Views: 1

L’arrivée d’une course cycliste en 1945, à Mons-en-Barœul (59370)

Nous sommes en 1945, peut-être bien au mois de juin ?

C’est la bonne période pour organiser une course cycliste, juste avant le tour de France ! Ou bien alors, nous serions fin juillet, un autre excellent moment pour mobiliser le public autour du vélo. L’auteur de cette photographie – à moins que ce ne sois son propriétaire – a sobrement écrit au dos : « Arrivée de la course cycliste, Mons-en-Barœul, 1945 ». Nous n’en saurons pas plus ! Pourtant l’usage de l’époque des photographes de Presse était d’y ajouter la date de la prise de vue… ou bien celle du tirage. Il s’agit peut-être d’un exemplaire supplémentaire remis sous le manteau à un ami ? Plus moyen de me souvenir dans quelles circonstances j’ai récupéré cette image ! Il y a plusieurs possibilités ! Moi aussi, j’aurais dû être plus précis et noter soigneusement la provenance du cliché avant de l’archiver !

Il y a peu de doute sur la question : il s’agit du travail d’un professionnel ! Franchement, un beau boulot ! Chaque personnage est dans une position « juste ». En peinture, c’est relativement facile d’y parvenir – à condition de savoir peindre, bien entendu –, mais en photographie ce n’est pas du tout évident ! Le problème c’est que tous ces personnages portraiturés font généralement ce qu’ils veulent ! Plus ils sont nombreux, plus l’équation est difficile à résoudre. Ceux qui pensent que la photographie consiste juste à appuyer sur un bouton sont de grands naïfs présomptueux ! Pour revenir à cette image, c’est un vrai petit miracle, tout est en bonne place. Il faut posséder un sacré coup d’œil ou bien avoir un sacré coup de pot ! Chapeau l’artiste !

Un autre détail nous renseigne sur l’auteur du cliché.

L’image est complexe, détaillée, totalement dépourvue de grain. Le photographe a visiblement utilisé une de ces « chambres de reportage », en usage dans les journaux et dans les magazines dès le début des années 1920. En général, elles sont de format 12X18 (cm). Elles sont très encombrantes et utilisent des négatifs protégés par des châssis que l’on doit changer à chacune des prises de vue. Avec un tel système, pour chaque reportage, on ne peut guère emporter plus d’une douzaine de négatifs ! Il faut vraiment se creuser la tête pour trouver le bon angle, le bon moment, afin de ne pas s’infliger la honte de revenir bredouille ! Rien à voir avec le travail des blancs-becs qui leur ont succédé, avec leurs boitiers motorisés, qui mitraillent comme des malades en tirant dans le tas et qui réalisent souvent beaucoup plus de clichés qu’un reportage complet de 1945, en moins d’une seconde ! Je ne vais pas faire durer le suspense plus longtemps. Je pense qu’il s’agit du reporter-photographe du quotidien régional « la Voix du Nord ».

Pour arriver à cette conclusion, j’ai triché ! J’ai pu avoir quelques infos confidentielles ! J’ai bien connu l’un des photographes de ce journal qui y a pris son poste en octobre 1944. Il m’a raconté, qu’à ses débuts, il avait été victime d’une cabale de la part de ses collègues, au motif qu’il utilisait un Leica 24×36 « petit format », son outil de travail, avant et pendant l’Occupation. Les autres membres de sa corporation avaient quant à eux, vécu le bon temps de « l’Écho du Nord », pendant la guerre… et même avant, où il était admis qu’une bonne photo ne peut se réaliser qu’avec une chambre de reportage grand format ! C’était quoi ce jeunot qui voulait changer des habitudes ancrées dans la profession depuis des décennies ? Mais, à la décharge des anciens, reconnaissons que le résultat était au rendez-vous !

L’autre indice qui guide ma plume, c’est qu’en 1945, il n’y avait guère que deux possibilités de voir un reporter photographe sur le terrain d’une arrivée de course cycliste : c’était La Voix du Nord ou bien Nord-Eclair, qui étaient pratiquement les seuls journaux à envoyer sur le terrain un reporter d’images. Or, il ne peut s’agir du photographe de Nord-Eclair parce que, ce dernier, figure sur la photographie. On le voit, à gauche, se gratter la tête, avec son appareil 24 X 36 en bandoulière. Il s’appelle Henri Prévost.

