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Hippolyte Bayard 1801 – 1887

Mon Hippolyte Bayard… et celui des autres

Le buste d’Hippolyte Bayard fait face à sa maison natale. Ce ne fut pas toujours le cas. Cette statue, d’abord érigée en 1916 sur la place du Marché aux Herbes, en plein centre-ville, dût céder le lieu en 1921, pour y accueillir le monument aux morts.
Photo, Alain Cadet

Hippolyte Bayard est né dans cette maison de Breteuil-sur-Noye, le 20 janvier 1801. Il va y grandir jusqu’en 1825, date à laquelle il «monte» à Paris. Il y occupe un emploi administratif, au Ministère des Finances. Mais ce dépaysement a surtout pour origine le goût pour l’art et la culture du jeune homme. Ses aspirations vont se concrétiser autour de la photographie naissante – à la fois art et technique – dans laquelle Hippolyte Bayard va s’illustrer comme inventeur et comme photographe. La photographie accompagnera fiévreusement toute sa vie, donnant naissance à l’une des œuvres les plus singulières de ce temps originel des « photographes primitifs» du milieu du XIXe siècle.

Breteuil avant 1860 : L’ancienne église Saint Jean Baptiste vue depuis la rue Fontaine, Collection particulière

Je suis né à Cormeilles, un petit village distant d’à peine sept kilomètres de cette maison. Cela change sans doute la perception de l’homme et de l’œuvre. Lorsque j’étais enfant, à Breteuil, le mercredi après-midi, c’était le jour du marché. Avec ma mère, nous prenions l’autocar qui faisait le tour des villages environnants. Au lieu de s’arrêter place du Marché aux Herbes, comme il le faisait les autres jours, à cause de la rue principale barrée, il déposait et reprenait ses passagers place Hippolyte Bayard. En ce début des années 1950, le coin ressemblait plutôt à Farrebique. Pas très loin de la maison, il y avait un lavoir alimenté par la rivière – la Noye – où des femmes apportaient leur linge qu’elles tordaient et battaient sur la pierre en chantant ou en s’invectivant. Qui pouvait bien être cet énigmatique personnage de bronze observant la scène ? Bien plus tard, à la fin des années 1960, alors que je m’étais mis sérieusement à la photographie, j’ai su qu’il s’agissait d’un certain Hippolyte Bayard, qui avait vécu là.  Je me demandais comment pouvait bien être la vie dans la maison vers les années 1820. Je m’interrogeais aussi pour savoir si la fameuse photo d’Hippolyte dans son jardin avait été prise derrière cette maison, même si je connaissais parfaitement la réponse. Mais cette façade poétique, avec ses nervures de bois, était un bon prétexte à la rêverie.

Autoportrait dans son jardin, 1847
Société Française de photographie

Hippolyte Bayard a sans doute mieux réussi comme photographe que comme inventeur. Pourtant, avec un peu plus de chance, il aurait pu être l’égal d’un Niepce ou d’un Daguerre. Mais son invention de la photographie « auto-positive » restera très confidentielle. Le tournant de cette aventure se situe en 1840, quand Bayard tente de faire valider son procédé « positif -direct» auprès de l’Académie des Beaux-Arts. Il ne rencontre qu’un succès mitigé. Il obtiendra une bourse 600 Francs net pour solde de tout compte, tandis que Daguerre pour le procédé concurrent était subventionné à hauteur de 10 000 Francs, chaque année. Dans ces conditions, pour l’employé du Ministère, il était difficile de soutenir la concurrence et d’améliorer son invention.

 Louis Daguerre avait obtenu le soutien de l’Académie des Sciences et de Louis Arago. Celui-ci dévoila les grandes lignes du « procédé-Daguerre »lors de la séance du 19 août 1839. Facile à mettre en œuvre, relativement bon marché, soutenu par le gouvernement et l’élite scientifique française, le « daguerréotype »avait pris le pas sur la concurrence et notamment celle du « calotype »de l’anglais Fox-Talbot. La démarche de Bayard, pour originale qu’elle fût, venait bousculer l’ordre établi. Elle ne connut qu’un écho restreint. Pourtant, quand on sait la suite des événements on voit que cette tentative de remplacer la plaque métallique par le papier photo-sensibilisé allait dans le sens de l’histoire. 

