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Blanquart-Évrard et « L’Imprimerie Photographique » de Loos
Un pionnier de la Photographie
Blanquart-Évrard est un jalon important dans l’histoire mondiale de la photographie. Il a mis au point des formules et des techniques qui ont permis au procédé « négatif-positif » de devenir, la référence absolue en matière de production photographique.
Louis-Désiré Blanquart nait à Lille en 1802. Nous sommes à l’aube du XIXe siècle et à la fin du calendrier révolutionnaire. Sons acte de naissance indique le 14e jour du mois de Thermidor de l’an 10e de la République. Ses parents, originaires de Quesnoy-sur-Deûle, tiennent un débit de tabac, rue de Paris, en plein cœur du quartier Saint-Sauveur. Rien ne destine ce jeune homme modeste à un avenir exceptionnel. Il fait ses « études dans des institutions privées » ce qui lui permet d’occuper un poste dans les bureaux de « l’Administration des Tabacs ».
Au début des années 1820, la ville de Lille, ne possédait pas encore d’université. Elle recrute un jeune et brillant professeur de chimie, Frédéric Kuhlmann. Celui-ci donne ses cours à « l’Institut Industriel » de la rue des Lombards. Kuhlmann, remarque très vite ce jeune étudiant, travailleur, intelligent, débrouillard, et motivé. Il fait de Louis–Désiré son assistant. Nul doute que la fréquentation du grand savant – qui perdurera bien après cette période – permettra au Lillois d’améliorer des connaissances qui lui seront très utiles dans ses nombreuses recherches sur l’image photographique.
En 1831, Louis-Désiré épouse Virginie Evrard, une très jolie femme dont les parents possèdent l’enseigne « Au Mouton des Ardennes », aux 9 et 11 de la rue Grande-Chaussée. C’est un important commerce de draps et confection. Louis-Désiré adopte le patronyme de Blanquart-Évrard et, de fil en aiguille, le costume de drapier et de bourgeois lillois. Bientôt, il prendra la succession du beau-père.
Dès que le procédé de Louis Daguerre est publié, en 1839, Louis-Désiré devient l’un des premiers daguerréotypistes de France (voir ci-dessous). Puis, s’inspirant du « Calotype » de l’anglais Fox-Henry Talbot, qui imprime le négatif et le positif sur des supports séparés, il va, en 1846, proposer son propre procédé. Celui-ci sera validé par l’Académie des Sciences le 21 janvier 1847. Alors que le « Calotype » reste confidentiel en France, le procédé Blanquart-Évrard va connaître un succès fulgurant. La mise en œuvre simplifiée, les temps d’exposition raccourcis pour le négatif comme pour le positif, la qualité des épreuves produites et la publication par l’auteur de son mode d’emploi sont sans doute les clés de cette réussite.
Le premier à avoir photographié la ville de Lille
Le 7 janvier 1839, Louis Daguerre, communique à l’Académie des Sciences son nouveau procédé, le « Daguerréotype ». Blanquart-Évrard qui suit de près les travaux de l’honorable assemblée, jusqu’à faire parfois le déplacement à Paris, est enthousiaste. Immédiatement il se lance dans l’aventure. Il n’est sans doute pas seul… à Lille ! Ironie du sort, on le sait grâce à ses ennemis. C’est un livre de 1864 d’Alexandre Ken – un faux-nez de Sir Fox-Henry Talbot, inventeur du procédé voisin et concurrent – qui nous l’apprend aussitôt relayé par une bonne partie de la presse française. Ils prétendent que le Lillois aurait « volé » l’invention britannique. «Blanquart-Évrard était membre d’une société de photographes lillois qui, comme nous l’avons souvent noté ne pratiquaient la photographie qu’en amateurs comme dérivatif à leurs occupations professionnelles », peut-on lire et, plus loin, « Le cercle acheta en 1844, les procédés offerts par Tanner l’ancien préparateur de M. Talbot et bientôt de nombreuses et bonnes épreuves remplacèrent à Lille les anciens portraits sur plaque ». Traduisez : « Blanquart- Évrard et ses amis ne sont ni des photographes, ni des scientifiques, juste des bourgeois de province et de surcroît des voleurs. » En tous cas, par ce moyen détourné, on peut déduire que l’activité daguerréotypiste de Louis–Désiré peut être située entre 1839 et 1844. On peut lui attribuer des façon certaine les daguerréotypes de la « Vieille Bourse », la vue du « Pont Notre-Dame au port de la Haute Deûle » et probablement aussi celle du Palais de Justice nouvellement construit en 1839 (le port du Vieux-Lille était situé à deux pas de son domicile du 28 rue de Thionville). Louis-Désiré n’était pas le personnage cupide brossé par ses accusateurs. Vers la fin de sa vie il légua à diverses institutions publiques, œuvres et matériel. La plus belle part revint à la Ville de Lille. Mais l’incendie du 23 avril 1916 a probablement réduit une grande partie de cette dotation en cendres, si bien que nous ne possédons plus que très peu de clichés sur plaque du Lillois.
