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Entre les deux guerres, les Monsois ne se sont guère montrés bavards. On sait très peu de choses sur l’époque et la mémoire de l’occupation a disparu avec ses derniers témoins. Des cartes postales d’éditeurs allemands nous reviennent aujourd’hui et soulèvent un coin du voile sur la dure réalité de Mons occupée. Celle-ci représente des prisonniers civils dans la grande cour du fort Macdonald. Regardez-la bien ! Votre grand-père ou votre arrière-grand-père figure peut-être sur le cliché. La plupart sont jeunes. Le photographe connaît son travail. Il a choisi son décor : le mur, au fond, agrémenté d’un drapeau à l’aigle impérial, les fenêtres grandes ouvertes où l’on voit un prisonnier qui mange sa soupe.

Le photographe a soigneusement mis en scène cette photographie de prisonniers civils au fort. Qui étaient-ils ?
Le photographe a soigneusement mis en scène cette photographie de prisonniers civils au fort. Qui étaient-ils ?

L’image est soigneusement mise en scène avec l’étagement des plans, les attitudes improbables des jeunes gens du premier rang, la disposition des hommes. La présence de l’occupant est seulement indiquée par un officier du corps médical, pipe à la bouche. Cette image appartient à la propagande allemande. Elle raconte que les prisonniers civils sont bien traités dans la zone occupée comme veut l’attester la présence d’un sandwich ou d’une écuelle destinée à recevoir la soupe. En fait de soupe, Aaron Pegram, professeur d’histoire à l’université de Canberra, qui a eu accès au témoignage des prisonniers australiens détenus au Fort pendant la même période écrit : « La nourriture (ou son manque) occupait les esprits des hommes. Beaucoup mâchaient des orties ou de l’herbe pour supprimer les douleurs de la faim dues à un travail pénible et aux maigres rations de pain noir et d’ersatz de café ». Les civils français étaient-ils mieux traités ?

Prisonniers civils dans la cour du Fort de Mons
Prisonniers civils dans la cour du Fort de Mons
Le Petit Journal
Le Petit Journal

Qui étaient-ils ? On sait que les Allemands arrêtaient des otages de « la classe considérée » parmi lesquels plusieurs adjoints au maire. Mais l’usage était de les enfermer à la Citadelle de Lille. On pouvait aussi être détenu pour une peccadille : on emprisonnait même les enfants qui franchissaient la ligne de démarcation entre deux villages pour se rendre chez leur grand-mère ! Mais ces prisonniers, jeunes pour la plupart, sont beaucoup trop nombreux en comparaison de la taille de la ville. La guerre de 14-18 est la première guerre industrielle. La conduite de la guerre et l’effort des industries d’armement sont étroitement liés. L’Allemagne, après 1914, est contrainte de retirer 740 000 ouvriers du front pour soutenir sa production industrielle. Elle ne dispose pas, comme ses adversaires, de réserves de main-d’œuvre. La force de travail des populations des zones occupées (2 millions de personnes) représente un enjeu pour maintenir l’effort de guerre. L’armée allemande ne trouve que très peu de candidats pour un travail volontaire rémunéré. Alors, on procède au recensement des hommes de 17 à 55 ans. Ils sont considérés comme prisonniers de guerre et astreints au travail obligatoire… à proximité et même sur le front. C’est probablement ceux de Mons et des environs qu’un photographe de Dresde a rencontrés dans la cour du Fort un jour d’été.

Alain Cadet

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