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L’école de Cormeilles en 1950, 60120

Nous sommes en 1950. C’est un grand jour !

C’est celui où le photographe scolaire a décidé de venir immortaliser la classe de Cormeilles. Il s’appelait Sergis. Il avait de grandes moustaches et un magasin de photo du côté de la mairie de Breteuil.  Mais, était-ce vraiment lui ?  Je n’ai aucun souvenir des circonstances dans lesquelles a été prise cette photo. Mille-neuf-cent-cinquante, cela commence à dater ! Il n’est pas exclu qu’il puisse s’agir de son prédécesseur ! Quoi qu’il en soit, l’opérateur connaît son métier.  Il a évité la photo en rang d’oignons, si souvent liée à l’image scolaire. Il s’est placé de côté, pour que les bureaux s’inscrivent en diagonales sur l’image. Il a organisé une véritable mise en scène, en variant les postures des élèves. Il a fixé son appareil, sur un trépied, en hauteur : la plongée donne toujours de la profondeur à l’image et détache les personnages répartis sur les différents plans. Il a évité le flash – ou bien alors il en a utilisé un de très faible puissance – pour ne pas casser l’effet de la lumière qui pénètre par les fenêtres, situées de chaque côté de la classe, et faire en sorte que les visages photographiés ne s’apparentent à des fromages-blancs.  À cette époque, il ne pouvait disposer que d’une pellicule peu sensible, au maximum 100 ASA !  Pas question de faire le malin !  Il a sans doute demandé aux élèves de rester immobiles et dit quelque chose comme « Attention, le petit oiseau va sortir !  Cette photo, illustre l’art de produire quelque chose d’intéressant avec presque rien.

 Debout, au fond de la classe, c’est Roberte, mon institutrice !  

Elle paraît à peine plus âgée que Fernande, l’élève de la classe de Fin d’Etudes, debout avec un livre à la main. Je suis assis sur le banc du bureau du premier plan au milieu de l’image.  L’élève de droite, c’est moi ! Ma voisine s’appelle Josette. Elle est également ma voisine dans le village, rue Neuve.  Le voisin de ma voisine, c’est Éric. C’est le fils de Roberte. Il doit avoir trois ou quatre ans. Il est le plus jeune élève de la classe. C’était sans doute plus facile pour Roberte de l’amener à l’école que de le faire garder. Il est devenu agriculteur, comme son père. À l’époque de la photo, je viens tout juste, d’atteindre mes cinq ans. Je lis couramment… parfois des livres qui sont très au-dessus de mon niveau de compréhension. Mais l’écriture, c’est la catastrophe ! Roberte s’arrache les cheveux lorsqu’elle aperçoit mes doigts recouverts d’encre violette. J’écris comme un cochon ! Depuis, la situation ne s’est guère améliorée. Sur le banc de droite, c’est Claude et Claudette.  

Claudette est partie vivre à la ville.  Claude, a repris la ferme de son père. Derrière, se trouvent Gilles et Marie-Louise. Ils étaient toujours fourrés ensemble… dans la salle de classe comme dans la cour de récréation.  Ils se sont mariés et ont fondé un commerce d’horticulture.  Ils y travaillent toujours !  Derrière Fernande, qui tient son livre, c’est Jean-Paul et Yvon.  Ce sont les deux fils aînés de Mauricette. Comme Fernande, ils sont en classe de fin d’études. Mauricette habite au bout de ma rue. Juste derrière moi, c’est Marcel. C’est un futur agriculteur. Son frère, Michel, est le garçon un peu poupin, juste devant Roberte. Il n’a pas l’air très impressionnant. Mais, il ne faut pas s’y fier. Il possède une force redoutable. Il est capable de tordre avec ses seuls poignets le gros tisonnier du calorifère…  puis de le remettre droit par le même moyen. Autour de lui, les garçons sont les frères Bahlsen. Ils ont des prénoms très exotiques.  Leur père, un soldat allemand qui faisait partie du détachement qui occupait le village, y est revenu un peu après la guerre, comme si de rien n’était, pour retrouver son amoureuse. Ils se sont mariés et ont eu beaucoup d’enfants.  