Une première mondiale
La mise en place de l’atelier de Loos a été une étape importante dans l’histoire de la photo. Le Lillois a prouvé par l’action concrète qu’il était possible de reproduire en grand nombre des livres illustrés par des photos en abaissant leurs coûts qui, auparavant étaient prohibitifs. Ce ne fut pas une victoire totale dans la mesure où ces ouvrages étaient encore très chers – surtout pour la classe la plus modeste – mais ces quatre années de l’Imprimerie loosoise ouvrent la grande aventure du Livre et de Presse, illustrés au moyen de la photo. Blanquart-Évrard était un franc-tireur. Même si son travail de recherche a été décisif pour le progrès de la technique photographique et si son activité d’éditeur-imprimeur a permis aux « photographes primitifs » français d’atteindre la postérité, il n’a jamais été considéré comme totalement légitime par le monde de la photographie. Cependant, personne ne lui conteste plus le titre de « premier industriel de la photographie. »
Cette aventure se joua à Loos de 1851 à 1855. L’ouverture de « L’Imprimerie Photographique » n’était pas motivée par le désir de gagner de l’argent mais plutôt par la volonté de répondre aux attaques, adressées par presse interposée. Il y eut d’abord (1846 – 1847) l’accusation de « faussaire », dans la mesure où Blanquart reprenait beaucoup d’éléments du procédé de Talbot. Puis, lorsqu’il promit la reproductibilité en grand nombre et l’abaissement du coût des tirages, on le traita de « menteur ». N’avait-il pas écrit, « La photographie a été bannie du domaine de l’industrie. Les produits sont trop chers, les procédés […] sont trop long et trop compliqués, chaque épreuve se vend de cinq à six francs-or ». Et, en 1851, vantant son nouveau procédé : «Chaque épreuve négative peut facilement fournir 200 à 300 épreuves positives par jour, dont le prix de revient n’est pas plus que de 5 à 15 centimes ». Cette déclaration lui valut les sarcasmes du journal « La Lumière » qui faisait autorité, à cette époque.
Le Lillois décida d’exploiter lui-même son procédé. Pendant quatre ans, la production de « l’Usine photographique » de Loos, inspirera le respect. Une vingtaine d’albums seront édités dont certains comme les publications archéologiques comporteront plus de 100 planches. Cela représente des milliers de clichés et des dizaines de milliers de nombres d’épreuves positives imprimées. Blanquart-Évrard reçoit même des commandes émanant du gouvernement. Mais Il devra cesser cette activité loosoise. Malgré un abaissement considérable des coûts, la photographie reste un luxe tandis que de nouveaux procédés, comme l’héliographie, viennent le concurrencer. Il va tenter une nouvelle aventure du côté de Jersey dans la baie de Saint-Brelade en association avec Thomas Sutton mais cette imprimerie ne survivra que deux ans et ne produira qu’un seul album. « Quelques avantages que présentassent les procédés de l’imprimerie photographique on ne pouvait se dissimuler qu’il y avait un progrès plus grand à atteindre : convertir l’épreuve négative en planches gravées dont on pourrait tirer des épreuves à l’encre grasse d’imprimerie », commentera lui-même Blanquart- Évrard.
L’organisation de « l’Usine photographique »
Chef d’entreprise dans le domaine du textile, Louis Désiré a une certaine expérience de la rationalisation du travail. Il adapte ce savoir-faire à l’impression photographique. « L’Imprimerie Photographique » est répartie sur deux étages : un rez-de-chaussée et un premier. La chaîne de production est déclinée dans différentes pièces, communiquant entre elles par des moyens rudimentaires : sensibilisation des papiers négatifs – exposition des clichés -développement des épreuves – fixage – virage des « positifs » – lavage des épreuves – impression des légendes, finitions.
Cette « Imprimerie » emploie quelques dizaines de personnes : essentiellement des jeunes gens et jeunes filles de la région loosoise. Ce que l’on sait sur l’organisation et les méthodes de cette « Usine photographique », on le doit pour l’essentiel, aux révélations faites plus de 20 ans après sa fermeture, par Thomas Sutton, son ancien associé. Si le Blanquart-Évrard de 1846 – 1847 publiait minutieusement les détails de ses procédés, celui des années 1851 -1855 était devenu très cachottier. Il est probable que l’avalanche de critiques qui avait suivi sa communication à l’Académie des sciences avait pesé dans ce revirement. Le processus mis en œuvre à Loos comporte de notables changements par rapport à celui d’origine. Il s’est aussi toujours adapté en intégrant les nouvelles découvertes comme le négatif sur verre, au collodion, initié par Niepce de Saint-Victor, le neveu du père mondial de la photographie. Mais, si le procédé « négatif-positif » continuera à progresser au service de la photo, en revanche, concurrencé par des systèmes de plaques encrées, il se révélera trop coûteux comme moyen d’imprimerie.
Du quartier Saint-Sauveur à la rue Grande-Chaussée, du commerce de drap à la recherche appliquée, un destin
Qui aurait pu penser que ce jeune-homme, issu d’un quartier populaire, devienne un jour une figure mondiale de l’histoire de la photo ? En 1826, lorsqu’il n’est encore que le brillant assistant du professeur de chimie Frédéric Kuhlmann et qu’il obtient des médailles dans les salons et concours de peinture à l’huile, la photographie n’existe pas encore ! Mais son goût des arts et de la science, son esprit inventif et brillant, son intelligence et sa puissance de travail, vont l’amener à contribuer à créer un monde nouveau.
Qu’a donc réellement apporté le lillois à la grande histoire mondiale de la photographie ? Lorsque, dans les années 1846 – 1847, il publie son procédé, assorti d’une série de clichés extraordinaires pour l’époque, le daguerréotype est roi. Avec un temps d’exposition réduit (de l’ordre d’une dizaine de seconde) et des images de belle facture, malgré le handicap de ne produire qu’une épreuve non reproductible, le « Daguerréotype » a pris le pas sur le « Calotype », un procédé mis au point par le britannique William-Henry Fox-Talbot. Le « Calotype » dissocie négatif et positif ce qui permet la multiplication des clichés. Mais, ceux-ci sont inégaux, les noirs manquent de profondeur, les blancs de transparence et les gris de détails. Ce qui est surtout rédhibitoire c’est qu’il faut 3 minutes pour insoler un négatif, alors que, dès 1846, ceux du Lillois ne nécessitent que 15 à 20 secondes et seulement quelques dixièmes de seconde quelques mois plus tard ! On envisage sérieusement de pouvoir enfin fixer le mouvement au moyen de la photographie. Un critique de l’époque écrira « Blanquart- Évrard a réveillé la Belle au Bois-Dormant ». Niépce de Saint-Victor, avec la plaque de verre au collodion humide ou Georges Eastman avec le support flexible et le roll-film, écriront la suite de cette aventure qui va perdurer jusqu’à l’avènement de la photographie numérique.
