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Les longues après-midi studieuses du peintre Abel Leblanc

Abel leblanc
Un portrait de portraitiste

À Roubaix, certaines après-midi d’hiver, l’air est doux et la lumière est vive.

Le peintre, vient vous ouvrir la grille qui longe le boulevard et mène au jardin. Quand le soleil ras qui vous frappe le visage a disparu derrière l’immeuble, vous découvrez Abel dans une nouvelle tenue extravagante. Aujourd’hui, coiffé d’une casquette et arborant un pull à larges motifs bleus et blancs, il évoque un aviateur ou un coureur automobile du début du siècle. On s’attend, à chaque instant, à découvrir sa Dedion-Bouton au détour d’un massif. Son petit chien, « Sava » adore ces petites escapades dans le jardin. Il réclame avec véhémence sa balle de tennis. Après avoir bien joué avec son chien, Abel vous fait monter et vous annonce qu’il a décidé de faire votre portrait. En cherchant ses crayons, il peste contre son aide familiale qui, selon lui, « a la manie de l’ordre » et se met au travail. Dessiner ne l’empêche pas de parler.

Abel Leblanc
Abel et Sava

Le dessin

«J’ai toujours aimé dessiner les gens qui vivent autour de moi… les objets aussi… En ce moment, je dessine des saxos. J’ai fait plusieurs exquises d’une fanfare où je joue parfois. J’espère pouvoir en faire, bientôt, un grand tableau. Depuis quelque temps, j’ai des problèmes de vue. Le dessin n’est plus aussi facile que par le passé, aussi naturel. Quand j’étais jeune, c’était incroyable la vitesse à laquelle je dessinais. Ma main courait toute seule… même si je pensais à autre chose. Je dois me montrer beaucoup plus appliqué, aujourd’hui. En ce moment, j’ai beaucoup de travail parce que je prépare en même temps trois expositions. J’y passe la plus grande part de mes après-midi. Je suis un vieil habitué des expositions. Cela fait des lustres que j’y accroche mes tableaux et que je visite celle des autres. Les expositions, il y en a de toutes sortes. Il y en a des sérieuses et appliquées qui présentent un peintre, un thème ou un style. Il y en a d’autres plus discutables. On y découvre les tableaux de la femme de l’organisateur, de son beau-frère et de ses amis avec au milieu, parfois, un vrai peintre. J’ai moi-même monté beaucoup d’expositions.Ça demande de l’énergie, le sens du contact et de l’organisation. Quand j’étais jeune, c’était mon truc ! J’ai été organisateur d’événements dans les domaines les plus inattendus. Pendant longtemps, j’ai animé le ciné-club de Roubaix. J’ai même monté un salon de littérature à la demande de mon ami Pierre Reboul qui était le doyen de l’université de lettres. Cela s’appelait Roubaix Littérature. C’était bien avant les années 68.

La littérature

Abel et sa premiere chansonQuand il m’en a parlé, j’ai bien rigolé. Je lui ai dit : tu te rends compte combien de fautes d’orthographe je suis capable de faire dans une seule page ? ça n’a pas d’importance, m’a-t-il répondu. La partie littéraire, c’est moi et la partie organisation, c’est toi !

Michel Butor

Alors, j’ai organisé ! J’ai fait venir des écrivains de partout. Je me rappelle de Michel Butor, un auteur qui est né pas loin d’ici. Nous avons passé une belle après-midi avec lui, ma femme et moi. C’est un homme très discret et très gentil. Ma femme, qui était très littéraire, était très impressionnée. Je crois que j’organisais ce salon autant pour elle que pour Pierre Reboul.

La Peinture

Aujourd’hui, je me contente de participer quand on m’invite. Je vais prochainement exposer à l’Hospice d’Havré, un bâtiment très beau et très ancien qui se trouve à Tourcoing. Je prépare en même temps l’exposition de Wasqhehal. J’y participe tous les ans. C’est très intéressant les efforts qui sont faits dans cette ville en faveur de la peinture. Les expositions sont bien choisies, bien présentées, bien éclairées. C’est vraiment très agréable. Il n’y a pas toujours le public qu’elles mériteraient. C’est très dommage. J’en prépare une dernière pour le Musée de plein air de Villeneuve-d’Ascq. Tu connais ? Non ! C’est une faute ! C’est un endroit qui gagne à être connu. A voir absolument, même lorsque je ne suis n’y suis pas exposé. On y a récupéré des petites maisons et des fermettes très anciennes, un peu partout dans la Flandre. On les a reconstruites dans un parc… une sorte de petit village ancien comme il n’en existe plus. Très joli ! Je connais son directeur depuis très longtemps. Jadis, il organisait les expositions de peinture du Septentrion. C’était un jeune homme à cette époque ! Il avait composé une « Nature morte magnifique. Je lui ai dit : « Je crois que je vais la peindre et je me suis mis au travail »

