apporté à l’évolution des techniques photographiques avec son procédé « positif-négatif », améliorant considérablement celui existant du britannique Talbot. Il a aussi été le premier à comprendre que l’avènement de la photographie constituerait une révolution culturelle comparable à celle de l’imprimerie du XVe siècle et qu’il convenait d’y être attentif…
Le parcours de vie de Blanquart est improbable.
Rien ne le prédestinait à influer un jour sur l’Histoire de la Photographie. Issu d’une famille de commerçants modestes, il fait des études de droit et suit en parallèle les cours du soir des Beaux-Arts et de l’Institut industriel. Féru de Science et d’Art, tandis que naissait la photographie, Blanquart-Evrard s’est trouvé au bon endroit, au bon moment. Dès le début des années 1840, il devient l’un des tout premiers daguerréotypistes. Quelques temps plus tard, s’inspirant du procédé Talbot, dont, par sa pratique quotidienne de la prise de vue, il mesure tous les inconvénients, il met au point son propre processus « négatif-positif » de production d’images.
Du point de vue des performances, le procédé Blanquart est une véritable révolution, validée par l’Académie des Sciences de Paris. Il va permettre d’envisager les tout premiers reportages photographiques, comme le voyage en Egypte de Maxime du Camp et Gustave Flaubert, le premier photoreportage au Monde. Dès 1851 il crée « L’Imprimerie Photographique », la première à produire industriellement des livres de photographie. Cinq ans plus tard, persuadé que l’avenir de la photographie est dans l’impression directe au moyen d’une plaque encrée, il prend du recul. Blanquart continue à s’intéresser à l’image à travers l’imprimerie et à la photo couleur. Toute sa vie durant, la photographie restera sa grande passion. Sa connaissance et son expertise trouveront une expression dans ses communications auprès de sociétés savantes ou dans ses livres qui sont les plus documentés et pertinents de son époque. Nous avons retenu « La photographie, ses origines, ses progrès, ses transformations », 1869, qui est le dernier livre du Lillois, le plus complet… qui constitue une forme de testament. Ainsi,Blanquart, vilipendé outre-Manche comme dans son propre pays en tant que photographe et comme inventeur, n’a-t-il pas craint d’aggraver son cas en s’instituant Historien de la photographie !
L’Histoire de la photographie européenne, selon Blanquart
Blanquart commence son Histoire de la photo par l’Antiquité mais se concentre très vite sur le XIXe siècle, riche en inventions. Ainsi fait-il une place à Thomas Wedgwood (1771 – 1805), un industriel anglais, fabricant de poteries, qui, à la suite du professeur Charles, un chimiste et physicien parisien, avait étudié l’action de la lumière obtenue dans une chambre obscure sur des supports enduits de sels d’argent : « Wedgwood, obtenait de son côté de pareils résultats, non seulement avec le chlorure, mais aussi avec le nitrate d’argent. Le rapport que l’illustre chimiste, sir Humphry Davy, a publié en 1802 dans le « Journal de l’Institution royale de la Grande-Bretagne » est une pièce trop intéressante dans l’histoire des origines de la photographie, pour que je ne la rapporte pas ici tout entière. J’emprunte au savant abbé Moigno la traduction qu’il en a donnée dans le N° 23 de la Lumière, 15 juillet 1851 ». Ce texte de Blanquart-Evrard – sans mauvais jeu de mots – ne manque pas de sel pour qui connaît le sujet. Le Lillois a bien dû s’amuser en le rédigeant.
Le procédé Talbot est surtout un processus composite empilant les résultats de recherches antérieures, même si William-Henry-Fox avait souvent des absences et faisait semblant de ne pas les connaître. Rendre à Wedgwood la paternité de la découverte des propriétés des sels d’argent au contact de la lumière est une pique adressée à l’universitaire britannique. Utiliser pour ce faire une traduction de l’abbé François Napoléon Marie Moigno, parue dans le journal La Lumière n’est pas loin de la provocation. Moigno, redoutable et influent critique de la photographie naissante était un ennemi déclaré de Blanquart. Il était le seul rédacteur de sa revue, Cosmos, et s’exprimait occasionnellement dans La Lumière, le journal de la société d’Héliographie, à laquelle le Lillois n’a jamais voulu appartenir.