Louis Désiré Blanquart Evrard qui avait rejoint une famille fortunée, a réussi pleinement un parcours de notable, brillant et cultivé. Membre de nombreuses commissions et sociétés, lilloises ou parisiennes, un an avant sa mort, il reçut la consécration qu’il avait tant espérée. Il devint, en 1871, le président de la « Société des sciences de l’agriculture et des arts de Lille », qu’il avait rejoint en 1852. Mais, comme inventeur ou comme photographe, il ne fut jamais totalement reconnu.
Vers la réhabilitation de Louis-Désiré Blanquart- Évrard
Les polémiques des années 1850, initiées par le camp britannique, mécontent de voir la France de Niepce, Daguerre et Blanquart-Évrard occuper le premier plan, ont trouvé un écho favorable chez beaucoup de commentateurs français. Il perdure jusqu’à aujourd’hui. Le paradoxe c’est que, de nos jours, les publications anglo-saxonnes donnent sans doute beaucoup plus d’importance et un statut plus enviable au photographe- inventeur lillois, que leurs homologues françaises. Il existe très peu de livres qui traitent spécifiquement de Louis-Désiré Blanquart-Évrard mais ils sont d’excellente qualité (nous en indiquons quelques-uns, ci-dessous). On peut bien entendu aussi consulter les nombreux ouvrages écrits par Blanquart-Évrard lui-même au cours de sa longue carrière, dont la plupart existent sur le site BNF-Gallica et/ou à la Bibliothèque municipale de Lille. Cette bibliothèque lilloise est aussi le lieu public où, en France, sont conservés le plus grand nombre de ces fameux albums produits à l’imprimerie de Loos. On peut enfin retrouver beaucoup des clichés contenus dans ces « incunables », en format numérique, sur le site de la B M L.
Est-ce un signe ? Le tout nouvel « Institut pour la photographie », porté par la Région des Hauts-de-France, vient de s’installer dans le Vieux-Lille, au 11 de la rue de Thionville, juste en face du domicile de Louis-Désiré qui habitait le n° 28. Il a ouvert ses portes en septembre dernier. Il devrait – fin 2021, lors de sa première programmation – mettre à l’honneur le Lillois et son œuvre, lors d’une exposition qui réunira ses plus belle photographies et ses plus beaux albums.
Livres et photographies : « Blanquart-Evrard », Jean-Claude Gautrand, Alain Buisine ; « Les Volumes de Lille, Louis-Désiré Blanquart-Evrard, 1802-1872 », « Blanquart-Evrard et les origines de l’édition photographique française, catalogue raisonné des albums photographiques édités en 1851-1855 », Isabelle Jammes ; http://www.bm-lille.fr/
De « L’Imprimerie Photographique » au lycée actuel, archéologie d’un site
Il n’existe pas de document précis concernant cette fameuse Imprimerie Photographique, établi le long du canal de la Haute-Deûle. L’essentiel de ce que l’on en sait, provient de déclarations de l’associé de Louis Désiré à l’île de Jersey, Thomas Sutton, et encore… intervienne-t-elles plus de vingt ans après la fermeture de l’imprimerie de Loos. Dans la période 1851 – 1855, instruit par sa mauvaise expérience, Louis-Désiré était très discret sur ses activités.
Lorsqu’il prend la décision de se lancer dans l’aventure de « l’Imprimerie Photographique », Blanquart-Évrard sait qu’il peut compter sur son ami Hippolyte Fockedey, avec lequel il partage la passion de la peinture et de l’Art. Hippolyte est le directeur du Mont-de-Piété de Lille. C’est aussi un Loosois, homme d’affaires avisé et respecté. Il est membre de la Commission de l’instruction publique de la ville, qui compte à cette époque 3000 habitants. Il est répertorié dans « l’Almanach du commerce de Lille et son arrondissement » comme « négociant » et sur les listes électorales de la Ville de Loos comme « manufacturier », habitant au n°11 rue du Marais (actuellement, rue du Maréchal Joffre ). C’est une vaste propriété sur laquelle sont implantés plusieurs bâtiments. Il est à noter que c’est à cette adresse que Jocelyne Moreau, historienne locale, situe « l’Imprimerie Photographique » dans un article de « Loos au fil du temps » de 1992. Pourtant l’adresse officielle de « l’Imprimerie » comme l’indique sa publicité est le « 3 bis quai de la Haute-Deûle ». Ces deux informations ne sont nullement contradictoires. La rue du Marais n’était pas appelée ainsi parce qu’elle menait vers une zone marécageuse même si, au bout de la rue on trouvait le canal, mais parce qu’elle traversait le fief du seigneur de Marais. Le canal avait été creusé là en 1271 au détriment du cours naturel de la Deûle qui passait le long de l’abbaye. Ainsi, la propriété d’Hippolyte était-elle bordée, d’abord par la rue du Marais puis dans son prolongement par le quai de la Haute-Deûle.
On peut supposer qu’Hippolyte avait dissocié deux entrées de sa propriété pour faire le distinguo entre le courrier de « l’Imprimerie » et celui de ses autres activités. Reste à savoir, en l’absence de document d’époque, où pouvait bien se trouver cette fameuse imprimerie. Sur l’enclave de la propriété Il existe toujours deux bâtiments qui, selon Gilles Maury, professeur à l’Ecole d’Architecture de Lille et spécialiste de la période, seraient « de l’époque 1830 ». L ’un est d’aspect cubique et correspond bien au n° 11 tandis que l’autre, comportant un seul étage serait une dépendance du premier. Il est situé plus au nord, et appartenait certainement, en 1851, au « quai de la Haute-Deûle ». On peut donc raisonnablement penser que c’est là qu’avait été établie « L’Imprimerie Photographique » d’Hippolyte Fockedey et de Louis-Désiré Blanquart-Évrard.
