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Le fort Macdonald de Mons-en-Barœul (59370), histoire d’une forêt éphémère.
De mémoire d’homme, le vieux Fort a toujours été un lieu de promenade pour les habitants de la commune. Depuis son sommet, on pouvait admirer la plaine qui s’étendait à perte de vue jusqu’aux faubourgs de Lille. Au fil des ans, des arbustes s’y sont développés. Ils sont devenus, peu à peu, des arbres de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Leurs racines ont commencé à s’attaquer aux voûtes supérieures du bâtiment, mettant en péril l’édifice. Pour le sauver, on a dû se résoudre à les abattre…
Dès les années 1980,
on parlait déjà du côté bucolique de l’endroit, petit morceau de campagne enserré dans un univers désormais très urbanisé. Quelques petits arbres étaient même apparus au milieu de la pelouse qui recouvrait le bâtiment. Au fur et à mesure que la nature reprenait ses droits, le lieu conquérait un côté magique avec sa végétation luxuriante qui surmontait l’imposante construction de briques. On disait du vieux Fort que « dans son écrin de verdure, il était un morceau de nature en ville. » Nous étions, alors, très loin de son état originel. Quand on entame sa construction, à la toute fin des années 1870, la pelouse qui surmonte l’édifice a une fonction précise : renforcer son système de défense. Le creusement du fossé circulaire qui entoure la forteresse et qui constitue le premier obstacle pour l’armée d’invasion, représente une masse considérable de terre. La partie argileuse peut servir à fabriquer des briques tandis que la partie arable est disposée le long des murs du bâtiment jusqu’au niveau du toit, qu’elle recouvre d’une couche d’environ trois mètres d’épaisseur. L’intérêt du dispositif est de protéger le bâtiment de l’artillerie ennemie dont les obus sont arrêtés par cette couche de terre. Ainsi, le fort, devient-t-il une sorte de colline fortifiée. Le long des murs d’enceinte, cette terre forme une pente de 66 %. C’est un bon compromis entre la difficulté de la franchir pour les fantassins ennemis et sa stabilité face aux intempéries. Pour éviter que l’érosion, peu à peu, ne la dégrade, on va la recouvrir de plantes herbacées qui vont la stabiliser.
L’inconvénient de cette immense pelouse, souvent pentue, c’est qu’elle doit être entretenue. Ce n’était pas un véritable souci, à Mons-en-Barœul, bourgade rurale, avec tout autour, des fermes et leurs animaux. Les moutons, beaucoup mieux qu’une tondeuse, étaient la bonne solution pour entretenir les pentes et le sommet.
Mais, à la fin des années 1950 et au début des années 1960,
ces champs et ces fermes sont brutalement remplacés par un tissu urbain très dense. Une immense ZUP, avec de grandes tours en béton, cerne désormais le vieux fort. Les fermiers, expropriés, doivent partir vers des lieux lointains, emmenant avec eux leurs moutons. L’entretien de la pelouse laisse à désirer. Des petits arbustes, dont les graines ont été amenés par le vent et les animaux s’y développent çà et là. En quelques années, ils vont devenir des arbres de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. L’observation de la forêt qui surmontait, jusqu’à il y a peu, le sommet du fort révèle que, hormis quelques érables qui ont survécu, la très grande majorité de ces arbres sont des « robiniers – faux acacias ». On les appelle « faux acacias » parce que si leurs fleurs ressemblent à s’y méprendre à celles de l’acacia, l’arbre, lui, n’a rien à voir ! Ce sont bien des robiniers !
On le nomme ainsi parce que cet arbre, originaire de la région des Appalaches, à l’Est de l’Amérique du Nord a été importé en France, en 1601, par Jean Robin, arboriste du roi Henri IV. Il est, ce qu’on appelle, une plante « pionnière » – on pourrait presque dire « invasive » – parce qu’elle se développe facilement dans les endroits où, auparavant, il n’y avait rien. On a remarqué récemment que ces robiniers se sont implantés de façon anarchique et significative dans les zones de bombardement et de combat des deux Guerres. Les scientifiques expliquent le phénomène, par la nature de la terre, rendue plus meuble sur ces sites, par les explosions qui s’y sont produites … ce qui favorise l’expansion anarchique de l’espèce. Autant dire que sur cette pelouse du vieux Fort avec sa terre meuble et rapportée, le robinier se sent chez lui ! Le robinier n’a pas toujours très bonne réputation. Il figure sur la liste noire des espèces indésirables, en Allemagne, Suisse, Norvège, Tchéquie, Italie et autres… Ses racines sont traçantes, puissantes et drageonnantes. Elles s’étalent tout autour de l’arbre dans un rayon qui équivaut à une fois à une fois et demie sa hauteur. En ce sens, le robinier est excellent pour fixer les sols. Mais, depuis ses racines étalées, partent des racines secondaires qui peuvent s’enfoncer comme des pivots jusqu’à huit mètres de profondeur. C’est ce qui permet à l’arbre d’être très résistant à la sécheresse, en allant puiser l’eau dans les sous-sols. Naturellement, le réchauffement climatique et les périodes de canicule vont accentuer le développement de ces « racines pivots ».
