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Seuls les très vieux supporters ont eu le privilège de fréquenter les tribunes du Stade Virnot. J’en connais encore quelques-uns. À cette époque, le LOSC était l’équivalent de ce qu’est le PSG aujourd’hui. Pourtant, le stade était de dimensions tout à fait modestes, malgré les exploits extraordinaires de son équipe de football.
On pourrait commencer l’histoire, en 1901, le moment où est fondé l’Éclair Fivois.
Il est plus âgé d’un an que celui de la ville-capitale l’Olympique Lillois, né en 1902 – avec lequel il fusionnera bien plus tard. En 1918, il changera de nom pour devenir le Sporting Club Fivois. Ce club de Fives a été le premier de la Métropole lilloise à adopter le statut professionnel. Il sera suivi par les autres et bientôt, ce sera la norme pour les grands clubs. Malgré quelques sponsors fidèles et un public passionné, il peine à soutenir la comparaison avec son voisin de la capitale des Flandres. L’OL est le club des bourgeois, tandis que le SCF, passe pour être celui des ouvriers. Si son public est avant tout populaire, le club n’est pas pour autant abandonné par les industriels du coin. Il bénéficie de l’aide – on parlerait aujourd’hui de sponsoring – des Filateurs fivois et de la Compagnie Lilloise des Moteurs. C’est peut-être là où le bât blesse. Le club de football n’est pas en odeur de sainteté auprès de la municipalité de l’époque qui rechigne à lui construire un nouveau stade. Il est contraint, malgré d’excellents résultats sportifs, de se produire à domicile, sur un tout petit terrain vieillot, et de refuser du monde quasiment à chaque match.
C’est alors qu’intervient un nouveau personnage de notre histoire : Albert Virnot.
Il habite la commune voisine de Mons-en-Barœul. Albert, est le plus jeune des trois frères Virnot. Ils possèdent d’opulentes propriétés, route de Roubaix (aujourd’hui, rue du général De Gaulle) et rue Saint-Martin (aujourd’hui, avenue des Acacias). Ces frères Virnot de Lamissart sont issus d’une honorable famille d’origine italienne, très connue à Lille depuis le début du XVIIe siècle. Albert est négociant en café et en coton. Il possède d’importants entrepôts au Havre et à Lille. Voici comment le décrit son gendre, Gustave-Paul Decoster : « Il était très avisé et d’une précision renommée. Sa carrière en négoce et ses vues sur le dehors lui attiraient audience au Salon des négociants. On le voyait avec sa Renault, une des premières conduites intérieures qui circulât, visiter les milieux d’affaires où sa connaissance des bilans et des comptes le faisait apprécier ».
Ses liens avec l’Éclair Fivois, le club de la ville voisine, restent, aujourd’hui encore, très mystérieux. Peut-être aimait-t-il se rendre aux matchs de Fives, à seulement cinq minutes de chez lui, grâce à sa puissante « conduite intérieure Renault » ? Nul ne le sait ! On lui connaissait une passion pour les courses et les chevaux mais personne ne l’a jamais vu pousser un ballon de football. Pourtant, à la grande surprise de sa famille, c’est lui qui propose une solution pour que l’Éclair puisse avoir enfin le stade de ses rêves. Il offre un vaste terrain de son patrimoine au Club ! Il y a bien un petit problème mais c’est aussi un avantage. Ce terrain agricole – qui deviendra le stade de Fives – est situé sur la commune de Mons-en-Barœul ! C’est juste à la frontière entre les deux communes et cela ne pose pas de problèmes insurmontables aux supporters fivois. D’un autre côté, la municipalité de Fives n’aura pas son mot à dire sur le permis de construire et les dirigeants savent qu’ils seront à l’abri de toute tracasserie administrative.
Voilà qui peut dynamiser cette zone rurale de façon intéressante.
