Le « Certif’ » d’Yves Desrumeaux, en 1899

Le « Certif’ » d’Yves Desrumeaux, en 1899

Texte d’Emma Routier, première institutrice de Cormeilles (60), illustré et commenté.

Emma Routier, dès sa sortie de l’Ecole Normale, trouve son premier poste à Cormeilles. L’école vient tout juste d’être construite. Emma a tenu un journal que son petit-fils, François Boullet, lui-même instituteur, a eu la bonne idée de publier partiellement en 2007, sous le titre « Souvenirs d’Emma Routier ». L’ouvrage, épuisé, est introuvable. J’en ai commandé un qui, si tout va bien, me sera livré dans six ou sept mois. D’ici là, tout peut arriver ! C’est pourquoi je me suis contenté d’exploiter la dizaine de pages publiées sur Internet. Elles racontent, pour l’essentiel, l’histoire d’Yves Desrumeaux, le premier élève de l’école publique de Cormeilles à avoir réussi le « Certificat d’Etudes Primaires ». Ce fut un grand évènement dans l’histoire de la commune. 

La Place de Cormeilles au niveau de l’ancien boulanger, aux alentours de 1900.

Emma Routier, arrive dans son logement de fonction à la fin de l’été 1898. C’est elle qui a été choisie pour assurer l’ouverture de la nouvelle école, mixte, publique et laïque.  Comme la plupart des établissements des villages voisins, c’est une « mairie-école » : la mairie et l’école partagent un même bâtiment. On entre par un couloir garni de porte-manteaux. À droite, c’est la petite salle du conseil municipal et, à gauche, la salle de classe. Il s’agit d’une « Classe unique », c’est-à-dire d’un un lieu où cohabitent tous les niveaux… du cours préparatoire au certificat d’études. Si les élèves sont d’âges différents, lors de cette rentée, ils ont en commun de n’être jamais allé à l’école, auparavant. Seuls les enfants de quelques riches fermiers bénéficient d’une scolarité dans une institution privée de Breteuil-sur-Noye, un bourg voisin. Les autres, comme leurs parents, ne savent ni lire ni écrire. Dans la tranche d’âge des élèves en fin d’études, la jeune institutrice repère un fils d’ouvrier agricole particulièrement doué, Yves Desrumeaux. Elle se lance dans le projet fou de lui faire rattraper six ans d’étude en une seule année et de le présenter à l’examen du « Certificat d’études ».

La loi Falloux selon une caricature d’époque

Outre, l’aspect sportif que représente le défi, il faut franchir bien des obstacles liés au conservatisme social entretenu par l’échelon politique. La loi Falloux (1850) promotionnée par Louis-Napoléon Bonaparte, le futur empereur, aura régné sur l’instruction publique plus d’un quart de siècle. Elle ne disparaitra qu’avec la décomposition du régime impérial. En ce temps-là, le rôle de l’instituteur consistait d’abord à donner une instruction religieuse rudimentaire aux élèves et à être le fidèle auxiliaire du curé de sa paroisse. Dans ces conditions, permettre à un fils d’ouvrier d’obtenir un diplôme de l’instruction publique pouvait être très mal vu du patron des parents d’Yves Desrumeaux. Ne serait-ce pas un affront fait au clergé… voire une offense à Dieu ? Même, parmi les instituteurs à l’ancienne, employés par l’Etat, l’héritage de la loi Falloux était toujours d’actualité. En témoigne le portrait que brosse Emma Routier de son collègue, le directeur de l’école de garçons de Crèvecœur-le-Grand, le chef-lieu de canton : « C’était un homme respecté et redouté, rallié difficilement aux « idées nouvelles », partisan du catéchisme en classe et le faisant encore, aux dires de certains », ainsi que cette anecdote survenue à son collègue, instituteur à Francastel, une commune proche : « Un jour, en se rendant à Luchy, il a cassé la fourche de sa bicyclette et le maréchal-ferrant a refusé de la lui ressouder quand il a dit qui il était… « Je ne répare pas les instruments du diable ». Voilà ce qu’on lui a répondu. Il a dû trainer sa bicyclette jusqu’à Francastel distante de plus de trois kilomètres. » 

L’entrée de Francastel. Il n’est pas exclu que l’opérateur puisse-être Ovide Traversier, l’instituteur du village.

Emma Routier, qui ne recule devant rien, a l’idée d’en parler au curé du village. Il a l’air d’un fort brave homme. Le presbytère est à moins de cent mètres du logement de fonction de l’institutrice. Voilà le résumé de leur conversation tel que le consigne Emma Routier :

« Monsieur le curé, pourrez-vous parler à la famille Desrumeaux ?