Des années 1850 à l’époque contemporaine
A la lecture du plan cadastral de la ville de Loos de 1862, il peut naître quelques ambiguïtés quant aux limites exactes de la propriété d’Hippolyte Fockedey. Cependant, vu la localisation des dépendances – à proximité du bras-nord du canal de la Haute-Deûle (actuellement rue Paul de Gennes) – on peut considérer que le domaine était délimité, à l’Est comme au Nord, par le quai de la Haute-Deûle
Hippolyte Fockedey meurt en 1873 et a trois héritiers. Le bien est vendu à un certain Monsieur Rose vers la fin des années 1870 ou au début des années 1880. A cette époque, le nouveau propriétaire commande à Emile Vandenbergh, un architecte qui a beaucoup construit à Loos, un magnifique château beaucoup plus moderne et plus confortable que la bâtisse carrée de style napoléonien ou que le manoir antique du début de la rue du Marais. Ce château constitue la bâtisse principale de l’actuel Lycée Saint-Vincent de Paul. En 1897(ou 1898), sa veuve, Madame Rose-Liénart, vend la propriété à Monsieur Léonard Danel qui, en 1896, vient d’installer sa nouvelle imprimerie dans la commune. Ainsi la « maison rose », comme on l’appelait du temps des Bigo-Danel, ne tirait pas son nom de la couleur de la façade mais du patronyme de son ancien propriétaire.
La famille Bigo-Danel va revendre à son tour la propriété à la famille Wallaert qui, en 1937, en fait don à l’institution des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul. Les religieuses ne quitteront définitivement les lieux qu’en 2013 au profit d’un vaste établissement scolaire qui regroupe le Lycée Saint Vincent de Paul et Notre Dame du Sacré Cœur. Actuellement, l’ancienne propriété d’Hippolyte Fockedey fait l’objet d’une vaste opération de restructuration immobilière.
Portrait du Photographe
Blanquart-Evrard, depuis 1847 et la communication de son procédé « négatif – positif », est devenu la cible de la presse anglaise. Cette dernière sera relayée en France par certaines revues ou cercles scientifiques comme celui de la « Société Héliographique ». Outre la paternité de son procédé, qui lui est contestée, le lillois est souvent attaqué sur ses « piètres performances » de photographe.
Si aujourd’hui, personne ne conteste plus à Blanquart le mérite d’avoir fondé la première « imprimerie photographique » du Monde, si même d’aucuns finissent par reconnaître que ce sont ses travaux qui ont permis au système « négatif-positif » de surpasser le daguerréotype, il est de bon ton de brocarder le « Blanquart, photographe ». Qu’en est-il exactement ? Blanquart avait, dans le domaine de la chimie appliquée, de solides compétences héritées de de son maître, Frédéric Kuhlmann. Il avait, le premier, érigé la chimie, en moyen d’expression artistique, permettant à l’artiste d’améliorer l’effet mécanique de la lumière sur la surface sensible afin de produire une image conforme aux intentions de son créateur. C’est pourquoi, lorsqu’il avait réalisé un tirage, en utilisant souvent des méthodes complexes qu’il perfectionnait et changeait au fil des ans, Blanquart n’hésitait pas à signer la « photographie » en précisant, éventuellement, que la prise de vue était celle de quelqu’un d’autre.
Bien entendu, il maniait aussi personnellement la chambre photographique. Il a été probablement celui qui, à Lille, a réalisé les premiers daguerréotypes. C’était en 1839. À cette époque, Louis-Désiré Blanquart-Evrard a déjà 37 ans. Son écrivain d’ami Hippolyte Verly dans son « Essai de biographie lilloise contemporaine » une sorte de « Who’s who » du Lille de ce temps-là, le décrit ainsi : « Le commerce auquel il s’adonne à partir de cette époque ne lui laissa plus que de rares loisirs qu’il consacra à l’étude de la photographie ». Ce statut « d’amateur » constituera d’ailleurs un grief à charge supplémentaire. Mais sur les clichés – très peu nombreux – qui nous sont parvenus, on voit que l’opérateur choisit avec soin l’angle de vue afin que l’image soit pertinente et équilibrée. Il dispose les éléments humains pour mettre en relief l’étagement des plans, à la manière dont procédera plus tard le photographe de presse.
Aux environs de 1845, commence l’aventure de la photographie sur papier. Pour ses contemporains, les photos de Louis Désiré sont des objets merveilleux… du jamais vu ! La série de 1846 est composée essentiellement de portraits. Louis-Désiré fait poser ses modèles à la manière d’un peintre à l’instar de son autoportrait, reproduit si ci-dessus. Le décor de fond est soigné avec des colonnades évoquant l’art antique. Le sujet est l’auteur de l’œuvre, se regardant lui-même, œil pétillant, costume de bourgeois, blouse de chimiste, attitude d’odalisque codifiée par la peinture du XIXe siècle. Au final, cette photo résume le personnage : espiègle, non-conformiste mais compétent. Dans l’esprit du lillois comme dans celui de beaucoup de ses contemporains, la photographie est la fille de la peinture. On dispose les éléments de l’image comme le ferait un peintre pour composer son tableau. Il ne faut pas compter sur Blanquart pour inventer une vision torturée de l’acte photographique qui permette de transcender le genre et l’instant comme avait pu le faire un Hippolyte Bayard dans son « Nu noyé ». Louis-Désiré est un photographe de son époque, pas encore de celle qui va suivre.