Le Contax d’Henri Prévost, fabriqué par Zeiss (Dresden) en 1944.

A cette époque, tout le monde le connaît dans la commune.

Il est chef de service à la mairie, a été cadre du mouvement de Résistance, « Voix du Nord » pendant l’Occupation, puis s’est battu contre les Allemands au moment de la libération de la ville. En 1945, il vient de prendre, en complément de ses nombreuses activités, un poste de correspondant de presse auprès du journal concurrent, « Nord-Eclair »… va-t’en savoir pourquoi !

Comme photographe, Henri Prévost, n’est pas n’importe qui !

Il fait partie des tous meilleurs photographes de presse régionaux de tous les temps ! En 1945, il a troqué directement sa mitraillette contre un appareil photo 24x 36. Il n’a pas mis beaucoup de temps pour comprendre le maniement de son nouvel outil. S’il avait fait de mauvaises photos – ce qui est quand même le cas général –, cela aurait été la honte ! L’appareil qu’il a autour du cou est un Contax équipé d’un Sonnar 50 mm, ouverture 1,7, une merveille de la technologie allemande. À cette époque il s’agit de la Rolls des appareils photo. C’est le boîtier le plus cher et le meilleur du monde : encore supérieur au Leica ! C’est dire ! J’ai eu le privilège d’avoir cette petite merveille, en main ! Ce fut un vrai moment d’émotion ! J’en ai profité pour vérifier le numéro de série du Contax d’Henri Prévost. Il a été fabriqué à Dresde, en Allemagne orientale, au premier trimestre de l’année 1944. Je me suis toujours demandé comment son propriétaire avait pu faire pour se procurer cet objet si coûteux et s’il ne s’agissait pas d’une « prise de guerre » !

De toute façon, maintenant, il y a prescription ! Henri Prévost, tranche avec le reste du public. Il n’est pas du tout le genre casquette ou béret vissé sur la tête, comme c’est l’usage, à l’époque, dans la commune. Avec sa chevelure claire et ondulée, son trench-coat bien coupé, il a un petit air britannique. Ce n’est sûrement pas le fait du hasard. En plus de ses activités dans divers mouvements de Résistance, il était aussi le correspondant lillois de l’Intelligence Service pendant une bonne partie de la guerre. Il avait signé son engagement le1er décembre 1943, sous le matricule BZ 12 6D et avait adopté par mesure de sécurité le pseudonyme de “Gysors”. Naturellement, il ne s’en vantait pas ! Je l’ai découvert à travers le brouillon manuscrit de son rapport d’activité destiné aux services de renseignement de Sa gracieuse Majesté. Cette lecture m’a permis de comprendre la raison pour laquelle, lorsqu’une délégation monsoise se rendait en Angleterre dans le cadre du jumelage, la presse locale n’en avait que pour Henri Prévost, tandis que les élus, pourtant ses supérieurs hiérarchiques, devaient se contenter de la portion congrue.

Le photographe de Nord-Eclair, crève l’écran, sans doute parce qu’il est plus grand que tout le monde. Il triche ! Il est grimpé sur un escabeau, à l’instar de son collègue caméraman, au milieu de l’image. Cela lui permet d’avoir un point de vue plongeant, avec, en avant-plan, les spectateurs… et, juste derrière, les officiels et les coureurs arrivés les premiers. La photographie du public est le contre-champ de cette image. C’est presque étonnant que ce ne soit pas Henri Prévost qui ait choisi de monter sur l’estrade. Elle permettait cet angle de prise de vue intéressant.

Il était un expert consommé dans le choix du meilleur endroit pour réaliser la photographie ! Le lieu de la prise de vue ne fait aucun doute ! Nous sommes devant les numéros 97 et 99 de la rue du général de Gaulle, à Mons-en-Barœul, c’est-à-dire juste en face du monument aux morts. On avait sans doute ménagé un podium pour l’arrivée de la course dans cet endroit où se trouve la seule petite place de cette très longue rue. Elle a beaucoup de mal à contenir tout ce public, alors que la commune d’alors n’avait seulement que neuf mille habitants ! Aujourd’hui, les gens sont bien plus nombreux mais vivent confinés chez eux ! Autre temps, autres mœurs ! Ce cliché a un côté étrange. Il renvoie, dans un lieu familier et contemporain qui n’a guère bougé, l’image d’un monde différent qui a disparu !