  • Je le ferai, Mademoiselle, poursuivez selon votre conscience et allez en paix.

Et puis le curé reprit sa lanterne et me reconduisit à la porte du presbytère. Je regardais avec émotion le vieil homme que j’avais considéré comme un ennemi.

Mon adversaire n’en était pas un, tout au plus le jouet malheureux d’un parti qui l’utilisait. Mais moi, j’avais sur lui l’avantage de nombreux lendemains ».

S’agissait-il de l’abbé Pointier qui, en 1840, avait financé sur ses propres deniers la construction de la Chapelle du Planton ou plutôt de son successeur ? En tous cas, le curé de Cormeilles de 1898 avait de bonne raisons d’être clément avec les représentants de l’école publique et laïque. Son assistante, qui enseignait le catéchisme aux enfants de Cormeilles, Marie Traversier, avait un frère, Ovide, qui était lui-même instituteur public. Je ne le garantirais pas tout à fait, car la mémoire peut parfois jouer des tours, mais je suis persuadé que l’instituteur de Francastel dont il est question plus haut, c’était lui, Ovide !

Cette nomination d’Emma dans ce village perdu de la Picardie profonde était sans doute un grand changement pour l’ancienne élève de l’Ecole Normale des filles de Beauvais, mais ce dépaysement n’était pas sans charme. Elle écrit :

« Les blés mûrissaient au flanc doux des collines devenues familières. L’année scolaire se terminait. Je marchais par les chemins creux, cherchant à épuiser l’angoisse du lendemain ».

Le cimetièrre de Cormeilles sous la neige.

Il n’y a qu’un endroit, à Cormeilles, qui corresponde à cette description : c’est la route qui prend naissance dans le bas du village et mène au cimetière. Il est formé par un ancien tumulus qui domine la plaine. Les Romains y enterraient leurs morts. Il date sans doute d’une époque encore antérieure : celle de la civilisation celtique ! A Cormeilles, on distinguait le « haut » et le « bas » du village. Il y avait un café du « haut » et un café du « bas ». Tandis que le « haut » avait la réputation d’être sensible aux idées nouvelles, le « bas » était plus conservateur pour ne pas dire réactionnaire. Le centre névralgique du village se situait dans le « bas ». C’est là que se trouvaient l’église, la mairie, l’école, le presbytère, le logement de fonction de l’institutrice et le café. Aux alentours de 1900, les cartes postales d’époque en témoignent, la patronne du café était la veuve Hucher. Plus tard, dans les années 1950, lorsque j’ai été élève de cette même école de Cormeilles, le café d’en face était toujours tenu par la veuve Hucher, mais il ne s’agissait pas, probablement, de la même personne. Tenir un bistrot est un métier à risques. L’établissement se composait de deux parties : l’épicerie, de dimensions modestes et la grande salle du café. Le café ouvrait très tôt le matin. Les ouvriers et parfois les fermiers venaient boire au comptoir une ou deux « bistouilles », une grande tasse de café dans laquelle on versait deux verres « d’eau de vie de cidre », un produit local. Le dimanche après-midi, le café était plein. Il n’y avait que des hommes : les joueurs de cartes et les amateurs de billard. Le billard du café Hucher était antique mais bien entretenu. Il était bien meilleur que celui du café du « haut » et ralliait les amateurs jusqu’à ceux de villages avoisinants. Le café Hucher était le lieu où se développait le lien social dans la commune. 

Le quartier du « bas » photographié au niveau du café Hucher.

Il existe une photo des alentours de l’année 1900 qui représente ces habitants du quartier du bas. Elle est prise à ras du café Hucher. Je pense qu’elle est l’œuvre d’Ovide-Marie Traversier, le collègue instituteur d’Emma Routier. La photo était sa passion. Il y démontrait des qualités techniques et artistiques étonnantes, dignes des meilleurs professionnels. L’instituteur-photographe était le fils du cordonnier du village. Il vivait désormais avec sa sœur dans la grande maison familiale du quartier du « haut ». Où avait-il appris la photographie ? Sûrement pas à l’Ecole Normale ! Beaucoup d’indices me laissent penser que seul Cassien Debray, l’excellent photographe de Crèvecœur-le Grand a pu être le mentor d’Ovide Traversier. La photo du quartier du « bas » est dans le droit fil des autres œuvres d’Ovide-Marie, dans sa manière de disposer avec soin un grand nombre de personnages symbolisant leur fonction et représentatifs du lieu. Tous les habitants du coin sont de sortie, répartis dans l’image selon une mise en scène savante. Il faut être du village pour pouvoir rameuter tout ce monde, le temps d’une prise de vue. Dans la rue du Sac que l’on voit en enfilade, on distingue la charrette du boulanger et ses clientes ramenant leur pain. Quelques enfants, indiquent que nous sommes en dehors d’une période scolaire. Un homme tient une planche : il s’agit probablement du menuisier. Sur une table, au milieu de la rue, un jeune homme sert un verre à deux clients. Ce doit-être le fils ou petit-fils Hucher. Ses clients dont l’un porte un tablier de cuir et un marteau sont les artisans de la forge de larue du Sac, située à une cinquantaine de mètres. Quant à la jeune femme à gauche, on ne sait pas qui sait mais il n’est pas exclu qu’il puisse s’agir d’Emma Routier… en personne ! 