Autoportrait, 1855
Société Française de Photographie

Mais, le procédé Bayard, mort-né en 1840, connait un succès posthume parmi les historiens de la photographie : ceux du Net, comme les Experts.  Certains n’hésitent pas à qualifier l’invention « d’ancêtre du Polaroïd». Mais d’une certaine manière, le « positif direct » était tout l’inverse du procédé américain, étudié pour sa facilité, sa rapidité de mise en œuvre, permettant à tout un chacun d’obtenir dans l’instant des tirages du sujet photographié.Les temps d’exposition à la lumière du procédé Bayard étaient très longs (plusieurs minutes) de même que le développement d’une épreuve qui prenait parfois près de trente minutes. Dans l’état, on comprend que le « positif direct »ait eu du mal à s’imposer. Bayard avait fait parvenir à l’Académie des sciences une épreuve photographique accompagnée d’une note, enregistrées le 11 novembre 1839. L’auteur écrit : « »L’image photographique ci-jointe a été obtenue le 21 octobre 1839 en dix-huit minutes, de 11 heures du matin à 11 heures 18 minutes, par le procédé suivant : Tremper le papier dans une faible solution de chlorure de sodium ; lorsqu’il est bien sec, passer sur ce papier du nitrate d’argent dissous dans six fois son poids d’eau… ».La note est succincte ! Pour avoir le procédé complet, il faudra attendre la publication, trente ans plus tard, du livre de Louis-Désiré Blanquart-Évrard, La Photographie, ses origines, ses progrès, ses transformations, à qui, à une date inconnue, l’inventeur avait communiqué son procédé :

  1. Faire tremper le papier pendant cinq minutes dans une dissolution de sel d’ammoniaque à 2 %. Faire sécher.
  2. Poser ce papier sur un bain de nitrate d’argent à 10 % pendant cinq minutes et faire sécher à l’abri de la lumière.
  3. Exposer le côté du papier nitraté à la lumière jusqu’au noir, en ayant le soin de ne pas pousser l’action jusqu’au bronze. Laver ensuite à plusieurs eaux, sécher et conserver en portefeuille pour l’usage.
  4. Tremper le papier pendant deux minutes dans une solution d’iodure de potassium à 4 % ; appliquer le côté blanc sur une ardoise bien dressée, grainée au gros sable et mouillée avec la solution d’iodure ; exposer aussitôt dans la chambre noire. La lumière fera blanchir selon son intensité.
  5. Laver l’épreuve à plusieurs eaux ; puis dans un bain composé d’une partie d’eau et d’une partie d’ammoniaque, laver encore à l’eau ordinaire et faire sécher
Autoportrait en noyé, 1840
Société Française de Photographie

Le débat s’est surtout cristallisé autour d’une œuvre singulière, utilisant le fameux procédé « positif direct », datant d’octobre 1840. Le plus souvent, on la désigne sous le titre « Autoportrait en noyé ». Il s’agit d’une des photographies les plus connues au Monde et sûrement la plus célèbre de toutes celles produites avant 1850. Bayard s’y représente en noyé, les mains et le visage noircis par un début de putréfaction. Il ne fait pas de doute que l’une des dimensions de ce « Noyé »est polémique. Ainsi a-t-il écrit au dos de l’épreuve : «Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez de voir, ou dont vous allez voir les merveilleux résultats. À ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s’occupait à perfectionner son invention. L’Académie, le Roi, et tous ceux qui ont vu ses dessins, que lui trouvait imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé ! Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la Morgue, personne ne l’a encore reconnu ni réclamé ! Messieurs et Dames, passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la figure du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le remarquer. » 

