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En France, à la Libération, il souffle comme un vent de liberté. On nomme, au gouvernement et dans les grandes administrations des gens qui, en temps ordinaire, n’y auraient pas trouvé leur place. Le ministère de l’Éducation Nationale propose une action incongrue qui consiste à faire découvrir leur commune aux élèves et à restituer le travail sous la forme d’une exposition photographique. Louis Cnudde, le directeur de l’école Rollin décide de s’inscrire dans cette action qui est tout à fait dans le fil de ses idées sur la pédagogie.
Louis Cnudde n’avait pas attendu les directives ministérielles pour inciter ses élèves à découvrir la commune, ainsi que sa campagne environnante.
Dès 1938, les Monsois purent s’apercevoir d’un changement du côté de l’école Rollin. Une de ses classes sillonnait régulièrement les rues du bourg, accompagnée de la grande silhouette de leur nouvel instituteur. Aujourd’hui, on appellerait peut-être ces pérégrinations, « Classes découvertes », mais, du temps de Louis Cnudde, il n’y avait pas de mots pour les décrire. Un brin goguenard, les Monsois parlaient des «Classes promenade de Monsieur Cnudde. » L’un des lieux privilégiés de destination de ces expéditions était le jardin de Louis. Il avait acquis, derrière sa maison de la rue Pasteur, un immense terrain qu’il cultivait à la fois par passion et – dans cette période de l’Occupation où l’on manquait de tout – par nécessité. Il essayait de transmettre à ses élèves son goût pour le jardinage, les gestes essentiels et tout ce qu’il faut connaître pour récolter de beaux légumes. Le moment préféré des élèves de l’école Rollin était celui de la visite du pigeonnier. L’instituteur était, comme on dit ici, « un coulonneux », une passion que lui avait transmis son père. L’instituteur en connaissait un rayon sur ces petites bêtes et leurs étonnantes performances.
D’autres fois, on partait vers la campagne. En cette fin de la seconde Guerre mondiale, Mons-en-Barœul était un bourg rural entouré de fermes et de champs. Il y avait le choix quant à la destination. En ville, aussi, où se déroulaient l’essentiel des activités artisanales et industrielles, existaient aussi une foule de choses à voir.
Pour mettre en place son exposition photographique, Louis Cnudde, devait pour pouvoir prolonger ses fameuses « Classes-promenade » selon les directives ministérielles, s’armer d’un appareil-photo. À dire vrai, à l’inverse du dessin où il excellait, la photographie n’était pas sa spécialité. C’est pourquoi, afin de répondre au cahier des charges de l’opération, il avait fait appel aux compétences de son épouse, Gilberte, experte dans la discipline. Louis Cnudde avait récupéré le vieux Kodak « Vest Pocket » de son père, une merveille de la technologie, juste avant la première Guerre mondiale mais qui, en 1945, commençait à dater. Cet appareil de type « folder » se dépliait lors de la prise de vue puis se repliait, comme son nom l’indique, pour pouvoir être rangé dans une poche. Ces pérégrinations ont laissé un souvenir impérissable aux élèves de ce cours moyen de cette année scolaire 1944 – 1945. « Je me rappelle de la fois nous sommes allés visiter les alentours du Fort de Mons », raconte Michel Pollet. « On en avait profité pour faire une partie de football du côté du « Petit Fort ». Nous avions très soif. Nous sommes rentrés dans le café, « Les Blés d’or ». Il se situait pas très loin de la ferme Huchette. Il était tenu par les parents de l’un des élèves de la classe. Monsieur Cnudde nous a payé une limonade, à tous. »
Les élèves, accompagnés de leur couple d’enseignants, ont aussi visité beaucoup de fermes : Grimonpont, Pottier, d’Halluin etc. Ils sont également allés dans des administrations, comme la Mairie et la Poste. Ils ont aussi visité quelques usines, comme le tissage Lechartier ou la Brasserie de Mons.
Toutes les photos, produites au cours de ces sorties, ont permis la réalisation d’une belle exposition. Le vernissage a eu lieu à l’école Rollin, au mois de juin 1945, en présence des élus et les autorités académiques. Un beau dossier dans lequel étaient insérées les photos, en plus petit format, a été envoyé au Ministère. Peut-être est-il gardé quelque part ? En tout cas, nous avons pu en récupérer quelques-unes ! Elles ont changé de statut. Elles ne sont plus simplement le témoignage d’un travail scolaire mais sont devenues des documents historiques sur cette petite ville qui comptait neuf-mille habitants en 1945.
Galerie
Pour se rendre au monument aux morts depuis l’école Rollin, c’était facile : il était au bout de la rue. En cette année 1945, on assiste à un retour du patriotisme. L‘Occupation a été durement ressentie par la population. Il existait, à Mons-en-Barœul, un important mouvement de Résistance. Les fêtes patriotiques attiraient une grande partie de la population monsoise devant ce monument. On ne connaît pas les commentaires de l’instituteur et de sa classe, écrits en dessous de la photographie exposée. Cependant, Louis Cnudde qui avait été engagé dans les combats en 1940 contre l’armée allemande avait sûrement son opinion sur la question.