La Place du village, photographiée au niveau du café du « haut ».

En juin, 1899, les progrès d’Yves Desrumeaux dans toutes les matières sanctionnant le diplôme de fin d’études sont tels que le miracle est possible. Emma Routier note : 

« Que de progrès accomplis en quelques mois, depuis qu’il avait franchi les grilles de l’école. En octobre, il ne savait ni lire ni écrire, et par nos efforts communs, le voilà qui orthographiait sans défaillance une page d’auteur, Châteaubriant, Victor Hugo. Certes, il travaillait tous les soirs avec moi, et n’hésitait pas à venir, même le dimanche après-midi, me demander des précisions sur les textes qu’il dévorait, mais ses progrès avaient été étonnamment rapides. Demain, sonnerait l’heure de vérité. Pour me rassurer, je me disais qu’on ne pourrait rien me reprocher s’il échouait, car Angélique, la fille d’un gros propriétaire terrien, en pension chez les religieuses de Breteuil venez de rater le sien pour la seconde fois ».

Passer le Certificat d’Etudes ne demandait pas seulement des connaissances. Il fallait encore pouvoir se rendre à Crèvecœur-le-Grand où se déroulaient les épreuves, distante d’une dizaine de kilomètres.

Quelques paysans cormeillois devant leur charrette (« voiture à courir » , selon le parler local). Photo, Ovide Traversier

« J’avais demandé que l’on nous conduise en voiture à cheval, les Desrumeaux étant bien trop pauvres pour avoir un attelage. Les trois cultivateurs auxquels je m’étais adressée avaient refusé, l’un me disant même :

– Vous n’creuyez mi qu’ch’tiot Desrumeaux i vo avouer sin certificat ! L’tiote Angélique al est passée à côté. »

A dire vrai, à part Yves Desrumeaux et Emma Routier, à Cormeilles, personne ne croit à la possibilité de décrocher le précieux « Certif’ ». Mais, ces deux-là sont motivés. Ils ont décidé de se rendre à pied au chef-lieu de Canton. 

Le jour fatidique, c’est très tôt que l’élève et la maîtresse se mettent en route :

« Dans la brume de l’aube, je marchai vers la pauvre masure de torchis qui abritait tant bien que mal toute la famille Desrumeaux. Je frappai à la fenêtre :

– Yves, c’est moi ta maîtresse…

– L’vlo, M’selle… il est fin prêt. O voulez t’i pas enne tass’ed’café ?

– Non, merci, Madame Desrumeaux, la route est longue…

-Y z’airouaient bien pu vous conduire avec eun’ charrette. Mais on n’est qu’des pauv’ es nous z’eutes. On’ s’déringe point pour nous…

– Et si l’aveu, sin certificat ? Quoi qui dirait ? Ch’maître ? Et si i m’éttait al porte ? I n’en serait bien capab’

Yves apparut, accompagné de sa mère. En bandoulière, il portait un vieux sac

– J’y ai mis sin minger pour à midi.

Madame Desrumeaux embrassa son fils, les larmes aux yeux. C’était une pauvre femme décolorée, décharnée, usée par le travail. Je jurai d’aider de toutes mes forces les enfants de ces pauvres gens pour qui la vie n’est qu’une lutte désespéré et désespérante. »

Emma Routier et son élève, négligeant la route, empruntent un itinéraire par les chemins de traverse, n’hésitant pas à couper au milieu des champs. C’est plus court mais cela fait quand même plus de sept kilomètres.