Suit, une Histoire rapide de la photo de la première moitié du XIXe siècle :
« 1822 à 1824. — Nicéphore Niepce obtient des images imprimées à l’encre grasse d’imprimerie avec des planches métalliques gravées par le soleil dans la chambre noire.
1834 à 1839. — Fox-Talbot obtient sur papier au foyer de la chambre noire, par la réduction des sels d’argent, des images négatives, et, par le contact de ces dernières avec un autre papier sensible, sous l’action pénétrante de la lumière, des contre-images positives.
1836 à 1839. — Daguerre accuse, au moyen de la vapeur de mercure, l’image latente tracée par la lumière dans la chambre noire sur du plaqué d’argent ioduré. Il est certain qu’il avait obtenu plus tôt ces résultats, mais il les amena alors à leur perfection. »
Ainsi, selon Blanquart, l’Histoire mondiale de la photo est surtout française avec Talbot, en sandwich coincé au milieu : récit factuel mais non dénué d’arrière-pensées. L’avantage des travaux de Talbot permettant – à l’inverse de ceux de Daguerre – la reproductibilité, à l’infini d’épreuves positives à partir d’un seul négatif est soulignée par le Lillois : « L’épreuve photographique serait donc restée à l’état de type unique sans la découverte du savant amateur anglais, M. Fox Talbot. » Blanquart touche ici un point sensible pour lui : le secret entretenu par Talbot autour de ses découvertes et l’accusation faite à Blanquart d’être un vulgaire plagiaire de son procédé.
Le livre de Louis Figuier, critique scientifique à la mode, publiant dans de nombreuses revues, « Exposition et histoire des principales découvertes scientifiques modernes », que cite le Lillois est emblématique du procès fait à l’époque à Blanquart : « Quelques personnes essayèrent de répéter ses procédés, mais divers essais infructueux firent croire que M. Talbot n’avait dit son secret qu’à moitié, et peu à peu la photographie sur papier tomba parmi nous dans un complet oubli. Seulement quelques artistes nomades,munis de quelques renseignements plus ou moins précis, parcouraient la province, vendant aux amateurs le secret de cette nouvelle branche de la photographie. » Il est fait allusion, ici, à une accusation véhiculée par un livre anglais d’Alexandre Ken selon lequel il aurait acheté le secret de Talbot à l’un de ses assistants « Il fut poussé par la cupidité à faire de l’argent de son savoir (…) vendant à qui voulait les payer les secrets du maître », écrit Ken. « En 1846, il arrivait à Lille. Une société de photographes fort zélés s’y était formée, composée en grande partie de personnages ayant des occupations plus sérieuses, qui ne demandaient au daguerréotype qu’une intéressante distraction. Le cercle acheta les procédés offerts par l’ancien préparateur de Monsieur Talbot, et bientôt, de nombreuses bonnes épreuves sur papier remplacèrent, à Lille, les anciens portraits sur plaque. »
L’abbé Moigno, encore beaucoup mieux renseigné que l’auteur anglais, citera plus tard le nom de cet informateur peu scrupuleux. Il s’agirait d’un certain Tanner, citoyen britannique établi dans l’Est de la France. Cette histoire rocambolesque ne tient guère la route, car Tanner n’a jamais été l’assistant de Talbot. D’autre part, 1846 c’est très tard ! A cette date, le procédé Blanquart était déjà arrivé à maturité ! Cela n’exclut pas pour autant que le Lillois ait pu avoir connaissance des secrets du Britannique par les stagiaires de l’ «École Normale de Photographie » une formation organisée à Paris en 1843 et dispensée par Talbot et son assistant, Nicolaas Henneman (le vrai).
La liste des participants, à cause du goût du secret de Talbot n’a jamais été publiée, mais il se murmurait dans le Paris de l’époque, les noms d’Hippolyte Bayard et de Victor Regnault, tous deux en relation avec le Lillois. Poursuivons les propos de Figuier, extraits du même texte : « Lorsqu’un amateur de Lille, M. Blanquart-Évrard, publia, au commencement de l’année 1847, sa description des procédés de laphotographie sur papier, cette communication fut accueillie par les amateurs et les artistes avec un véritable enthousiasme, car elle répondait à un voeu depuis longtemps formé et jusque-là resté à peu près stérile. Le nom de M. Blanquart-Évrard, qui n’était, si nous ne nous trompons, qu’un marchand de draps de Lille, conquit rapidement les honneurs de la célébrité. ». Cet exposé est cousu de fil blanc : réduire Blanquart à « un marchand de drap de Lille » c’est lui dénier toute compétence scientifique de dimension internationale : une attaque « ad hominem » avant tout polémique..
