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Marie-Antoinette Debroucker, 1913–2021
Marie-Antoinette Debroucker est décédée au mois de juin 2021 dans sa cent-neuvième année. Elle était une figure de son quartier et des événements festifs qui réunissent les anciens.
Marie-Antoinette est née à Lille en 1913, un an avant la Grande guerre
et la terrible Occupation de la ville par l’armée allemande, de 1914 à 1918. La ration alimentaire d’un Lillois d’alors est de 1500 calories, alors qu’il en faudrait pratiquement 1000 de plus pour rester en bonne santé. Les habitants de la ville occupée n’ont plus les moyens de se chauffer Beaucoup d’enfants meurent prématurément. Ceux qui survivent, malgré les carences alimentaires, vont être de plus petite taille que la génération qui les a précédés. C’est peut-être ce qui explique que Marie-Antoinette, petite bonne femme d’un mètre cinquante-cinq, a toujours débordé d’activité et démontré une volonté de fer. « À la maison, c’était elle qui représentait l’autorité », témoigne Pierre, son fils aîné.
Jeune-fille, Marie-Antoinette va exercer le métier de vendeuse au magasin « Boca », rue de la Monnaie, dans le Vieux Lille, une enseigne réputée de prêt-à-porter. Puis, elle va se marier. Après la naissance de son fils elle va devenir « femme au foyer », tout en sous-traitant à la maison des dossiers d’imposition de l’administration fiscale. À la fin du mois de mai 1940, comme vingt ans plus tôt, l’armée allemande assiège Lille. Marie-Antoinette se souvient des exactions de la première guerre. La voilà lancée, accompagnée de son jeune fils, sur les routes de l’Exode. Ce sera Elbeuf, en Normandie, puis la Vendée ! Les nouvelles de Lille ne sont pas si mauvaises.
Elle décide de rentrer à la maison en faisant du stop. C’est une voiture d’officiers allemands qui va la prendre en charge pendant la plus longue partie du trajet. Cette fois, les représentants du Reich se montrent très sympathiques. Ils sortent de leur portefeuille la photo de leurs femmes et de leurs jeunes enfants, restés à la maison. Son mari, soldat, étant resté prisonnier tout au long de la guerre, Marie-Antoinette se débrouillera seule pour assurer le quotidien. La paix revenue, le mari rentre et c’est la naissance du second enfant : une fille !
Marie-Antoinette a habité presque toute sa vie, à l’orée de la ville de Mons-en-Barœul
une petite maison de la rue Jean-Jacques-Rousseau, pas très loin de l’église Saint-Sacrement de Fives. Elle était très pieuse et n’aurait raté sous aucun prétexte la messe du dimanche matin. Tant que celles-ci ont existé, elle assistait aussi aux cérémonies du mercredi. Elle était très généreuse avec la paroisse et une foule d’œuvres caritatives catholiques. « Elle donnait sans compter a énormément de monde. Son idole, c’était l’Abbé Pierre », explique son fils, Pierre. Marie-Antoinette avait appris la musique. Elle jouait du piano et chantait d’une magnifique voix de soprano. Elle était membre réputée de plusieurs chorales de haut niveau de la métropole. À trente ans, elle s’est découvert une vocation sportive. Elle s’est acheté un vélo et avalait les kilomètres… à une époque où cela n’était pas encore la mode. Son mari étant beaucoup plus âgé, elle devient veuve très tôt, à l’âge de 65 ans. Elle déborde encore d’énergie. Elle se lance dans les voyages et visite les principaux pays d’Europe : l’Italie, l’Espagne, la Scandinavie… mais aussi le Canada. Elle s’est rendue dans la quasi-totalité des pays qui, à cette époque, se trouvaient derrière le « rideau de fer ». Au moment de la chute du mur, elle se trouvait à Berlin.
Elle a toujours été la star de son quartier
mais, quand elle s’est approchée du seuil symbolique du siècle de vie, sa cote de popularité est montée d’un cran. « Elle a conduit sa voiture jusqu’à l’âge de 95 ans », explique son fils. « Elle a fait le ménage, la cuisine et les courses au Leclerc voisin jusqu’à l’âge de 105 ans. C’est seulement au cours de ces trois dernières années qu’il lui est arrivé de tomber malade et qu’une aide-ménagère est venue la seconder pour l’entretien de sa maison. » Son statut de doyenne lui valait, à chaque anniversaire, la visite de Rudy Elegeest, le maire de la commune : « Je venais lui porter un bouquet et nous discutions. C’était toujours un moment très plaisant et empreint d’émotion. » Lors des repas des anciens, elle était très attendue : « Dès qu’elle apparaissait dans la salle, elle était très applaudie des six-cents personnes présentes.»
Marie-Antoinette était une figure connue et appréciée de cette paroisse, à cheval sur le quartier du Bas de Mons et la ville voisine de Fives. Avec elle, c’est toute une époque qui s’éteint.