Louis-Désiré Blanquart, reporter d’image
Ces deux images représentent la même scène prise au même endroit et au même moment. On doit la gravure aux frères Boldoduc, imprimeurs à Lille et la photographie à Louis-Désiré Blanquart-Évrard, en personne. Nous sommes sur la Grand-Place de Lille, le, le 2 juillet 1854, là où débouche le cortège du « Jubilé » de Notre-Dame de la Treille. On peut même savoir précisément l’heure de la prise de vue – environ 18 heures – car, sous un autre angle, opère simultanément Alphonse le Blondel, un autre photographe lillois, qui note avec précision les heures de ses clichés.
En 1854, Blanquart-Évrard est un personnage incontournable de la capitale des Flandres. Il n’a pas besoin de la photo pour vivre. « l’Annuaire du commerce de Lille et de son arrondissement » le signale comme « imprimeur photographe » au 3 bis quai de la haute Deûle, à Lille. Il mentionne également le commerce de draps et confection de la rue Grande-Chaussée dont notre photographe d’un jour est le dirigeant. Membre d’une demi-douzaine de sociétés savantes de grand prestige, auteur de livres incontournables, Blanquart-Évrard est même connu dans le monde entier.
N’imaginez pas Louis-Désiré, l’appareil photo en bandoulière. La pratique de la prise de vue de ce temps-là passe par l’utilisation d’un matériel lourd et encombrant. Pour prendre ce cliché, l’opérateur a fait dresser, au milieu de la Grand-Place une estrade provisoire à partir de laquelle il peut obtenir une vue plongeante. L’angle de la prise de vue est donc prémédité avec le plus grand soin. La photo permet ici de saisir, dans une fraction de seconde, l’intégralité de cette scène complexe sans oublier aucun détail. À vrai dire, à cause d’un temps d’exposition, plus long que celui du matériel d’aujourd’hui, les personnages en mouvement sont légèrement flous. Mais l’art de la gravure de ses « collègues imprimeurs » va arranger tout cela.
Pour aller plus loin : « Études photographiques », mai 2001, Alexandre Allain
La Presse, le Livre, l’image et Blanquart-Évrard
Touche-à-tout de génie, intéressé à la fois par l’Art, l’Industrie et la Science, Louise-Désiré Blanquart-Évrard fut l’un des acteurs majeurs de l’industrie photographique du milieu du XIXe siècle. C’est le moment où l’image argentique va commencer à s’inviter dans l’industrie du Livre et de la Presse. Inventeur imaginatif, visionnaire d’un futur en perpétuelle mutation, le Lillois va contribuer à révolutionner le monde de l’Édition.
L’histoire de « L’Imprimerie Photographique » de Loos est celle d’un tournant. Blanquart-Évrard va y mettre en pratique – il y réussira partiellement – ses théories sur la diffusion de l’image photographique. Selon lui, seule une production industrialisée est à même de réduire les coûts et de permettre l’accession du plus grand nombre aux images. Ce qui explique la diffusion restreinte de la photographie, c’est son prix : « Jusqu’à présent la photographie a été bannie du domaine de l’industrie », explique-t-il. « Ses produits sont trop chers et les procédés qui servent à les obtenir trop longs et trop compliqués. Un même cliché exige un traitement de plusieurs jours et revient à cinq ou six francs. » Il promet de pallier cette situation par son propre procédé : « chaque cliché peut facilement fournir, par jour, de deux à trois-cents épreuves et dont le prix de revient n’est pas plus de cinq à quinze centimes ».
En réalité, Louis- Désiré va devoir en rabattre sur ses prévisions, car un tirage 18×24 cm de son Imprimerie Photographique coûtera quand même soixante-cinq centimes l’unité tandis que son premier « in-folio », « Album photographique de l’artiste et de l’amateur » sera vendu cinq cents Francs. Mais, le produit est tellement nouveau qu’il connaît immédiatement un immense succès auprès du public tandis que la critique l’encense. L’Imprimerie Photographique de Loos va permettre de révéler des talents qui, sinon, seraient restés inconnus : les Salzmann, les Bayard, les du Camp et les autres. Mais cette première publication en grand nombre ne va pas seulement permettre de pérenniser la mémoire des « photographes primitifs » français. Elle va produire un bouleversement dans le monde de l’Édition Illustrée que le Lillois n’avait pas anticipé. L’exemple de Maxime du Camp, qui, accompagné de son ami Flaubert, va ramener d’Orient 214 clichés de paysages et de monuments – Égypte, Nubie et Syrie – qui sont alors des terres vierges, inconnues du grand public, est très éclairant sur ce virage culturel. C’est le point de départ et la production de livres d’un nouveau genre, dont les premiers seront imprimés à Loos, dans « L’imprimerie Photographique » de Louis- Désiré Blanquart- Évrard.
Maxime du Camp et Flaubert sont-ils les premiers « Grands Reporters » du monde ?
Les deux hommes vont sillonner l’Orient de l’automne 1849 jusqu’au printemps 1851, au cours de ce qu’on pourrait appeler une véritable « expédition photographique. ». Les conditions de transport, la chaleur excessive, les sables du désert, rendent cette mission, dénichée par Maxime du Camp auprès du ministère de l’Instruction publique extrêmement difficile et périlleuse. Effectuer des photographies avec le matériel et les émulsions de l’époque, dans un milieu aussi hostile est une véritable « première ». Maxime du Camp prépare son voyage avec le plus grand soin. Il va faire, avec le plus grand sérieux, un stage professionnel chez le photographe parisien Gustave le Gray. Choisir le « Calotype» : impensable ! Le « Daguerréotype », il l’a essayé… sans succès. C’est alors qu’il a vent par l’intermédiaire d’un autre photographe, Alexis de Lagrange, d’un tout nouveau procédé inventé par un certain Blanquart-Évrard, qui simplifierait considérablement la tâche du photographe.