« Cependant, il se passait là un fait étrange et peut-être sans exemple dans la science », poursuit Figuier. « Les procédés publiés par M. Blanquart-Évrard n’étaient, à cela près de quelques modifications utiles dans le manuel préparatoire, que la reproduction de la méthode publiée déjà depuis plus de six ans par un riche amateur anglais, M. Talbot ». On ne peut pas être plus clair ! La légende de Blanquart, le voleur, le pirate, le plagiaire vient de naître !
La raison pour laquelle sa production a été plébiscitée par le public tandis que celle de Talbot n’a suscité qu’un intérêt plus que limité reste un grand mystère pour le critique parisien et pour ses lecteurs. Blanquart, pour lui répondre, appelle à la rescousse François Arago, rédacteur des conclusions de l’Académie des Sciences de Paris : « Le procédé de M. Blanquart ne diffère pas sensiblement de celui de M. Talbot sous le rapport de la nature des substances impressionnables, ni sur leurs proportions, mais il est essentiellement différent dans les manipulations. Le procédé de M. Blanquart a paru beaucoup plus certain que celui de M. Talbot aux membres de la Commission qui ont eu l’occasion d’expérimenter les deux. Il permet d’obtenir des effets que nous n’avons jamais rencontrés dans le procédé du physicien anglais. M. Blanquart a perfectionné aussi très-notablement la fixation des images directes. Nous n’insistons pas sur la beauté de ses épreuves sous les yeux de l’Académie. La préparation du papier et l’opération elle-même sont simples et faciles. Nous avons vu un grand nombre de belles épreuves de M. Talbot d’après des monuments et des objets d’art. Ces épreuves sont remarquables par leur netteté, mais les portraits du même photographe sont loin de présenter la même perfection, ils sont très-inférieurs à ceux que nous a présentés M. Blanquart-Évrard Les résultats obtenus par le procédé de M. Blanquart sont très-supérieurs à tout ce qu’elle a vu dans ce genre. »
L’Histoire de la photographie selon Blanquart, est un plaidoyer pro-domo de son apport à la technique photographique. Les conclusions d’Arago datent de 1847. Au même moment, Talbot aiguillonné par la publication des travaux de Blanquart, a considérablement perfectionné son procédé. Il n’est pas exclu qu’il se soit inspiré des publications récentes de son adversaire. Obnubilé par ses ambitions commerciales, il ne l’avait pas fait auparavant malgré les conseils pressants de ses amis à l’instar de Charles Chevalier, l’opticien parisien. En 1846, lorsque Blanquart envoie ses premiers tirages à l’Académie, il faut 3 minutes avec le procédé Talbot pour insoler un négatif, alors que 15 à 20 secondes suffisent selon le procédé Blanquart et même seulement quelques dixièmes de seconde quelques mois plus tard.
En 1847 le Calotype a fait de gros progrès
mais reste en-dessous du « Négatif – Positif » de Blanquart dans les domaines de l’homogénéité, de la fixation, du lavage et des prises de vue, comme le portrait qui demande l’instantané. Blanquart s’est fait un malin plaisir à proposer aux académiciens des portraits d’intérieur virtuoses, sachant que son adversaire d’outre-Manche était bien incapable de le suivre sur ce terrain. En cette année 1847, le Lillois est déjà ailleurs. Il imagine un processus industriel de production des tirages photographiques. Lors de l’une de ses nombreuses communications à l’Académie des Sciences, il écrit : « Dans les circonstances présentes, on ne peut pas obtenir plus de trois à quatre épreuves positives par jour avec le même cliché, et encore chacune d’elles exige-t-elle un traitement de plusieurs jours ; aussi se vendent-elles de cinq à six francs. Par le procédé que nous allons décrire, chaque cliché peut facilement fournir par jour deux à trois cents épreuves qui peuvent être terminées dans la même journée et dont le prix de revient n’est pas plus de cinq à quinze centimes. »
Mais, Blanquart provoque les quolibets de la critique parisienne et du clan anglo-saxon. Sa participation à l’exposition universelle de Londres en 1851 est un fiasco. Il décide de réagir : « Je ne pouvais sauvegarder mon honorabilité scientifique qu’en faisant les preuves de ma théorie. Il ne me fallait rien moins que fonder une usine, lui assurer un travail suivi en la mettant à la disposition des photographes et des éditeurs qui voudraient enrichir leurs publications d’illustrations photographiques », explique-t-il. Ainsi fonde-t-il la même année dans la région de Lille, « l’Imprimerie photographique ».