La Poste, à cette époque, c’était 50 m plus loin ! À gauche de la photo on voit qu’il manque un bout de mur. Ce quartier avait été bombardé en mai 1940 par l’aviation allemande. Il n’y avait aucun intérêt stratégique à le faire, sinon de vouloir terroriser la population. Plusieurs maisons furent détruites alentour et il y eut plusieurs morts dont la patronne du café qui se trouvait en face. La Poste n’avait subi que des dégâts mineurs. L’Allemagne continua cette politique des bombardements de la population civile contre les villes d’Angleterre : un épisode que l’on désigne généralement sous le nom de Blitz. Hitler perdit la bataille aérienne d’Angleterre. La plupart de ses avions furent détruits et leurs pilotes tués. Cela ne l’empêcha pas de continuer à terroriser la population civile britannique au moyen des V1 et des V2, les premières fusées mises au point dans le Monde. À partir de 1943, les aviations anglaises et américaines utilisèrent les mêmes moyens en bombardant les populations des villes allemandes, produisant des centaines de milliers de morts. Sur la photo, Michel Pollet et le 13e élève en partant de la droite.
Un petit saut de puce d’une centaine de mètres et on se trouve à la mairie ! Elle avait été construite à la fin des années 1870 en même temps que l’école Rollin. Aujourd’hui, la nouvelle mairie se trouve dans le nouveau Mons et ce vieux bâtiment abrite les activités de quelques associations. La pendule monumentale, en haut du porche, existe toujours et donne l’heure aux habitants du quartier des Hauts-de-Mons.
Ce pont, qui enjambait la voie ferrée se trouve au bout de la rue Thiers, à Mons-en-Barœul, pas très loin de l’actuel Intermarché.
Voici un texte qui parle de l’endroit :
« Le samedi, direction « La Briqueterie », le quartier de ma tante. La longue route le long des champs à Potier, la côte Mirabeau, la traversée de la grand-route vers Roubaix, la rue de la Sablière en cul-de-sac, les petits sentiers en terre cheminant à travers les jardins-ouvriers et la voie ferrée que nous enjambons sur la vieille passerelle en fer tremblotante, passerelle provisoire depuis plus de trente ans. Elle avait été édifiée pour suppléer le pont démoli, lors de la guerre de 14-18. Nous arrivons dans le quartier de tante Marguerite, ce quartier Saint-Maurice fait de petites maisons basses et de quelques rues en impasse, telle que celle de ma tante qui débouche sur le terrain vague d’une ancienne briquetrie et des jardins ouvriers. »
D’après un roman de Jean-Yvon Beulque
Cette usine textile était située rue Pasteur. En 1945, elle s’appelait Lechartier. Elle avait succédé à l’enseigne précédente, Ply et Faure. Avant la guerre de 14, cette usine se trouvait à Lille, près de la porte de Douai. Après la prise de Lille, en octobre 1914, l’armée allemande avait incendié l’entreprise lilloise qui représentait un certain intérêt stratégique. Après la première guerre mondiale, l’entreprise était venue s’installer à Mons-en-Barœul. Elle était spécialisée dans les textiles techniques et notamment les matériaux utilisés dans les filtres des moteurs. Cette usine Ply et Faure ne manquait pas d’imagination. Elle était la seule à proposer un textile technique fabriqué à l’aide de cheveux humains qui arrivaient de Chine car les cheveux des Chinois, beaucoup plus fins que ceux des Européens, permettaient de fabriquer un matériau de bien meilleure qualité.
Un peu plus loin, lorsqu’on chemine le long de l’actuelle rue du général De Gaulle, on arrive à cet endroit qui aujourd’hui s’appelle le Parc du Barœul. À cette époque, il s’agissait du verger des Pères Oblats. Ils possédaient ce vaste terrain, dépendance de leur imposante maison, qui existe encore de nos jours. Les arbres de ce verger, planté en 1920, sont toujours là ! Des spécialistes des arbres fruitiers qui,, dernièrement, sont venus visiter l’endroit, ont été incapables de dire qu’elle sont les variétés des pommes produites par ces arbres. En tout cas elles sont délicieuses ! Ces arbres ont un inconvénient. C’est qu’ils montent très loin du sol. Pour cueillir les pommes, il faut utiliser un outil spécial avec une grande perche, ce qui oblige à traiter les fruits un par un. C’est très long et peu rentable. D’un autre côté, les pommes sont naturellement préservées des parasites qui dans les vergers plus modernes doivent être traitées avec des produits toxiques. Ces Pères Oblats, vivaient quasiment en autarcie. Ils avaient aussi planté une grande vigne. Ils possédaient des animaux domestiques qui leur donnaient la viande, le beurre et les les œufs. Ils prêtaient volontiers leur terrain aux élèves de l’école privée Saint-Honoré ainsi qu’au patronage qui dépendait de la Paroisse. Visiblement, ils avaient aussi l’esprit ouvert. Ils avaient permis à Monsieur Cnudde de et à ses élèves de l’école publique Rollin de prendre possession des lieux. Nul doute que l’instituteur, expert en Sciences de la nature et en jardinage n’ait pu en profiter pour instruire ses élèves.