La municipalité de Mons-en-Barœul en profite pour entourer le terrain de football d’une voirie susceptible de recevoir de nouvelles constructions. Un petit bout de ville va pouvoir naître autour du stade. Le club de football, et la municipalité, sont pleins de reconnaissance envers le généreux donateur. Il paraît légitime de baptiser le stade et une nouvelle rue du nom d’Albert Virnot. Mais il y a un léger problème. Le nouveau terrain de foot faisait partie de la dot de sa femme. Il était depuis plusieurs générations la propriété de sa belle-famille. Albert, critiqué par ses beaux-parents est gêné aux entournures. C’est pourquoi le stade ne s’appellera pas « Albert Virnot» mais « Virnot», tout court… de même que pour l’avenue qui le borde : après tout, son épouse s’appelle bien «Virnot» ? Quant à la voie qui lui est perpendiculaire et qui aurait dû s’appeler « avenue Cécile Virnot », le nom de sa fille, on la dénommera simplement « Avenue Cécile ». Tout bien considéré, c’est quand même la petite-fille de ses beaux-parents !
Cette bizarrerie originelle, va provoquer par la suite quelques effets collatéraux fâcheux. Un stade et une rue avec un nom, sans prénom, cela fait un peu moche ! C’est ainsi que Wikipédia va inventer un troisième personnage, Félix Virnot. En réalité, ce Félix Virnot n’a jamais existé. Félix n’est autre qu’Albert. Mais beaucoup d’articles ou de livres ont recopié cette information. Quand j’ai parlé à Brigitte, la fille de Cécile Virnot, de l’existencce de ce « Félix », elle n’était pas très satisfaite. « Je sais bien que je suis âgée », disait-elle, « mais pas au point de ne plus être capable de connaître le prénom de mon grand-père ! » Un peu fâchée,Brigitte a prévenu Urbain Virnot, qui habite en Suisse, le chef des familles Virnot pour l’Europe. Voici ce qu’il m’a écrit : « Cher Monsieur, Je viens de vérifier les arbres généalogiques de notre famille. Je suis en mesure de vous affirmer que depuis la fin du XVIe siècle, ni en France, ni en Italie, aucun Virnot de Lamissart, ne s’est jamais appelé Félix ! » Quand, en 2014, j’ai écrit une série d’articles pour l’Édition de Villeneuve-d’Ascq du journal La Voix du Nord sur cette histoire d’Albert – Félix Virnot et de son stade, que j’ai usée jusqu’à la corde, il n’y avait rien à part l’article de Wikipédia. [1] Aujourd’hui, en reprenant ce récit, j’ai eu le plaisir de constater que beaucoup d’articles publiés sur Internet développent la bonne version… mais pas tous !
En 1910, Albert Virnot meurt brutalement à l’âge de 46 ans.
Peu à peu on va l’oublier. En 1937, on rebaptise le terrain, « Jules Lemaire », du nom d’un dirigeant du Sporting décédé. Mais, les supporters n’en ont cure. Ils continueront à l’appeler Stade, « Virnot », comme au bon vieux temps ! C’est dans ce lieu que va s’écrire une des plus belles pages du football lillois. En 1944, les deux clubs ennemis du versant lillois de la métropole, l’Olympique Lillois, et le Sporting Club Fivois vont fusionner.Comme « il ne faut fâcher personne » on prendra les initiales des deux anciens clubs pour désigner le nouveau qui désormais s’appellera le LOSC. Et, comme il ne « faut toujours pas fâcher personne », les matchs à domicile se tiendront alternativement au stade Victor-Boucquey-Henri-Jooris, de l’avenue Dunkerque(le terrain de l’Olympique Lillois) et au stade Jules-Lemaire–Virnot (le terrain du Sporting Club Fivois).
Mais le 17 février 1946, lors du derby Lille-Lens, un événement fâcheux se produit au stade Henri-Jooris.
