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Pierre Parent et la rue du général de Gaulle, 1923-2019

Pierre Parent, nous a quitté sans faire de bruit au début de l’année 2019. Il avait 96 ans d’une vie bien remplie. Juste quelques lignes et une photo dans le journal pour témoigner de son existence ! Ce n’était pas grand-chose ! Il était la mémoire de sa commune !

Il y a quelque temps en fouillant dans mes archives, j’ai retrouvé ce portrait.

Il n’a jamais été publié car effectué au hasard d’une conversation. Pierre n’aimait pas qu’on le photographie, mais il aimait bien voir ses photos… surtout si elles étaient  publiées dans le journal local !  C’était l’un de ses nombreux paradoxes. Pour ce militant des jeunesses catholiques d’avant la deuxième guerre mondiale, il ne convenait pas de se mettre en avant, mais il était content qu’on s’intéresse à lui. C’est surprenant qu’il se soit laissé photographier aussi facilement, l’œil droit vers l’objectif En général il multipliait les mouvements pour empêcher que la photo soit exploitable. Il vivait dans une grande pièce du rez-de-chaussée, avec tous ses souvenirs accrochés au mur ou dans des cadres posés sur les meubles. La lumière en contre-jour est un peu risquée pour un portrait, mais, à part ce défaut – et quelques autres – c’est bien lui, Pierre, dans son univers !

A l’école privée Saint-Honoré. Pierre figure sur la photo. Mais lequel est-ce?

Pierre aura passé presque un siècle

de sa naissance à sa mort, rue du général de Gaulle, dans un tout petit bout de trottoir, délimité par trois maisons, côté impair. Ce long voyage immobile va aussi passer par l’école Saint-Honoré et le patronage de la rue Florimond-Delmer, proches. Il aimait bien évoquer les souvenirs de ce temps-là : « Au patronage, on pratiquait toutes sortes d’activités : des projections de cinéma, du théâtre, des activités sportives comme celles de la Société de gymnastique, le basket ou encore l’athlétisme », racontait-il. « Je courais le soixante mètres en compétition et notre entraîneur était l’abbé Verpoort. Quand il voulait expliquer quelque chose il retirait sa soutane sous laquelle il avait enfilé un short. Il était redoutable à la course ainsi qu’au saut en longueur où il réalisait régulièrement des bonds de près de six mètres ». Cette Société sportive du patronage s’appelait « la Fraternelle ». Pierre va y jouer aussi au football. On s’entraînait dans une pâture située dans le bas du bourg et, le dimanche, on jouait les matchs sur le terrain d’un établissement scolaire qu’on désignait à l’époque par « Pédago » (actuel lycée Ozanam).

Il avait comme particularité d’avoir un grand arbre planté à la place du poteau de corner. Le club va changer de nom et de direction : Racing Club Monsois, avant-guerre, puis quand Pierre revient de captivité en Allemagne, Football Club Monsois. C’est sous ces couleurs qu’il va disputer, en 1952, un match mémorable, le jour de l’inauguration du stade de Lattre de Tassigny, le premier terrain de football, digne de ce nom de la commune. À dire vrai, à cette époque Pierre était déjà presque trentenaire et son équipe était celle des « Coiffeurs ». Elle avait assuré « le lever de rideau » de l’équipe Première.

L’équipe réserce du FC Mons en 1952. Pierre Parent est le second en partant de la gauche (rangée du bas).

Toute sa vie, Pierre a gardé cette photo

encadrée et poséesur la commode de la salle à manger. Y figurait toute l’aristocratie commerçante et bourgeoise de la ville. Il se rappelait encore de tous les noms des joueurs, non sans une certaine nostalgie, car il était le dernier survivant ! Il continuera sa carrière d’avant-centre de l’équipe réserve jusqu’en 1957. Le club a encore changé de nom. Il s’appelle désormais le Red Star Olympique Monsois. Sa direction est, dans sa majorité, issue de la Résistance communiste. C’était un peu curieux de la part cet ancien militant des mouvements de Jeunesse catholique ! Je n’en sais pas plus, car je n’ai jamais osé aborder frontalement ce sujet épineux avec lui !

Son destin va être bouleversé par un événement historique.

Pierre était un excellent élève. Il était entendu avec ses parents qu’il était destiné à faire des études supérieures. Mais, en 1936, alors qu’il se trouve au collège, survient un grand mouvement social qui va conditionner le reste de sa vie. « Le carnet de commandes de mon père, électricien, était plein. Tous les ouvriers étaient en grève. Il a insisté pour que je devienne son associé. » Fini les études ! Ce ne fut pas le cas de son frère aîné qui, après son diplôme d’ingénieur, va fonder une entreprise d’équipements automobiles qui existe toujours et qui a désormais atteint une taille européenne. L’apprenti électricien devient très vite un ouvrier confirmé. Au début des années 1950, il prend la direction de l’affaire familiale. Il achète les deux maisons mitoyennes qui vont devenir son nouveau domicile et son magasin d’électricité et d’électroménager. Il épouse Yvette, une Flamande rencontrée à Ostende qui va tenir la boutique de la rue du général de Gaulle. L’affaire va marcher admirablement jusqu’au début des années 1980 où la concurrence des grandes enseignes va la faire très vite disparaître.

Le magasin d’électricité et électroménager Parent, dans les années 1950.

« Je distribuais les radios Sonneclair, les transistors Optalix et les télévisions Continental-Édison » expliquait Pierre. « Le magasin était l’attraction de la rue. Je me souviens qu’en 1953, pour le couronnement de la reine Elizabeth, il y avait une trentaine de personnes agglutinées devant la vitrine à regarder la télévision ».

