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Il était une fois le « Village de Saint-Sauveur »

Saint-Sauveur, quartier des administrations et services, très marqué par différents programmes de reconstruction récents, est en réalité, comme en témoignent toujours ici et là différents vestiges du passé, l’un des plus anciens quartiers de la ville.

La « rue de Malades » (actuellement Pierre Mauroy) au 15e siècle
Hospice Comtesse

Dès le Xe siècle, en prolongement du village de Fins (actuel quartier Saint-Maurice), le long des routes qui mènent vers le sud et vers l’est et qui relient la ville au Mélantois, quelques habitations apparaissent Une bulle du pape Célestin II (1144), acte la construction en ce lieu d’une nouvelle église dédiée à Saint-Sauveur. Ces routes deviennent rues, tandis qu’entre-elles se développe un habitat constitué d’un lacis de ruelles et de cours. Le nouveau quartier est entouré d’un rempart et au milieu du XIVe siècle, on y compte quatre portes – Fives, Saint-Sauveur, Malades et Molinel – qui sont l’aboutissement des rues éponymes. Le nouveau quartier prend un essor considérable. Il faut bientôt agrandir l’église qui se mue en un magnifique bâtiment gothique. Il se dressera fièrement pendant quatre siècles jusqu’à ce qu’un malencontreux incendie, ne le détruise en 1898. En 1603, Lille qui compte 30 000 habitants est étendue. À Saint-Sauveur, on repousse le rempart de la porte du Molinel jusqu’à la nouvelle porte Notre-Dame. Un nouvel agrandissement du quartier, dans des proportions modestes, surviendra quelques décennies plus tard, après la prise de Lille par Louis XIV en 1667. Vauban, chargé de redessiner l’enceinte de la ville, conquiert un peu de terrain vers le sud et ajoute le Fort du Réduit à l’empreinte urbaine. Ainsi, pendant plus de cinq siècles, la physionomie du quartier Saint-Sauveur sera relativement stable. En revanche, ce quartier ouvrier devient vite le plus peuplé de Lille. On le doit surtout aux ateliers textiles – draperie puis « sayetterie [1] » – très nombreux dans le quartier. L’habitat devient de plus en plus dense tandis que beaucoup d’immeubles se délabrent. En 1850, la ville, avec ses 76 000 habitants, étouffe dans ses remparts.

Les remparts de Lille au milieu du XIXesiècle
Collection Alain Cadet

L’activité est florissante mais les ateliers sont petits et malcommodes. À Saint-Sauveur, l’habitat ouvrier est surtout composé de caves et de courées, célèbres jusqu’à Paris pour leur insalubrité, depuis que Victor Hugo en a fait la description. Les ateliers textiles, entassés dans de modestes immeubles du XVIIIe siècle ne peuvent pas s’équiper des nouveaux métiers anglais de grandes dimensions. Aux portes de Saint-Sauveur, dans le quartier Moulins, où les terrains sont bon marché, de grandes usines modernes s’installent comme Wallaert ou Le Blan. En 1858, Lille annexe de nouveaux territoires, au sud et à l’est, prélude d’une grande transformation. On va démanteler le vieux rempart de Saint-Sauveur et en construire un autre, plus au sud. La nécessité de rénover les vieux quartiers avait été soulignée lors de la réflexion des années 1850. Mais, ce n’est pas ce qui s’est produit. La zone de l’ancien rempart, proche du centre, est la plus attractive.  Elle devient un quartier résidentiel plébiscité par la bourgeoisie, à l’instar du boulevard de l’Impératrice – aujourd’hui, de la Liberté – dont les immeubles luxueux sont dotés de l’eau courante et du tout-à-l’égout. En revanche, à Saint-Sauveur, rien ne change. Les familles bourgeoises désertent le quartier, même si certaines comme la famille Wallaert continueront d’habiter la rue Saint-Sauveur.  L’activité économique est ailleurs.  Saint-Sauveur garde quelques usines comme la filature Droulers-Werniers, au bout de la rue du Croquet, mais dans l’ensemble, si on continue d’habiter à Saint-Sauveur, on travaille ailleurs… souvent à Moulins

La rue de Paris en 1914

Saint-Sauveur garde une extraordinaire vitalité. Beaucoup de grands lillois sont des enfants du quartier : universitaires ou hommes politiques comme Gustave Delory qui, pendant deux mandats, fut maire de Lille de 1896 à 1925. L’Internationale fut donnée pour la première fois dans un café de la rue de la Vignette et Alexandre Desrousseaux était célèbre bien au-delà de Lille. Son « P’tit Quinquin » était devenu l’hymne du peuple du Nord. Le quartier Saint-Sauveur, berceau des cercles et sociétés les plus diverses accueillait de nombreuses fêtes assorties de défilés comme cette extraordinaire « Fête de la Musique » sic ! de 1936.Elle a réuni 97 fanfares et harmonies venues de toute la région. Les habitants de Saint-Sauveur étaient très attachés à leur quartier et ce fut un déchirement lorsqu’il disparut en grande partie lors de la rénovation des années 1960.