La référence à Daguerre et à Arago est tout à fait explicite et suggère que l’auteur de la photographie a été la victime de l’injustice des puissants qu’il invite par son texte à reconsidérer leur position. Ainsi, d’aucuns ont-ils pu qualifier le « Noyé» de « première photographie politique ». Mais les commentaires à-propos de la photo  – très nombreux – ne s’arrêtent pas là ! Pour certains internautes, Bayard serait le père des « fake news », en matière d’image ! Entendez par là : « Bayard a dit qu’il était mort alors qu’il était vivant dans le but d’influer sur l’opinion » ! Holà ! Messieurs du Net ! Tout doux ! Même parler de « fausses nouvelles », à propos de quelqu’un qui s’appelle Bayard serait déjà un terme très incongru ! Et pourquoi pas soutenir qu’Hippolyte Bayard puisse être l’auteur du premier « selfie » de l’histoire ? En effet, cette façon de se photographier soi-même, de se mettre en scène, d’utiliser son corps comme message pour intéresser les autres, est très proche de l’esprit de nos très modernes réseaux sociaux.

On pourrait même pousser le détail jusqu’à s’intéresser aux conditions de production de cette photographie. On y distingue, ni bougé, ni halo, ni trace qui vienne altérer la pureté de l’image.Pour prendre sa photo, Hippolyte a sûrement eu recours à une tierce personne, ne serait-ce que pour retirer et remettre le bouchon sur l’objectif, qui faisait office d’obturateur, Était-ce un homme ? Une femme ? Que s’est-il passé après la prise de vue et quel était le « hors champ »de la photo La question est ouverte… sur le Net et ailleurs ! 

Du côté des Experts on soutient que l’origine cette mise en scène, quasi théâtrale, est à relier à la fréquentation d’Hippolyte Bayard des salles de spectacles et à l’amitié qu’il a entretenue toute sa vie avec son ami d’enfance, Edmond Geoffroy, qui, comme lui, avait rejoint Paris, puis était devenu  Sociétaire de la Comédie-Française. D’autres soulignent, avec beaucoup d’à-propos, le goût pour la peinture d’Hippolyte Bayard, qu’il pratiquait avec un certain talent à ses moments perdus. Ils relèvent des similitudes avec les portraits de cadavres peints par Jacques-Louis David à la fin du XVIIIe siècle et notamment son célèbre Marat assassiné du Musée du Louvre.

Marat assassiné, Jean-Louis David, 1793, Musée du Louvre
Comme pour L’Autoportait en noyé, le tableau est assorti d’un texte : « N’ayant pu me corrompre, ils m’ont assassiné ». Il est évident que Bayard connaissait l’oeuvre et on pourrait même faire du « Noyé » un pastiche, ce qui ne retire rien à sa puissance évocatrice.

Comme on le voit, si la production photographique d’Hippolyte Bayard a laissé ses contemporains relativement indifférents, après sa mort, elle déchaîne des commentaires venus de tous les horizons. L’exégèse de cet « Autoportrait en noyé » est loin d’être terminée.

Mais cette photographie du « Noyé »n’est réductible à aucun discours. C’est une sorte de rêve qui vient de nulle part pour se projeter vers un ailleurs. À cette époque du XIXe siècle où on assigne à la photographie le rôle de reproduire fidèlement les objets, les œuvres d’art ou les personnes, Bayard – conscient ou non de l’effet produit – oppose une sorte de vision hallucinée qui s’insinue dans la mémoire du spectateur comme une sorte d’image-référence. Bayard est un photographe résolument moderne, plus proche de Duane Michals que de son siècle. Il est une sorte de Rimbaud de la photographie et, au sens où nous l’entendons de manière contemporaine, historiquement le premier grand photographe français.

Après cet échec de 1840, Hippolyte Bayard va mener une vie sage de chef de service au Ministère des Finances, mais il n’abandonna jamais la photographie. Sa manière de photographier Paris est très personnelle. Il fut l’un des cinq photographes choisis pour mener à bien la mission Héliographique. Rien qu’à la Société Française de Photographie, on conserve une douzaine de daguerréotypes, 170 négatifs, près de 800 images dont 730 positifs directs et 35 tirages sur papier salé ou albuminé. L’œuvre singulière d’Hippolyte Bayard reste à redécouvrir.

Mes remerciements à la Société Historique et au Service Communication de la Mairie de Breteuil, grâce à qui cet article a pu être documenté.

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

Publications: 379

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