Les écoles lilloises, après la Guerre de 1870, 1878-1879

Les écoles lilloises, après la Guerre de 1870, 1878-1879

Chaque 31 décembre, la Ville de Lille publiait les statistiques commentées de la réalité des écoles primaires de la ville. Nous avons procédé à l’examen des documents correspondant aux années 1878 et 1879.

Le document s’intitule : « Statistique des salles d‘Asile et des écoles Primaires ». Il existe, à l’époque, treize niveaux pour une scolarité qui va de 2 à 13 ans. Trois (2 à 5ans) sont les « Asiles » (on dirait aujourd’hui « Maternelles »). Les dix autres niveaux sont ceux des écoles primaires. A cette époque l’Asile n’a pas pour objectif d’apprendre à lire, écrire et compter. C’est juste un lieu d’accueil des enfants en bas-âge afin de permettre à leurs mamans de se rendre au travail.

Les écoles et asiles lillois étaient divisés en 8 secteurs

cinq cantons pour Lille-centre et quatre pour les nouveaux quartiers récemment ajoutés à la suite de la décision de 1858 d’agrandir Lille, confiné auparavant dans ses remparts. 

Il s’agissait des quartiers de Fives, Wazemmes, Moulins et Esquermes. En moyenne, pour les filles comme pour les garçons, chaque secteur comptait environ 150 élèves. Mais à Moulins, c’est plus de 200 tandis qu’à Wazemmes, on dénombre plus de 500. Cela fait, au total 17027 garçons et 17732 filles pour l’année 1878. L’école n’était pas encore obligatoire mais il y avait une forte demande. On aurait pu réaliser, selon la Ville de Lille, un accueil supplémentaire de l’ordre de 5 à 10%. On devait refuser du monde faute de locaux.… Cet accueil des élèves laisse à désirer. Les locaux privés et conçus pour un autre usage ne satisfont pas toujours la municipalité. Ainsi, à Fives, le rapporteur note-t-il ; « La construction d’un Asile sur un terrain acquis par la ville paraît urgente »… et à Wazemmes-Esquermes : « La construction d’un Asile est urgente dans le voisinage de la place de la Nouvelle Aventure et de la rue de l’hôpital Saint-Roch »… rue des Poinssonceaux, c’est pire : « Asile d’une installation déplorable qu’il faudra remplacer. » A Esquermes, rue Roland : « Salle d’Ecole en location, à condamner. » Et à Saint Sauveur : « Asile à transférer ailleurs aussitôt que possible ».  Des améliorations sont souhaitables. Ainsi, à Fives, on note : « Confection d’une petite armoire pour le musée scolaire. Achat d’une carte de système métrique et d’une carte de France ». A Wazemmes, rue de Flandres : « Acquisition de nouveaux appareils de chauffage. » ; Rue des Rogations, à Esquermes : « Les cabinets sont trop rapprochés de l’habitation. »

En 1878 on compte 20 écoles gratuites pour une école payante

(celle de la rue du Marché). Dans l’école payante la moyenne est de 35 élèves par classe tandis que dans les écoles gratuites, elle oscille entre 46 et 78 par classe. Le plus souvent il faut compter entre 50 et 65 élèves. De nombreux travaux sont prévus. Cela va du pavage de la cour à la construction de classes supplémentaires, voire créer de nouvelles écoles. Le salaire des enseignant (annuel) va de 1 200 à 2 500 Fr. Tout cela représente un budget annuel de 148 200 Fr. La réussite au Certificat d’Etudes est en nette amélioration : 32 en 1876, 107 en 1878. En parallèle, ces écoles dispensaient aussi des cours d’apprentis et des cours d’adultes.

Evidemment, appréhender la réalité du système scolaire lillois, à travers la statistique donne une image désincarnée des écoles de la ville. Mais, l’examen de ces chiffres et commentaires va à l’encontre des idées reçues. On a tendance à valider le discours selon lequel, avant Jules Ferry et ses lois, il n’existait rien… ou  que l’organisation du système scolaire par l’Etat était une réponse à l’inaction des municipalités, dont la seule motivation était de dépenser le moins possible pour ses écoles. Le système est loin d’être parfait, mais l’on sent une volonté de l’améliorer. La mise en place d’écoles réparties dans les différents quartiers dépend bien souvent de l’offre du secteur privé qui n’hésite pas à proposer des locaux inadaptés et mal entretenus. Sous la pression démographique, dans une ville en pleine expansion, la mairie est contrainte d’accepter bien des compromissions… tout en reconnaissant les défauts de la situation. Elle s’efforce d’acquérir des terrains et de construire de nouvelles écoles, plus spacieuses plus saines et plus fonctionnelles.

Bien entendu, un peu plus de 34 000 élèves pour une population de 170 000 habitants, cela peut paraître insuffisant. Cahin, caha, l’enseignement primaire s’améliore à Lille en cette fin des années 1870. Il y a une raison locale. La ville est en pleine expansion. Avec l’annexion des nouveaux quartiers et une politique volontariste de construction, Lille va passer de 76 000 habitants en 1850 à plus de 216 000 en 1896. La capitale des Flandres entend garder son leadership sur la Métropole. Elle a compris que cette ambition passait par le développement de l’Université et des Ecoles.  

Mais ce développement s’inscrit aussi dans un mouvement national. Les lois Falloux (1850) étaient une régression par rapport aux lois Guizot (1833) qui imposaient la création d’une école dans chaque commune et d’une Ecole Normale de formation des maîtres dans chaque département. Selon le législateur des années 1850, ces maîtres, trop bien formés, faisaient de leurs élèves des citoyens autonomes, trop perméables aux idées socialistes. Il est à noter que parmi les grands artisans de cette loi, outre le très célèbre Monseigneur Dupanloup, se trouvait aussi Adolphe Thiers qui va s’illustrer la réforme de l’école des années 1880. La gifle infligée à la France, lors de la Guerre de 1870, par les armées de l’Empereur de Prusse et ses alliés avait semé le doute sur cette politique et le bien-fondé de maintenir le niveau d’instruction des Français le plus bas possible.

A Lille, en 1878, les enseignants avaient une rémunération allant de 1200 à 2500 F

très loin des 500 Fr de la loi Falloux. Dès 1879, une loi oblige chaque département à financer une Ecole Normale primaire, pour les garçons comme pour les filles afin d’élever le niveau de l’enseignement. On s’approche des lois de la décennie 1880 qui confère à l’Etat de nouvelles responsabilités permettant de passer dans une dimension supérieure.  L’effort budgétaire sera poursuivi dans les années 1890 et au-delà. L’enseignement primaire français va atteindre l’excellence qui le placera au tout premier rang européen. Les efforts consentis auparavant – en tous cas à Lille –  ont préfiguré cette époque fastueuse.

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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2 commentaires

  1. Bonjour et merci, pouvez-vous me préciser en 1878 école gratuite pour 35 élèves et 46 à 78 par classe gratuite aussi ?

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