[1] Fabrication de tissus légers de laine

De la ville médiévale à celle du XXIe siècle

Martine et Jean Pattou, se sont toujours intéressés au vieux quartier de Saint-Sauveur et à son aménagement qui, apparemment, n’est pas terminé. Ils, habitent le Vieux Lille, un quartier historique qui, malgré son évolution opposée, n’est pas sans rappeler le vieux quartier Saint-Sauveur. Architectes l’un et l’autre, ils ont suivi attentivement les transformations de cette zone urbaine. Ils nous livrent quelques pistes de réflexion sur cette évolution.

Actuellement, on désigne par « Saint-Sauveur » une zone plus étendue que celle de l’ancienne paroisse. Elle va de la rue de Béthune à la gare Saint-Sauveur et inclura probablement demain la friche de 23 ha qui va jusqu’à la porte de Valenciennes.

Martine et Jean Pattou
Photo Alain Cadet

Jean Pattou a travaillé de nombreuses années à l’OREAM (Organisme régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine), une structure qui a proposé les schémas des grands équipements urbains de ces dernières années (ligne TGV passant par Lille, gare Lille-Europe, quartier Euralille etc.) On peut difficilement l’accuser d’être un ennemi du changement puisqu’il était rétribué pour l’imaginer. Cependant, il se demande si les urbanistes des années 1950 – 1960 n’ont pas eu la main lourde avec le quartier Saint-Sauveur. « La rue de Paris, comme la rue Saint-Sauveur, étaient de très belles rues bordées de très belles maisons », se souvient-il. « Beaucoup auraient mérité d’être sauvegardées. Les blocs de béton, dans le prolongement de l’hospice Gantois ou la résidence Kennedy qui lui faisait face juraient avec ce qui restait de l’ancien quartier. Des rangs entiers de l’ancien Saint-Sauveur ont disparu ». « L’ancien hôpital Saint-Sauveur était une merveille architecturale comme on le constate avec l’un des pavillons de la cour d’honneur qui a été préservé, » poursuit-il. « À notre époque, on ne pourrait plus raser un bâtiment de cette qualité. Ce qui est fait est fait, mais cette transformation du quartier Saint-Sauveur a suscité beaucoup de polémiques et c’est sans doute pour cela qu’est née, ici, l’association Renaissance du Lille Ancien, qui s’est attachée à défendre l’identité du Vieux Lille. »

La rue des Brigittines, un des seuls lieux du vieux Saint-Sauveur qui a été préservé
Photo Alain Cadet

Martine Pattou au titre de sa participation au Conseil communal de concertation de la Ville de Lille – un collectif d’habitants et de représentants d’associations chargé de donner son avis sur les grands projets municipaux – a beaucoup travaillé sur l’avenir de la « friche Saint-Sauveur », un vaste site situé en plein cœur de la ville, derrière l’ancienne gare de marchandises. « Ce site unique était à vendre depuis le début des années 2000 mais c’est seulement depuis 2017 que la MEL a acquis le terrain », explique-t-elle. « Le Conseil communal a planché sur la question et a rendu un certain nombre de préconisations. C’est pourtant un autre projet qui est arrivé sur la table. » Le projet de la MEL privilégiait des immeubles très massifs avec beaucoup de bureaux… aucune possibilité d’appartements traversants qui auraient permis un éclairage sur deux côtés. Il ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui d’Euralille. « Naturellement, notre Conseil a tiré la sonnette d’alarme », poursuit Martine Pattou. « Nous avons préconisé un projet différent, plus humain, avec suffisamment d’espaces verts, la préservation des halles existantes, des logements sociaux et un nombre raisonnable d’appartements et de commerces. Martine Aubry, maire de Lille, s’est servi de notre rapport pour demander un aménagement alternatif. Un appel d’offres a été lancé et c’est une société et un urbaniste danois qui ont été choisis. C’est un projet plus raisonnable qui permettrait de créer un véritable quartier de ville, cohérent, à la place de cette friche. »

Le projet actuel de l’agence danoise Ghel
Site Mairie de Lille

En effet, le projet se limite à 2500 logements, 20 000 m² d’équipements dont une piscine olympique, 40 000 m² d’espaces de travail, 25 000 m² de commerces et d’activités et 8 hectares d’espaces verts. Mais il n’est pas encore acté car on lui reproche de n’être pas assez « Vert ». « Je ne comprends pas bien la logique du raisonnement », s’étonne Martine Pattou. « Il est impossible de rénover Marx Dormoy. Si on ne met pas la piscine ici, il faudra la construire ailleurs. La métropole manque de logements de façon criante. Si ceux-là ne sont pas construits il faudra prendre des terres agricoles un peu partout dans la périphérie et le bilan écologique risque d’être très négatif. »