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L’illusion d’un petit coin de la belle Allemagne tranquille semble parfaite. La réalité était tout autre.
Enfouies dans les greniers allemands depuis un siècle, des images de la période 1914-1918, jusqu’ici inconnues, reviennent sur leur lieu de naissance par la magie d’Internet et du libre-échange. Celle-ci est la première photo connue du Fort monsois prise pendant la Première Guerre mondiale.
Si l’endroit ne nous était aussi familier, on se croirait au cœur de l’Allemagne, un bel après-midi d’été. Sur le pont, sont disposés des arbustes décoratifs. La lourde porte a été remplacée par une élégante grille de fer forgé. Le mur de briques du fond est recouvert d’un crépi avec un écusson en stuc affirmant la germanité de l’endroit.
Des phrases en écriture gothique expriment la fierté d’être allemand. Avec la ligne électrique qui vient alimenter le bâtiment et les officiers (dont un médecin), souriants, comme en représentation, l’illusion d’un petit coin de la belle Allemagne tranquille et moderne semble parfaite.
Mais la réalité de l’endroit est très différente. Lorsqu’en mai 1917, une colonne de prisonniers australiens arrive au Fort McDonald, les soldats ont déjà subi trop d’épreuves pour être sensibles à l’ironie d’être enfermés dans un lieu qui porte un nom britannique. Le 11 avril 1917, la 4e division australienne attaque la ligne Hidenburg à Bullecourt (Pas-de-Calais) sans chars ni préparation d’artillerie. Elle enlève la première ligne. Mais submergés sous le nombre, sans munitions pour continuer le combat, ses soldats doivent se rendre.
Le bilan est éloquent : 3 000 hommes hors de combat dont 1 170 prisonniers. La plupart sont dirigés vers Lille, à pied et parfois en camions. À chaque traversée de ville, on fait défiler les prisonniers défaits devant la population. Voici le récit de l’arrivée à Lille du sergent William Groves du 15e bataillon : « Une fille, encore toute petite et dont sa maman ne pouvait nous cacher sa sympathie, commença à marcher vers nous, un paquet à la main. L’un des gardes quitta sa file et se précipita vers elle. D’un coup de fusil, il l’envoya s’écraser sur le sol et confisqua le paquet. »
240 de ces hommes sont internés au Fort McDonald. Ils n’ont rien à manger, vivent dans la saleté, la misère et le confinement : pas de literie ! La seule installation sanitaire a débordé depuis longtemps ! Certains prisonniers s’évanouissent. Quelques-uns parviennent à rester stoïques. D’autres ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur désespoir : « De temps en temps, un gars s’approchait de la porte, la martelant de ses poings en criant sauvagement, témoigne Groves. Rendus fous par cette faim qui nous tenaillait, couverts de vermine, victimes de punitions terribles, au bout de cinq jours nous avions complètement sombré dans le plus noir des désespoirs. »
Par la suite, dans la zone des combats, sous le feu de l’artillerie alliée, on confia à ces soldats des tâches inhumaines. Il y avait un monde entre les conditions faites aux prisonniers de guerre en Allemagne et ceux du Nord de la France où l’armée allemande manquait cruellement de main-d’œuvre. Durant la guerre, 337 prisonniers australiens sont morts en captivité des suites de leurs blessures.
Pour les prisonniers britanniques, le fort Macdonald s’appelait le Trou Noir
Malgré son aspect souriant et ensoleillé ce tableau s’intitule « Le Trou Noir » (« The Black Hole »). Il représente une caponnière du Fort Macdonald peinte en 1918 par Edwin Martin. L’artiste, à la même époque, a représenté d’autres lieux de la région marqués par la guerre. Les raisons de sa présence en France était d’ordre militaire. Il faisait partie du Royal Army Medical Corps (RAMC). On peut penser que le titre de son tableau lui a été suggéré par les prisonniers britanniques que l’on avait enfermés là.
Alain Cadet