L’une des tribunes, vétuste et particulièrement bondée, s’écroule sur les spectateurs. Le terrain de la rue Dunkerque est condamné pour le reste de la saison. On jouera donc le reste des matchs à domicile à « Virnot ». Qu’à cela ne tienne ! Le public de cette enceinte est particulièrement bouillant et dope l’équipe du LOSC. Le terrain, occupant une cuvette dans un ancien endroit marécageux est très humide et agit sur les caractéristiques du ballon. Cela ne gêne pas l’équipe locale qui s’y est habituée mais fait fulminer les visiteurs. Peut-être est-ce une des raisons – même si la principale est l’excellence des joueurs – si cette saison-là, le club réalisera le premier doublé coupe-championnat de son histoire. Les dirigeants du club commencent à se demandent si ce stade est bien conforme au standing qu’ils souhaitent développer, à l’avenir. C’est un stade à l’ancienne, assez petit, et pour sortir des vestiaires ou pénétrer sur le terrain il faut passer par la buvette, un peu à la manière IKEA des gares et des aéroports d’aujourd’hui ou l’on rejoint son siège en longeant les boutiques. À partir de l’année 1949, le LOSC décide de jouer tous ses matchs à Henri-Jooris rénové. Virnot-Jules-Lemaire ne servira plus que pour l’entraînement et les équipes de réserves.
À la fin des années 1950, le club cédera le terrain à la mairie de Mons qui a des projets immobiliers. On démolira le mythique stade Virnot pour y construire, en lieu et place, le tout premier programme immobilier du « Nouveau Mons ». Nul doute que le LOSC n’ait vendu le terrain plus cher que ce qu’il avait coûté au Club, dans la décennie 1900, grâce à la générosité d’Albert Virnot.
[1] On les retrouvera très facilement sur Internet. Ils sont signés souvent d’un mystérieux « Les Rédactions de la Voix du Nord » ou pas signés du tout… si mais on reconnaîtra l’information développée ci-dessus et provenant pour l’essentiel des renseignements fournis par Brigitte, la petite-fille d’Albert.
Sélection littéraire
On pourra, pour poursuivre cette lecture, consulter un article récent de La Voix du Nord, facilement repérable sur Internet : « Quand Lille n’avait pas un, mais deux clubs de foot de haut niveau. » Ainsi que – toujours sur Internet – « Les Sans-Gêne » dont nous ne pouvons pas résister au plaisir de citer un extrait et qui s’adresse aux habitants des maisons bâties à l’emplacement des anciens stades :
« Ils et elles vivent là, paisiblement, sous nos yeux, piétinant en toute impunité des décennies d’histoire et de trophées. Ce sont les inconscient(e)s qui ont choisi de vivre sur les vestiges de ce qui fut jadis la gloire du football nordiste : les anciens stades Jules-Lemaire, Henri-Jooris, et Grimonprez-Jooris.
Accepteriez-vous que des individus vivent sur les terres de vos glorieux ancêtres, qui ont combattu pour le prestige de votre famille, de votre ville ?
Accepteriez-vous que des individus vivant sur ce lieu n’aient aucune pensée pour ce passé, le piétinant chaque jour un peu plus ?
Accepteriez-vous qu’à la place de magnifiques gestes techniques propres au football, s’exercent désormais sur ces lieux de sports de merde comme du jogging ou du kayak, qu’on joue au molkky et que circulent des trottinettes électriques ?
Accepteriez-vous que, jour après jour, le souvenir fasse ainsi place à l’oubli ? »
Souvenir
Une pensée émue pour Brigitte, la fille de Cécile Virnot, sans qui l’histoire qui est racontée ici, comme dans d’autres publications, serait sans doute tombée dans l’oubli pour toujours. Brigitte avait la fibre et les qualités « du Chef ». Elle ne s’en laissait pas conter et pouvait avoir la dent dure, mais elle se montrait toujours bienveillante. C’était une personne espiègle, spirituelle, anticonformiste, très attachée aux valeurs familiales.