C’est un demi succès. Il va produire beaucoup de livres précieux, permettant au public de découvrir les photographes de son époque mais les coûts de revient restent importants. Ces publications ne sont à la portée que d’une élite financière.
En 1856, persuadé que ce modèle est sans avenir économique et doit être remplacé par une impression directe à l’encre grasse, Blanquart cesse son activité d’imprimeur. « Quelque avantage que présentassent les procédés de l’imprimerie photographique sous le rapport de la rapidité des tirages et de la solidité des épreuves, on ne pouvait se dissimuler qu’il y avait, sous ce double rapport, un progrès plus grand, plus réel à atteindre : c’était de convertir l’épreuve négative en planche gravée dont on pourrait tirer des épreuves à l’encre grasse d’imprimerie. Le problème théorique de la gravure photographique avait été, comme je l’ai dit, résolu en 1824, par le plus intéressant de nos inventeurs, Nicéphore Niepce, et, chose bien touchante et dont l’histoire lui tiendra compte à son éternel honneur, c’est que c’est à sa pensée et à sa méthode qu’il faut revenir pour entrer dans la voie du progrès définitif. » Lorsqu‘en 1869, Blanquart-Evrardmet un point final à l’écriture de son livre, l’impression directe de l’image par les moyens de l’imprimerie reste un problème. Il ne sera résolu, que bien plus tard… la première impression directe datant de 1889.
La place de Blanquart dans la photographie
Louis-Désiré Blanquart-Evrard, toute sa vie, a développé des centres d’intérêts multiples. Il s’est intéressé à l’Art, à la Technique tout en continuant à faire prospérer ses affaires. Il a toujours voulu rester un homme libre. Ce côté touche-à-tout lui était souvent reproché. Il permettait à ses adversaires, dont la rancune, nourrie par leurs égos ou leurs intérêts était tenace, d’entretenir les polémiques visant le Lillois. Blanquart s’efforçait de faire belle figure, mais, son livre cité ci-dessus en témoigne, il en souffrait. A Lille, il était devenu un notable très en vue, inséré parmi l’élite intellectuelle et financière de la ville. Membre d’une demi-douzaine de sociétés savantes de grand prestige, comme la Société Française de Photographie dont il était l’un des membres fondateurs ou de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille, dont, succédant à son maître, Frédéric Kuhlman, il deviendra le Président. Auteur de livres respectés sur les techniques photographiques, Blanquart-Évrard, est aussi connu du monde entier. Il n’avait pas besoin de la photo pour vivre, mais la photo ne l’a jamais quitté. Elle a été l’une des passions fortes de toute sa vie. Ses livres, ses conférences, étaient l’occasion de partager ses connaissances actualisées avec le public des amateurs du domaine photographique.
Il n’hésitait pas à sortir à l’occasion sa lourde chambre photographique, pour fixer les grands moments de la vie lilloise. Souvent, ces clichés étaient recopiés puis diffusés par les frères Boldoduc, les grands graveurs-imprimeurs lillois de l’époque. Blanquart avait des idées personnelles sur le rôle futur de la photo dans la société. Pour lui, une photo ou un album d’images avaient leur place dans le patrimoine culturel comme un tableau ou un livre. Dès 1851, il sera le premier à déposer ses photographies à la Bibliothèque Nationale. Il n’hésitait pas à batailler contre des grands noms de la littérature ou de la conservation pour que la photographie soit reconnue comme un Art à part entière et non une simple reproduction mécanique de la réalité, sans valeur ajoutée.Toute sa vie durant, il sera un collectionneur avisé. Cela concernera les œuvres de la période qu’il a traversée (des années 1840 aux années 1860), mais aussi les années 1820 avec les premiers travaux de Nicéphore Niepce. A la fin de sa vie, se sentant décliner, il fait don de sa collection en 1871 à la Ville de Lille, à la Bibliothèque Nationale, à la Société Française de Photographie et au Musée Industriel de Lille.