Pierre qui avait été membre d’un tas de sociétés, qui avait installé l’électricité dans la plupart des maisons de la rue, qui avait vendu une foule de postes de radio et de télévision, avait fini par connaître presque tout le monde à un kilomètre à la ronde de son magasin. Il y avait aussi son expérience d’enfant, qui nourrissait ses récits, lorsqu’il était chargé d’acheter le beurre ou le lait dans les fermes ou bien encore, lorsqu’il allait pêcher dans l’étang de la grande maison des pères Oblats. Parfois, il n’avait pas à chercher bien loin pour captiver son public. Dans les années 1920 le tramway qui reliait Lille à Roubaix, s’arrêtait juste en face de chez lui.

La station de tramway était juste devant le magasin.

« Il y avait à l’arrière un grand phare avec cinq lampes de 110 V montées en série », aimait-il raconter. « La raison en était que le tramway de cette époque était alimenté par un trolley dans lequel passait en courant de 550 V. il faut être un vieil électricien comme moi pour savoir cela ! Lorsque la perche quittait son guide et qu’il fallait la remettre cela provoquait toujours une grande gerbe d’étincelles ! Un vrai spectacle ». Pierre avait aussi connu l’allumeur de réverbères qui venait allumer chaque soir celui qui se trouvait, juste au-dessus de la station.

Cette histoire de bec de gaz posait son homme dans le quartier et intimait le respect aux gens des nouvelles générations. Un jour, avec une grande perche qui se trouvait dans son jardin il a voulu me faire la démonstration de la façon dont il fallait s’y prendre pour allumer le réverbère afin que je puisse en réaliser la photo. J’étais venu le voir, entre chien et loup, au moment où il y a encore un peu de lumière. Mais il n’a jamais voulu sortir car, l’allumeur de réverbères qu’il avait connu avait coutume de venir beaucoup plus tard, juste au début de la nuit. Du coup, la photo n’était guère exploitable. Pierre était très têtu. Il connaissait aussi une foule d’histoires à propos de tout ce qui s’était passé avant et après la guerre. Pour la plupart, elles étaient de celles qu’il ne faut jamais raconter. Une fois, sans citer mes sources, j’ai publié l’une d’elles, pensant qu’il y avait prescription. Je ne suis me suis pas fait que des amis. Depuis, j’ai soigneusement évité de rapporter les succulentes histoires de Pierre. Toute vérité n’est pas bonne à dire !

Pierre était très généreux et toujours prêt à aider les autres.

Il faisait partie du groupe des PDG entendez par-là les Porteurs de Gamelles. Ce sont des gens qui portent les repas aux autres, lorsque ceux-ci ne peuvent plus se déplacer. Pendant des années, je l’ai vu avec sa camionnette jaune, qu’il avait rachetée tout spécialement pour cet usage à la Poste, aller porter ses repas à domicile. Mais, au fil des années, il a développé un problème aux yeux – la macula – ce qu’il a empêché de conduire. Alors, ce sont ses collègues PDG qui sont venus lui porter son repas. Brusquement, Yvette a développé la maladie d’Alzheimer. Elle a dû être placée dans un établissement spécialisé. Pour Pierre, c’était une grande douleur. Malgré sa mauvaise vision, qu’il neige, qu’il pleuve, ou bien que le soleil transforme la rue en un four brûlant, on le voyait, à heures fixes, rejoindre la station de métro pour rendre visite à son épouse.

Hormis son intérêt pour sa famille et le théâtre, il avait développé une grande passion : le jardinage ! Il adorait contempler son jardin à travers la vitre dans sa grande salle de séjour l’hiver, quand il faisait froid ou bien lorsqu’il pleuvait. L’été, il aimait s’y asseoir sur un banc. Mais la plupart du temps il y travaillait… d’arrache-pied ! Il était sans doute une des rares personnes habitant en ville capable de greffer un arbre. Sa pelouse était toujours admirablement tondue et ses arbres parfaitement taillés. À quatre-vingt ans passés, du temps où il y avait encore le service des Encombrants qui passait, rue du général De Gaulle, il entassait dans de grands sacs les débris du jardin. À l’automne, le jour de passage de la benne de ramassage il y avait devant sa maison plusieurs dizaines de sacs de feuilles soigneusement alignés le long de la façade.

Le jardin de Pierre.

Pierre était un bon camarade.

Comme il y avait une bonne génération d’écart qui me séparait de lui, il m’arrivait de le vouvoyer. J’avais appris, à la campagne, à être déférent avec les aînés. Cela le mettait très en colère. Pour lui, entre voisins, à moindre être fâchés, on se tutoie. Cela a toujours été ainsi à Mons-en-Barœul ! Il prenait ce vouvoiement presque comme une insulte ! J’avais vite pris le pli et je me surveillais afin d’éviter un « vous » malencontreux. L’amitié était l’une de ses grandes valeurs. Il aura passé beaucoup de son temps à rendre service et à faire en sorte que les moments vécus auprès de lui soient agréables aux autres. Si le paradis – auquel il croyait dur comme fer – existe, il y est sans doute entré directement. Il y a sûrement retrouvé ses vieux potes du Red star Olympique Monsois et ils doivent se raconter pour l’éternité, les vieilles histoires scabreuses de la commune. Peut-être sera-t-il content de voir que nous sommes quelques-uns, restés ici… qui ne l’avons pas oublié.