La place de Crévecoeur-le-Grand, un jour de marché…

« En cheminant et révisant, nous atteignîmes les premières maisons de Crèvecœur, et après le quartier de « La Prairie », le cœur du bourg, en pleine effervescence. La place de l’église était encombrée de chevaux et de charrettes légères. Des parents, des enfants, des maîtres et des maîtresses tournaient et s’affairaient. Et les commerçants de la place, conversant avec leurs pratiques, commentaient l’évènement, en jaugeaient l’importance et la gravité de l’heure.  De la place, on gagnait l’école de garçons où se déroulait l’examen.  Le directeur était prêt pour l’appel…  Il était juché sur une chaise et son chapeau noir enfoncé jusqu’aux yeux ne laissait voir que le scintillement de ses bésicles sur son vieux visage…  L’appel avait lieu par communes et Yves Desrumeaux, de Cormeilles, dut bientôt s’avancer. Je le regardai s’approcher du rang qui se constituait et j’étais crispée d’appréhension au point de me sentir mal. Je mesurai que chacun, dans cette grande entreprise d’instruction publique et laïque, devait vaincre bien des difficultés. La lutte serait longue…»

Vers midi, Emma Routier, revient vers l’école primaire de Crévecoeur, pour aller aux nouvelles…

« Tout à coup, je vis Yves surgir d’un groupe se précipiter vers moi.

– Mademoiselle, je crois que j’ai réussi !

– La dictée ? Difficile ?

– Non mademoiselle. Il n’y avait pas beaucoup d’accords et pas du tout d’imparfait du subjonctif ;

– Et l’arithmétique ?

– C’était un problème sur les surfaces et je suis allé jusqu’au bout. Mon voisin a le même résultat que moi.

– Et la rédaction ? As-tu gardé ton brouillon ? Montre-le-moi.

– J’ai choisi le deuxième sujet : la lettre. On demandait d’annoncer aux grands-parents la naissance d’une petite sœur ou d’un petit frère. J’ai bien relu, Mademoiselle. »

L’école primaire des garçons de Crévecoeur-le-Grand, avec les élèves et les enseignants, dont le directeur…

Après cela, les deux Cormeillois décident de se remettre de leurs émotions au café voisin…

« Yves sortit un morceau de poule froide et un gros quignon de pain bis. Je m’étais acheté du pain aussi, et du pâté de foie dont j’étais friande. Yves me raconta comment se passait l’examen, les copies dont on collait les coins avec des pains à cacheter, la peur des taches d’encre au cours de la dictée qui comptait aussi comme une épreuve d’écriture. Et puis, le surveillant, très sévère, qui marchait sans cesse entre les rangs des tables en faisant tintinnabuler un trousseau de clés dans sa main droite…

 Puis, ce fut de nouveau l’appel et les épreuves de l’après-midi. Yves sortit une nouvelle fois heureux après la lecture et la récitation. La grande attente commençait, cependant que le jury (les instituteurs de Grandvilliers) additionnait et délibérait.  Il était dix-huit heures quand les portes s’ouvrirent. Nous fûmes d’un même élan auprès du perron où l’inspecteur apparaissait, une liste à la main, accompagné du président du jury. L’inspecteur prit la parole : 

– Je félicite les candidats du canton de Crèvecœur et leurs maîtres. Les bons résultats montrent la qualité du travail qui a été fait dans les classes. Je vais appeler les candidats reçus qui s’avanceront pour recevoir leur diplôme.

– Yves Desrumeaux, de Cormeilles, lança l’inspecteur.

– Yves se précipita vers moi.

–  Ça y est Mademoiselle ; je vous le dois !

– Ton diplôme, Yves, ton diplôme va le chercher !

Remplis de bonheur, la maîtresse et l’élève refirent en sens inverse le chemin du matin jusqu’au village voisin :

Le Crocq, le dernier village de l’itinéraire avant de rejoindre Cormeilles…

« C’est après avoir dépassé le Crocq que nous vîmes tous les élèves de ma classe, venus à notre rencontre.

– Ça y est !

– Je l’ai !

–  Il l’a

– Regardez !

Et les uns se mirent à courir vers Cormeilles. Et les autres nous escortèrent dans un tourbillon triomphal. Nous étions devenus des héros.

 C’est ainsi que notre cortège atteignit les premières maisons… Tous ceux qui n’étaient pas aux champs se trouvaient là. Monsieur Desrumeaux en tête, un bouquet de fleurs à la main. 

– Est-i-vrai ? Ch’tiot, il o sin certificat ?

– Oui Monsieur Desrumeaux ! Regardez son diplôme !

– Ah ! Mam’selle ! Je paye la tournée ! 