Abel Leblanc
La nature morte de l’hôtel Septentrion

Il m’a répondu : «cela me fait énormément plaisir . ». Je suis allé chercher mes pinceaux et mon chevalet et j’ai peint le tableau. Je l’ai gardé. Il se trouve dans l’escalier. Depuis, nous avons gardé de bonnes relations et je participe toujours à ses expositions.

C’est quoi la date aujourd’hui ? Voilà, je le signe. Je crois que j’ai fini ton portrait. C’est bien toi ? Non ?

Épilogue : Abel nous a quittés sans saluer ses amis

Abel, lors de l’exposition « Peintres du Nord » de Mons en Baroeul. Il y a participé depuis les débuts sans rater une seule édition. Quarante-deux ans de fidélité qui ne s’est interrompue qu’avec son décès.
Photo Alain Cadet

Abel Leblanc était le plus monsois des peintres roubaisiens ou bien l’inverse… on ne sait plus ! Il est parti sur la pointe des pieds le onze août 2019. Il n’était plus qu’à trois mois de son anniversaire. Il aurait eu tout juste 100 ans. Il préparait activement une rétrospective de son œuvre. Il avait des idées précises sur la manière de l’organiser et l’avait intitulée « Cent tableaux pour les cent ans d’Albert Leblanc ». Tout occupé à choisir dans les œuvres de toute sa vie, il n’a pas vu la mort arriver. Totalement investi dans la transmission de son savoir et dans imagination de nouvelles œuvres, il avait oublié de vieillir. Sa vision positive, sa joie de vivre, comme peintre ou comme enseignant, il l’aura communiquée aux autres toute sa vie. Il a toujours peint ce qu’il aimait, sans se soucier des modes et du temps qui passe. « Je travaille à l’ancienne, à l’envie et à l’inspiration », disait-il.

Son appartement de Roubaix était devenu un véritable musée.
Photo Alain Cadet

Il avait du mal à se séparer de ses tableaux les plus précieux ainsi, son duplex de Roubaix était-il devenu un véritable musée dans lequel il aura passé presque toute son existence. Pourtant un jour, il se résolut à vendre une œuvre, pour acheter un saxophone, un instrument qu’il avait abandonné plus de soixante ans auparavant. Il devint ainsi le doyen de la très déjantée formation monsoise, « La Brigade des Tubes », un rôle qui lui allait comme un gant. Il prenait ce violon d’Ingres très au sérieux et on l’a vu ainsi, plusieurs années durant, drapé dans son costume orange, défiler en cadence, dans les rues de Roubaix ou de Mons-en-Barœul.

A Roubaix, sur la Grand-Place, avec la « Brigade des Tubes. »
Photo Alain Cadet

À ses heures perdues, Abel se montrait aussi un peu philosophe. « Même si je me sens encore très bien je me rends compte que je suis très vieux », confiait-il. « Beaucoup de mes amis ont disparu. Ces dernières années, cela s’est même considérablement accéléré. Ils partent tous ! C’est la mode ! C’est embêtant pour moi parce que je me dis qu’un jour tout cela finira mal… très mal ! » Mais, tant que tous ceux qui l’ont connu ne seront pas disparus, Abel restera dans leurs mémoires et dans leurs cœurs.

L’hommage de Mons et vous à Abel Leblanc

Cet article est extrait du journal municipal de janvier 2020

Un commentaire

  1. Un grand merci « min fieu » pour ce beau morceau d’anthologie sur Abel Leblanc dans cette belle flopée d’artistes, bien mis en valeur et en évidence.
    Ça donne du souffle!
    Abel aimait être entouré de jeunes et de toujours jeunes talents.
    C’est une excellente et belle idée que d’ouvrir une galerie d’art virtuel.
    Tes photos font valoir les petits riens qui ne se voient pas si personne ne les regardez comme toi.
    Tu es un bon bain révélateur. Quoiqu’on en pense, tu écoutes plus que tu ne vois. Tes prises de vue se déclenchent à l’oreille. Tu cliques en plein dans le tympan de la cathédrale de l’âme par le toucher du coeur.