Je n’ai jamais entendu un enfant de Cormeilles s’offusquer de la situation et montrer les frères Bahlsen du doigt.  À leur adolescence, leurs deux parents sont décédés. Les frères Bahlsen sont partis vivre en Allemagne, dans la ville de leurs grands-parents. Lors de la fête du village et celle du 14 juillet, jusqu’aux dernières nouvelles, ils revenaient passer quelques jours à Cormeilles chez l’un de leurs anciens camarades de classe afin de pouvoir humer le bon air de la campagne française.

 Au fond de la classe, on aperçoit une armoire.

C’est là que l’institutrice rangeait le matériel de couture. Roberte ne savait pas dessiner. Alors, c’était couture pour tout le monde, pour les garçons comme pour les filles! Pour la fête des mères, je confectionnais des napperons en mélangeant des points dont j’ai tout oublié. Ma mère s’extasiait en les découvrant. J’avais beau être tout petit je n’étais pas idiot au point de ne pas savoir que mes napperons étaient des horreurs. Je jouais le jeu ! Je faisais semblant d’être content qu’elle soit contente. A la machine à coudre, j’étais meilleur ! Ma grand-mère était une couturière hors pair. Elle avait une machine à coudre allemande : une Pfaff ! Elle avait beau détester les Allemands, elle tenait à sa machine come à la prunelle de ses yeux ! Elle ne l’aurait prêtée à personne… sauf à moi ! Elle était fière de voir que mes coutures étaient si droites ! De l’autre côté, il y avait une autre armoire que l’on ne voit pas sur la photo ! C’était l’armoire « de Sciences-Naturelles ». Dans d’autre écoles on l’appelait « le Musée ». Je ne me souviens plus des objets qui se trouvaient à l’intérieur. Je suppose qu’il y avait des crânes de chats et de chiens et des petits animaux nageant dans le formol. Cette armoire était très précieuse. Elle nous servait de levier pour casser les grosses branches destinées à allumer le feu du poêle de la classe. C’était un travail très prisé des garçons. On arrivait au moins une demi-heure avant le premier cours. Il fallait empiler le papier-journal, les menus branchages, puis, les plus gros. Quand le feu avait bien pris on ajoutait les boulets de charbon avec un seau à bords étroits. Les filles, leur truc, c’était plutôt de remplir les encriers d’encre violette avec une grande bouteille munie d’un bec.

Cette classe de Cormeilles, en 1950, c’est ce qu’on appelle « une classe unique »

avec les filles et les garçons de niveaux différents tous réunis dans une seule salle de cours. Il fallait beaucoup d’habileté à Roberte pour jongler avec tous ces contenus et ces niveaux !  Pendant que j’étais censé remplir des lignes d’écriture, j’écoutais les leçons d’histoire de l’institutrice. Elle s’appuyait sur de grandes images célébrant les grands moments de la Nation française : le sacre de l’empereur Charlemagne à Reims ; Roland à Ronceveaux ; la prise de la Bastille ; Napoléon au pont d’Arcole…  Roberte ignorait tout de la musique. Elle faisait appel à sa mère qui habitait le logement de fonction voisin. Cette dernière battait la mesure comme un véritable chef d’orchestre. Son répertoire était celui des chansons enfantines… mais elle avait aussi un chant pour chaque province : J’irai revoir ma Normandie ; Se Canto, que canto ;le P’tit Quinquin !  Aux beaux jours, elle délocalisait le cours de chant dans la cour de récréation. Là, il fallait marcher au pas et entonner des hymnes de scouts ou de militaires : J’ai perdu le Do de ma clarinette ; le Chant du départ…

 En face de la salle de classe, séparée par un couloir garni de portemanteaux, se trouvait la mairie. C’est le concept de Mairie-Ecole, voulu par les lois de Jules Ferry, et que l’on retrouve dans presque tous les villages de France. Roberte, qui était secrétaire de mairie, annexait le local municipal, plus facile à occulter, comme salle de projection.  Elle disposait de plusieurs appareils. Nous pouvions, nous qui n’étions jamais sortis de notre village, découvrir les grands paysages de la France. On voyageait… on voyageait ! Cette classe de Cormeilles, en 1950, n’avait pas volé son nom, elle était vraiment « unique. »

Pour connaître la suite…

Du collège Jéhan-le-Fréron de Crèvecœur-le-Grand, 60360