Pour son expédition, du Camp va utiliser exactement le même procédé au papier ioduré que celui que Louis- Désiré avait mis au point en 1846, pour sa fameuse communication à l’Académie des sciences de Paris. C’est un grand avantage pour ce genre d’expédition, car les négatifs, préalablement sensibilisés en France peuvent être utilisés sur place, sans manipulation scabreuse. Mais n’imaginons pas nos deux compères sillonnant le désert avec juste un sac à dos. C’est plus de 310 kg de matériel qu’ils vont acheminer vers l’Égypte : un véritable inventaire à la Prévert – deux selles, des paires de bottes, une boîte à outils, une grande tente pour se loger et une petite pour les travaux photographiques, de nombreuses fioles, des ciseaux, 9 kg d’hyposulfite de soude, de la cire vierges, des thermomètres, un fer à repasser, de l’eau distillée et, bien sûr, plusieurs boîtes de papiers positifs et négatifs. Mais la tâche photographique reste ardue. Le 3 mai 1850, Flaubert écrit à sa mère : « Je n’ai rien de nouveau à te dire si ce n’est que j’ai les doigts noircis de nitrate d’argent pour avoir aidé mon associé dans ses travaux photographiques. » Et Maxime du Camp, après un an et demi d’expédition de conclure : « J’ai réussi à rapporter le premier en Europe, les preuves photographiques des monuments que j’ai rencontrés sur ma route en Orient ».
C’est le début de l’utilisation de l’image photographique dans le Livre et dans la Presse. Le journal « L’Illustration » va bientôt connaître un succès considérable en utilisant des gravures faites à partir de photographies. Il n’utilisera sa première photo « noir et blanc » en impression directe qu’en 1889. En 1910, il tire à 284 000 exemplaires et à 360 000 entre les deux guerres.
Louis-Désiré Blanquart-Évrard, portrait d’un illustre Lillois, presque inconnu
Relativement ignoré en France – même à Lille -, Louis-Désiré Blanquart-Évrard a pourtant compté dans l’histoire mondiale de la photographie. Il va permettre au procédé « négatif – positif » qui a dominé la production photographique jusqu’à l’avènement du numérique, de se constituer. Il va jeter les bases de l’utilisation de la photographie dans le Livre et dans la Presse.
En 1802, Louis-Désiré Blanquart nait à Lille, rue de Paris, dans le quartier populaire de Saint-Sauveur. Ses parents y tiennent un bureau de tabac. Le jeune homme est doué pour les études… pour l’art aussi ! On le voit remporter plusieurs concours dans le domaine de la peinture. Il trouve un poste dans la très sérieuse Administration des tabacs, square du Pont-Neuf, du côté du port de la Basse–Deûle.
Au début des années 1820, la ville de Lille qui ne possède pas encore d’université recrute un professeur de chimie, jeune, brillant et prometteur… un certain Frédéric Kuhlmann. Il est chargé de donner des cours à l’ Institut Industriel de la rue des Lombards. Dès son arrivée, parmi ses étudiants, il remarque très vite ce jeune Blanquart, intelligent débrouillard et motivé. Il en fait son assistant. Ces connaissances acquises, cette relation privilégiée – qui perdurera bien après cette période – vont-être des atouts pour celui qui va s’appuyer sur la chimie pour développer la photographie.
En 1831, Louis-Désiré épouse Virginie Evrard, une très jolie femme, qu’il connaît depuis quelques années et dont les parents sont les propriétaires de l’enseigne « Au Mouton des Ardennes », aux 9 et 11 de la rue Grande-Chaussée. C’est le magasin d’une entreprise renommée de draps et de confection. Louis-Désiré adopte le patronyme de Blanquart-Évrard puis, de fil en aiguille, le costume de drapier et de bourgeois lillois. Bientôt, il prendra la succession du beau-père. Il ne renonce pas pour autant à toute vie intellectuelle. Il fréquente un cercle d’amis, intéressés comme lui par l’Art et la Science : le peintre Victor-Louis Mottez, qui fera son portrait en 1859, Hippolyte Fockedey, le directeur du Mont de Piété de Lille qui deviendra son associé et, bien sûr, son mentor Frédéric Kuhlmann, dont la première usine chimique sera fondée à Loos, dans une propriété voisine de celle des Fockedey.
Le 7 janvier 1839, à l’Académie des Sciences de Paris, François Arago communique les détails de la toute nouvelle invention de Louis Daguerre, le Daguerréotype. Il permet de produire des images au moyen de la photographie, avec une finesse et une qualité inconnue auparavant. Louis-Désiré devient l’un des tous premiers daguerréotypistes de France. Ses images des années 1839 -1844 sont les toutes premières photos de la Ville de Lille qui soient connues.
Mais le Daguerréotype a un défaut : on ne peut le produire qu’à un seul exemplaire. Louis-Désiré, s’oriente vers un autre procédé où l’image négative et l’épreuve positive seraient imprimées sur des supports différents. William-Henry Fox-Talbot avait ouvert la voie avec son Calotype. Mais ses images sont inégales, les noirs manquent de profondeur, les blancs de transparence et les gris de détail. Insoler un négatif demande environ trois minutes alors que, dès les premiers essais qu’effectue Blanquart-Evrard en 1846, quinze à vingt secondes vont suffire et… quelques mois plus tard… seulement quelques dixièmes de seconde. On envisage sérieusement de pouvoir enfin fixer le mouvement au moyen de la photographie. Un critique de l’époque écrira : « Blanquart- Evrard a réveillé la Belle au Bois Dormant. »
De 1851 à 1856, dans la propriété loosoise de son ami Fockedey, Blanquart-Evrard va faire fonctionner L’Imprimerie Photographique, la première du genre dans le Monde. Il va éditer la plupart des grands photographes de l’époque : Hyppolite Bayard, Charles Marville, Maxime Du Camp, Auguste Salzmann, Victor Regnault – le premier président d’honneur de la Société française de photographie – ou des archéologues comme John H. Greene… et bien d’autres. Ils vont populariser les œuvres d’Art, les monuments et les paysages du monde entier. Ces livres photographiques sont d’une grande beauté. L’Édition et la Presse, illustrées au moyen de la photo, n’étaient plus loin.