Il avisa un des garçons et lui dit : Va- t’en chercher l’père Larrigue… D’madez-i d’prind’sin violon ! »

Cette histoire du « Certif’ » d’Yves Desrumeaux a dû compter dans les annales de Cormeilles et de ses environs. Elle a contribué à la crédibilité de l’instruction publique et laïque et à la popularisation des idées nouvelles. Ce petit miracle républicain aurait mérité un monument pour que l’on se souvienne de lui et qu’il perdure dans les mémoires, à l’image de tous ceux qui vont fleurir, vingt ans plus tard.

 Hommage à François Boullet

Le texte inspiré des mémoires d’Emma Routier, l’institutrice de Cormeilles, a pu être documenté grâce au travail de son petit-fils, François Boullet. Ce dernier a aussi été instituteur et ce récit avait du sens pour lui. Avec l’aide de son grand-oncle, Marcel Routier- le frère d’Emma – il a choisi les extraits et remis en forme le journal intime de la jeune enseignante. L’ouvrage est paru en 2007 sous le titre « Souvenirs d’Emma Routier ». Un fragment a été publié sur Internet. Il racontait la saga d’Yves Desrumeaux le premier élève du village à décrocher son « Certificat d’Etudes ». J’ai tenté, ici, une adaptation augmentée d’illustrations d’époque. Pour obtenir un exemplaire complet « retiré », via Amazon, le délai est de huit mois. Bien entendu, ma première démarche a consisté été d’essayer de contacter l’auteur. Il semblait avoir échappé aux radars de l’Internet. Mais la fiche BNF est apparue. Elle était très modeste. Elle mentionnait la profession « d’instituteur public ». C’est en tapant ces mots magiques que j’ai abouti à une vieille tribune du Monde du 14 mars 1984. L’auteur, un certain François Boullet, instituteur public. Le journal indiquait que l’auteur habitait la ville de Beauvais. Il habitait un quartier où j’ai moi-même vécu pendant une dizaine d’années. Entre la Noël et le nouvel an, j’ai formé le numéro. J’ai demandé : « François Boullet ? »

Une voie grave, un peu abîmée de quelqu’un qui vient de subir une opération m’a répondu, 

  • « C’est lui-même,
  • Vous êtes l’auteur du livre sur l’ancienne institutrice de Cormeilles ?
  • Absolument ! »

Je lui ai expliqué que j’avais écrit un texte sur cette histoire du Certificat d’Etudes, d’Yves Desrumeaux en 1899. « Attention, cher Monsieur, tous les noms ont été changés. J’ai soumis mon texte à mon inspectrice primaire de l’époque et elle m’a conseillé de changer tous les noms de famille pour éviter les histoires. » On n’est jamais trop prudent ! Je voulais savoir le véritable nom de l’élève Desrumeaux mais il ne s’en rappelait plus : « C’est très vieux, tout cela, cher Monsieur, je ne me souviens plus de rien. »

J’attends toujours le livre… On ne sait jamais…

Epilogue :

La salle de classe de Cormeilles en 1950

Un demi-siècle plus tard, en septembre 1950, avec un an d’avance, j’arrive à mon tour dans la petite école de Cormeilles. Les pupitres en chêne, suivant à la lettre les spécifications de la circulaire de 1880, étaient encore tous là ainsi que l’armoire de Sciences-Naturelles, bourrée de trésors qui nous servait de levier pour casser le bois, le matin. Ce sont les élèves qui allumaient le feu de l’antique calorifère en fonte. L’institutrice n’était plus la même. Elle s’appelait Roberte. Parfois pour des usages spéciaux il nous arrivait de manipuler les vieux manuels scolaires, enfermés au grenier et qui avaient dû servir à Emma Routier et à ses élèves. Au cours moyen, le livre de lecture était toujours « Le Tour de France par deux Enfants », héritage des tous débuts de l’école. Le Certificat d’Etudes n’était plus un exploit. Certains étaient recalés mais il y en avait aussi un certain nombre qui réussissaient. Le Certif’, je ne l’ai pas passé à l’école de Cormeilles mais au collège de Crèvecœur-le-Grand qui s’était emparé des locaux de l’ancienne école des garçons. L’exploit, à cette époque, c’était « l’Entrée en Sixième ». Les épreuves avaient lieu à Beauvais. C’est Roberte qui m’y a emmené dans sa magnifique Traction avant Citroën, modèle 1952. C’était la première fois que je montais dans un véhicule de cette classe. Les enseignants du début du XXe siècle n’hésitaient pas à donner de leur personne et de leurs biens pour la réussite de leurs élèves. Les élèves et leurs maîtres partageaient la croyance que l’instruction est un moyen d’arriver au progrès et de construire un Monde meilleur. C’était, il n’y a pas si longtemps.

Complément d’enquête :

L’école de Cormeilles en 1950, 60120

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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