C’est ainsi qu’un des lieux les plus riches en œuvres du Lillois est la Bibliothèque Municipale de sa ville, notamment en ce qui concerne sa production (1851-1856) de l’Imprimerie Photographique de Loos-lez-Lille. Une idée juste de ce don important nous est fourni par l’article que rédige Christian Brackers d’Hugo pour le journal La Voix du Nord en janvier 2000 à propos de son legs au Musée Industriel (cet article de référence est publié en annexe, à la suite de ce texte). « Trois à quatre mille pièces viennent tout juste d’être inventoriées » écrit le journaliste. « Elles comprennent des pièces uniques en France… et même en Europe toutes liées à l’expérimentation de la photographie. »
L’article rend compte du travail d’inventaire effectué par l’historienne d’Art Anne-Laure Wanaverbecq : « la spécialiste de l’histoire de la photo a donc trouvé des trésors qui ne sont pas signés Blanquart-Evrard mais qui permettraient de dresser un panorama quasi exhaustif des premières années de cet art. » M. Bachy, le président de la commission administrative du Musée Industriel de l’époque est encore plus précis : cette collection « représente en effet tout le travail photographique, depuis la première épreuve de Nicéphore Niepce en 1824, jusqu’à celle où M. Becquerel a fixé les rayons colorés de la lumière ; depuis les vitrification de Messieurs Tessé du Molay et Maréchal, de Metz, et les émaux de Monsieur Lafon de Camarsac jusqu’à la photo sculpture de Monsieur Willems, et cela par des épreuves dont certaines sont uniques et d’autres seraient introuvables aujourd’hui… » Christian Brackers d’Hugo note de son côté : « deux héliographies de Nicéphore Niepce, représentant le duc d’Amboise, une quantité non négligeable de daguerréotypes (photographie unique réalisée sur une plaque de cuivre polie puis recouverte d’une fine pellicule d’argent) dont cette saisissante image des quais de la Basse-Deûle et du palais de justice de Lille, prise par le photographe lui-même vers 1840 ». A cette occasion, parmi les milliers de documents, Anne-Laure Wanaverbecq a sélectionné 150 documents de grande valeur, prémices d’une future exposition : « des richesses qui méritent mieux que de rester dans leurs cartons », commente le journaliste.
Blanquart a marqué l’Histoire de la photographie par son travail de photographe et surtout par la mise au point de sa version du procédé « négatif-positif » qui sera le point de départ de la photographie moderne. Il a aussi prévu l’évolution du rôle de l’image dans la Presse et dans l’Edition, n’hésitant pas à crédibiliser ses prophéties en créant lui-même dans la région de Lille, la première usine photographique du Monde. Il a été, enfin, l’historien et le médiateur de la photographie en perpétuelle évolution. Il ne serait pas injuste que la photo lui rende un peu de ce qu’il lui a donné.
Blanquart-Evrard, chercheur et collectionneur
par Christian Brackers d’Hugo, janvier 2000
La collection que le photographe a léguée en 1871 au musée industriel vient d’être inventoriée. Des pièces rares qui racontent les quarante premières années de la photographie.
L’évidence doit être rappelée : la photographie n’est toujours pas reconnue comme un art à part entière au même titre que la peinture, en ce sens qu’elle souffre aux yeux de ses détracteurs d’une tare de naissance : elle ne produit pas d’œuvres uniques.
C’est pourtant l’une de ses fonctions essentielles : la production d’images en série et leur diffusion. Une tâche à laquelle se sont attelés quelques grands précurseurs de l’image. Nicéphore Niepce est le plus universellement connu mais notre région n’a pas été étrangère au développement, vers le milieu du XIXe siècle, de cette technique ou (et) de cet art avec Augustin Boutique à Douai et surtout Louis-Désiré Blanquart-Evrard, à Lille.