Mais la notoriété de Louis-Désiré Blanquart-Evrard n’est pas proportionnelle à la qualité de son œuvre. De gros efforts devront être accomplis pour que le Lillois soit enfin connu de la majorité de ses concitoyens.
La Vieille Bourse, hier et aujourd’hui
Ce daguerréotype de Louis-Désiré Blanquart-Evrard, date des années 1840. Il représente la Vieille Bourse.
C’est l’une des toutes premières images photographiques de la ville de Lille qui soient connues. À cette époque, l’antique bâtiment du XVIIe siècle (1652 – 1653) est en piteux état. Il doit être prochainement rénové. Le projet en a vu le jour sous l’impulsion de Frédéric Kuhlmann, président de la Chambre de commerce de Lille depuis 1840. L’éminent chimiste est par ailleurs un ami du photographe lillois.
On en profite pour ériger dans la cour du bâtiment une statue de Napoléon Ier qui donne lieu à une imposante cérémonie, le 23 septembre 1853, sous la présidence de Napoléon III, neveu de l’empereur et chef d’État de l’époque. On va, dans cette dynamique, rénover de fond en comble ce bâtiment, intérieur et extérieur, afin qu’il puisse retrouver son lustre ancien.
Cet antique cliché de la Vieille-Bourse, au milieu du XIXe siècle, nous permet d’apprécier la qualité des travaux de la rénovation de l’époque, ainsi que ceux effectués plus récemment, à partir de la fin des années 1980. Le vieux bâtiment dessiné par Julien Destrée est, depuis des temps immémoriaux l’un des symboles de l’identité lilloise.
Portrait d’une œuvre collective Le Milon de Crotone
Cette excellente photographie – un virage charbon – est publiée en 1869 par Louis-Désiré Blanquart-Évrard dans son ouvrage,La photographie, ses origines, ses progrès, ses transformations. Elle se trouve entre les pages 42 et 43 de l’exemplaire de la Bibliothèque Municipale de Lille. Il faut faire attention avec les illustrations des livres du Lillois qui peuvent, pour une même édition, varier d’un volume à l’autre. Blanquart a même écrit le nom du photographe sous la photo – ce qu’il ne fait pas toujours et ce qui lui aura parfois été reproché – il s’agit d’Édouard Baldus qu’il désigne plus loin sous le terme de « mon ami Baldus ». Ainsi, cette image a été prise par Baldus tandis que Blanquart en a réalisé le tirage.
Milon de Crotone : Falconet, Baldus, Blanquart-Évrard Source, Bibliothèque Municipale de Lille
Pour comprendre cette image il faut remonter loin dans l’histoire. Milon, le fils d’une bonne famille de Crotone, une ville de la Grèce antique, se fit remarquer très jeune pour sa force extraordinaire. En 540 av. J.-C., il remporte l’épreuve de lutte dans la catégorie « jeunes ». Puis de 536 à 520 av. J.-C., il va être couronné cinq fois de suite. Milon était une sorte de Teddy Riner de la lutte… d’Obélix du monde Hellène… un véritable mythe au point d’avoir inspiré plusieurs générations d’artistes au cours des siècles. L’un d’entre eux, Pierre Puget, se réapproprie le thème dans les années 1670 et réalise une statue magistrale. Celle de la photo n’est pas de lui, mais de l’un de ses admirateurs, Étienne-Maurice Falconet, qui présenta un modèle en plâtre de son « Milon de Crotone » à L’Académie royale de peinture et de sculpture en 1744. L’Académie, même si les deux sculptures n’ont rien à voir, décréta qu’il s’agissait d’un plagiat de Puget. Mais, heureusement, elle se ravisa, 10 ans plus tard, si bien que Falconet put entreprendre la réalisation de son œuvre définitive, sculptée dans un beau marbre blanc. Elle fut présentée à l’Académie le 31 août 1754.
Dans les années 1860, Édouard Baldus, se saisit à son tour du sujet. Baldus n’était pas seulement un excellent faux-monnayeur, c’était aussi un photographe de génie, probablement l’un des plus grands de tous les temps. Il était le champion de la chambre grand-format à décentrement et sa façon de photographier les monuments, imprima un style à la photographie d’architecture qui reste encore la référence, aujourd’hui. Pour s’attaquer à Milon de Crotone, Baldus démontre qu’il n’a pas froid aux yeux. En effet, Falconet l’a disposée sur son socle de façon particulière, de telle sorte qu’on puisse, quand on lui fait face, avoir la meilleure vue possible de l’œuvre. Baldus n’hésite pas à décaler son angle de prise de vue de quelques degrés vers la gauche avec une indépendance d’esprit qui peut surprendre. Il choisit aussi de photographier la statue en légère plongée. Naturellement cela ne se voit pas du tout parce que… la chambre à décentrement, ce n’est pas fait pour les chiens ! Il faut convenir que le résultat de ces différents choix donne une image très réussie, à la fois respectueuse de l’œuvre et mettant en valeur le travail de l’artiste. Baldus travaille aussi la lumière de telle manière qu’elle rende compte parfaitement des formes et des volumes. C’est un travail de haute voltige surtout si l’on considère qu’à l’époque, il n’existe pas encore de système d’éclairage adapté à la photographie. Le photographe a sans doute employé un fond noir – ou alors il a attendu que le mur en face de lui soit dans l’ombre, tandis que la statue était dans la lumière – et un certain nombre d’étoffes réfléchissantes ou semi-transparentes pour arriver à la lumière voulue. Le moment de la prise de vue est particulièrement étudié car l’opérateur est tributaire de la lumière de la pièce. Comme on ne connaît pas le « hors-champ », on ne saura jamais le système exact employé par le photographe, mais il est sans doute très sophistiqué.