C’était une véritable malédiction pour les voûtes
du sommet du bâtiment historique. Les briques étaient disjointes provoquant des fuites et des points de fragilité. On a pu constater, ici et là, de grandes fissures. On a eu beau tenter des opérations cosmétiques en injectant, par exemple, de la résine pour retrouver l’étanchéité, c’était peine perdue ! Il a fallu fermer les couloirs des deux cours adjacentes du Nord et du Sud au public, renforcer les voûtes par des étais métalliques. La mairie, propriétaire du bâtiment n’avait plus guère d’autre issue que de se résoudre à abattre les arbres du sommet !
Le chantier d’abattage s’est déroulé pendant la première quinzaine du mois de mars 2021. Ce n’était pas trop de temps pour abattre la bonne soixantaine d’arbres (pour l’essentiel des robiniers) installés sur le sommet, face au pont-levis qui commande l’entrée du Fort.
Les bûcherons, issus d’une entreprise de la Région,
sont très affûtés dans leur travail. Pour abattre ces arbres dans les conditions de sécurité requise, il faut d’abord grimper au sommet, élaguer une à une toutes les branches, avant de s’attaquer au tronc. C’est un vrai travail de sportif de haut niveau, d’escalader ces robiniers sexagénaires, en pleine force de l’âge, et à 20 m de hauteur, la corde de rappel dans une main et la tronçonneuse dans l’autre, de les émonder avec soin. Les petits branchages sont réduits sur place à l’état de copeaux et vont se décomposer peu à peu tandis que les troncs sont soigneusement préservés pour différents usages.
Pour les évacuer, l’entreprise a fait appel à Trésor, un cheval ardennais de quatorze ans.
Il est venu spécialement de Paris, où est située l’une des antennes de la société de bûcheronnage. C’est Trésor, accompagné de ses amis de l’écurie francilienne, qui a livré le dernier arbre de Noël du palais de l’Élysée. L’ascension du sommet du fort et d’une formalité pour Trésor... le transport des troncs d’arbres, un exercice qui lui est familier. Le voir tirer ces immenses troncs de plusieurs centaines de kilos chacun est un véritable spectacle. Le cheval, dès qu’il aperçoit un obstacle oublie son « meneur », part au galop et franchit la pente dans la foulée avant de reprendre, sur le plat, une allure plus paisible. On sent qu’il aime ce travail de force. C’est plutôt pas mal vu d’avoir confié l’évacuation des troncs à Trésor, parce que malgré ses sept-cents kilos il est quand même moins lourd qu’un tracteur, ce qui évite de détériorer le bâtiment fragilisé qui se trouve en dessous. Ce chantier d’abattage et d’évacuation des arbres est une première étape. Cette opération sera suivie par d’autres jusqu’à ce que le bâtiment dans toutes ses composantes soit en totale sécurité.
Le terrain a désormais retrouvé un aspect comparable à celui des années 1880,
hormis les souches qui l’encombrent. Une question se pose : ces souches ne risquent-elles pas de repartir, le printemps venu ? Si on ne fait rien, elles peuvent fabriquer des rejets à partir de bourgeons dormants et de générer de nouvelles branches, redonnant ainsi vie à l’arbre. Il faudra les élaguer jusqu’à temps, qu’épuisée, la racine ne meure. Si on est pressé, il y a des moyens de hâter ce processus naturel. Il existe des produits très toxiques que seules les entreprises habilitées peuvent détenir. Mais on peut mettre en œuvre des solutions beaucoup plus écologiques. La plus connue consiste à faire trois trous de vingt centimètres dans les zones excentrées du tronc, d’y introduire une gousse d’ail et de refermer l’orifice avec de la terre argileuse : efficacité garantie à 100 % ! C’est un vieux truc de paysan indélicat engagé dans un conflit de voisinage.
Bref, on peut être confiant dans l’avenir du vieux Fort Macdonald qui, depuis un siècle et demi, est la fierté des habitants des environs.
Video du chantier par les bûcherons de l’entreprise Lallaut :