Connue des amateurs et des historiens d’art, la collection du cher Louis-Désiré était bien mal en point, remisée dans des cartons, sous les poussières et les crottes du musée industriel. Des boîtes fermées depuis des dizaines d’années dont l’inventaire et la mise en valeur ont été confiés à une spécialiste de l’histoire de la photographie, Anne-Laure Wanaverbecq. L’essentiel de cette collection, de 3 à 4000 pièces, vient tout juste d’être inventoriées et comprend des pièces uniques en France… et même en Europe toutes liées à l’expérimentation de la photographie.
De nombreuses pièces ont été remises en état par Jérôme, restaurateur, qui a fait un travail exceptionnel, car, pour être tout à fait franc, cette collection ne semblait pas intéresser grand monde et risquait de passer aux oubliettes.
« Ce qu’on a montré de Blanquart, jusqu’à présent, ce sont les photographies que le photographe a réalisées lui-même mais il faut avoir que le photographe lillois a été un grand collecteur de procédés photographiques », rappelle Anne-Laure Wanaverbecq.
Membre de la société française de photographie (la deuxième créée dans le monde après l’anglaise) Blanquart-Evrard fut aussi chimiste chez Kuhlmann pendant quelques années, avant d’épouser la fille d’un négociant en draps et de s’associer avec son beau-père. Scientifique de formation mais jouissant de suffisamment de temps pour se consacrer à sa passion, il s’attaque à la recherche plus qu’à l’Art notamment sur les traces de l’anglais Fox-Talbot « et créa même des bourses de recherche pour faire progresser la photographie », complète Anne-Laure Wanaverbecq.
Dans des cartons stockés puis rapatriés au musée d’histoire naturelle de Lille la spécialiste de l’histoire de la photo a donc trouvé des trésors qui ne sont pas signés Blanquart-Evrard mais qui permettraient de dresser un panorama quasi exhaustif des premières années de cet art.
L’un de ses principaux sujets de recherche était le calotype. Un procédé dont William-Henry-Fox-Talbot dépose le brevet en 1841 et qui marqua le début de la multiplication des tirages grâce à l’utilisation d’un négatif. Blanquart-Evrard apporta des améliorations assez techniques, (plus particulièrement en posant les principes de la préparation du papier), le présentant en 1846 et 1847 à l’Académie des sciences sans d’ailleurs citer le nom de Talbot… « Son esprit scientifique clairvoyant lui a fait cumuler un précieux matériel sur toutes les recherches de l’époque comme la reproduction des couleurs et des volumes. En 1871, un an avant sa mort il offrit ses richesses ainsi que plusieurs de ses albums personnels au musée industriel de Lille », note Anne-Laure Wanaverbecq.
On y trouve par exemple deux héliographies de Nicéphore Niepce, représentant le duc d’Amboise, une quantité non négligeable de daguerréotypes (photographie unique réalisée sur une plaque de cuivre polie puis recouverte d’une fine pellicule d’argent) dont cette saisissante image des quais de la Basse-Deûle et du palais de justice de Lille, prise par le photographe lui-même vers 1840.
Très intéressant également la série de photographies de reportage réalisée sur Lille et pour le compte de la ville par Le Blondel. Blanquart-Evrard s’intéresse aussi à la reproduction des couleurs en collectionnant les travaux de chercheurs. Témoins, trois plaques de gélatine de couleurs différentes qui reproduisent par procédé photographique des feuilles des pétales de fleurs.Des richesses qui méritent mieux que de rester dans leurs cartons.
La photo en 150 images
Les richesses de la collection Blanquart-Evrard ne sont pas seulement iconographiques et ne constituent pas qu’un témoignage du passé si riche soit-il.
Sa passion pour la technique photographique, les recherches qu’il effectua pour développer le procédé de reproduction d’images, les aides qu’il apporta aux jeunes chercheurs, son propre investissement dans « une imprimerie photographique » à Loos, sont autant d’aspects fondamentaux de sa participation au développement de la photo.
De sa collection personnelle pourrait être extraits 150 documents retraçant les 50 premières années de photographie.
Le projet d’une exposition est dans l’air mais il faudra du temps et des moyens pour réaliser un travail ayant valeur scientifique. Anne-Laure Wanaverbeck y travaille déjà, mais une fois encore la photographie a bien de la peine à être reconnue comme un art à part entière.
Sujet Voisin :
Blanquart, 1846 – 1847 : une révolution initiée par un bourgeois