Le développement et le virage au charbon de Blanquart-Évrard sont eux aussi totalement réussis. On sait que le photographe-imprimeur adorait réinterpréter les clichés à l’aide de la chimie, une discipline que, dans la pratique, il maîtrisait mieux que quiconque, en renforçant certaines zones en en affaiblissant d’autres, en permettant aux détails de s’affirmer dans les tonalités intermédiaires. C’est du travail «cousu-main », du « sur-mesure »… et loin de moi l’intention de faire des allusions déplacées aux activités textiles de Louis-Désiré Blanquart-Évrard ! Les papiers positifs comportant différents « grades » n’avaient pas encore été inventés et chaque cliché se doit de bénéficier d’un traitement particulier. Le « charbon » renforce les zones sombres, permettant des noirs francs tandis que les gris qui correspondent à la musculature de l’homme et de l’animal prennent du relief.
Dans ce travail collaboratif, il ne faudrait pas oublier la part qui revient à l’opticien. On ne peut jurer de rien mais il est probable qu’il s’agisse de Charles Chevalier, fabricants de verres et d’objectifs à Paris. C’était l’opticien de Blanquart et de Talbot mais c’était aussi celui de Baldus, un ami qu’il fréquentait à la Société d’Héliographie (tandis que Blanquart a toujours refusé d’y participer). Les établissements Chevalier avaient inventé en 1839 une optique révolutionnaire composite, formée de deux lentilles accolées de verres différents. Cette invention avait permis d’améliorer considérablement les résultats du daguerréotype et de lui donner la prééminence sur les autres procédés photographiques. Nous avons, ici, dépassé largement les années 1850 : pour obtenir une netteté sur toutes les zones du sujet, le photographe a utilisé un diaphragme avec un tout petit trou, probablement un « diaphragme à guillotine », qui n’existe que depuis le début des années 1860. Pour contrôler la profondeur de champ, avec une chambre photographique munie d’un dépoli, pour un photographe comme Baldus, c’était un jeu d’enfant.
Pour arriver à ce résultat il a fallu que coopèrent des talents de domaines distincts, unis dans un seul but : la qualité de l’œuvre. Bien sûr, certains regretteront qu’il ne s’agisse là que d’une reproduction fidèle d’un ouvrage d’une autre nature et non pas d’une projection vers une dimension inconnue, ce que permet la photographie. Mais, Baldus, Chevalier et Blanquart appartiennent à leur siècle – le XIXe – et il n’est, parfois, pas inutile de rester raisonnable.
Qu’il soit permis de remercier ici le personnel de la Bibliothèque municipale de Lille, pour sa disponibilité et sa compétence… et particulièrement Wael El Khader pour sa profonde connaissance du fonds Blanquart-Évrard.
Au cimetière de l’Est
Louis-Désiré Blanquart-Évrard est enterré au cimetière de l’Est. Pour trouver la tombe, si on ne connaît pas, on “galère”. Mais quand on a découvert l’endroit, c’est assez simple. À partir de l’entrée principale, bifurquer à droite, légèrement en biais, suivre l’allée qui mène au tombeau du général Faidherbe. Environ cent mètres avant le monument, sur la gauche, se trouve la tombe de Louis-Désiré.
Louis Désiré, je ne l’ai découvert qu’il y a quelques mois. Je préparais une conférence sur le quartier Saint-Sauveur lorsque j’ai rencontré Jacky Créneau qui habite à 200 m de chez moi. « Saint-Sauveur », m’a-t-il dit avec des étincelles dans les yeux, « C’est là où est né Blanquart-Évrard ! » Il tenait cette information de son prof du lycée Louis Lumière, du temps où il faisait ses études de photo. Le prof en question connaissait tout sur Blanquart-Évrard. C’est lui qui lui avait dit qu’il était enterré au cimetière de l’Est. « Si tu veux », m’a-t-il dit « un de ces jours, on peut aller faire un tour sur sa tombe ! ». Finalement on l’a fait ! Pour Jacky, ce n’était pas la première fois. Il était déjà venu en repérage, juste après Louis Lumière, au début des années 1990. Au bureau, on lui avait dit qu’il n’y avait personne de ce nom dans le cimetière. Jacky a parcouru toutes les allées, patiemment, pendant des heures, jusqu’à ce qu’il retrouve la tombe. Fier de sa trouvaille, il est retourné au bureau en disant qu’il avait retrouvé l’inventeur du procédé « négatif – positif », en photo. « Vous rigolez », lui a répondu l’employé. « Si on avait quelqu’un comme ça au cimetière de l’Est, on serait les premiers à le savoir ! » Alors Jacky est revenu avec son dossier sur Blanquart dont pas mal de documents étaient des photocopies de celui du prof. C’est ainsi que la tombe a été enfin répertoriée, qu’elle peut être retrouvée facilement et surtout qu’elle ne risque plus d’être supprimée pour faire de la place.
En cheminant dans l’allée du général Faidherbe, j’apprends que le prof en question s’appelle Raymond Depardon. Ça tombe bien, parce que sais très bien qui c’est. J’ai vu tous ses films et je connais pas mal de ses photos. L’autre prof de Louis Lumière, c’était Guy Le Querrec. Là, ça m’a fait tout drôle d’un seul coup, par ce que Le Querrec a aussi été mon formateur et qu’il a compté pour moi. Après ses conseils, je n’ai plus jamais vu la même chose dans l’œilleton d’un appareil photo. Avec ce temps doux, ce rayon de soleil entre deux averses et l’âme de Blanquart qui flottait alentour, c’était un moment irréel.
Louis Désiré est enterré avec sa femme, Virginie – je n’avais aucun doute là-dessus –, mais jil y avait aussi dans la tombe un de leurs petit-fils, Achille Louis Alphonse et une de leurs arrière-petites-filles, Louise Marie Élisabeth. Le monument n’est pas très beau. Il a souffert avec le temps. On a du mal à lire les noms. Il aurait besoin d’un coup de neuf.