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Le lit à Baldaquin

Une histoire ordinaire de la vie d'aujourd'hui...

Pendant bien des années, il est resté là, dans la chambre vide.

Avec son armature métallique ouvragée, en volutes, son voilage vaporeux accroché au plafond, son dessus de lit au motif floral, il évoquait le lit d’une princesse. Le reste du décor de la chambre avait été étudié pour compléter l’impression. Un grand miroir au cadre de bois décoré de fleurs peintes, un petit siège et un bureau d’enfant occupaient le coin, près de la fenêtre. C’était le décor rêvé d’une chambre de petite fille qui croit encore aux fées, aux princesses et à la possibilité d’avoir une vie future merveilleuse.

La petite qui avait demandé ce lit est venue dormir dans la petite chambre un week-end sur deux et les demi-vacances selon le jugement qui régulait les rapports entre ses deux parents divorcés. Cela a continué bien des années. Elle était désormais devenue presque une jeune-fille. Le lit à voilages commençait à dater. Un peu avant ses dix-huit ans, bien qu’elle n’avait aucun motif de reproche à faire au père, soudainement, sans prévenir, sans dire pourquoi, elle n’est plus venue. L’avocate, à qui le problème a été soumis, a conseillé de ne rien faire. Selon elle, il n’était pas utile de dépenser beaucoup d’argent en procédures de justice.

Dans quelques mois, ses dix-huit ans révolus, une simple lettre au juge de sa part suffirait pour légaliser la situation. La justice n’est pas un lieu dans lequel on réfléchit sur l’intérêt des enfants et les conditions nécessaires à leur développement futur. Elle applique les textes des politiques votés le plus souvent sans que les conséquences de leurs décisions ne soient correctement évaluées. Les enfants sont les otages des parents manipulateurs qui trouvent ici l’occasion de régler des comptes par cette étrange thérapie sauvage qui fait du bien à leur narcissisme pervers. Comme ce n’est pas le cas général, on ferme les yeux sur le problème et le Monde continue à tourner… bancal !

Le lit à baldaquin est resté ainsi dans la chambre vide de longues années…

comme un remords ! Petit à petit, le lieu s’est transformé en débarras. Un jour, on a démonté le lit pour gagner de la place. Dernièrement, un usage a été trouvé à la petite chambre. Il fallait la débarrasser de tous ses objets encombrants. Mettre ce lit à la décharge était trop cruel pour le père. Il a publié une annonce sur « Le Bon Coin » en l’offrant à celui ou à celle qui voudrait bien venir le chercher. Une jeune-femme de Valenciennes a été la première à répondre. Elle viendrait chercher le lit, le lendemain. Une heure avant le rendez-vous, elle signale qu’elle se met en route. Puis, plus rien ! silence radio ! Après une bonne heure écoulée, elle annonce qu’elle a dû revenir sur ses pas. La batterie de son Smartphone a lâché. Elle assure qu’elle s’est remise en route et qu’elle va enfin pouvoir passer. « Pas plus tard que vingt-deux heures »,répond le père. Quelques minutes avant l’heure dite, on sonne à la porte. Une jeune-femme, très maigre, se confond en excuse. Elle a le teint pâle et l’on sent sur son visage la trace de l’émotion des instants qu’elle vient de vivre. Le GPS n’était pas très précis. Elle s’est garée à l’autre bout de la rue. Impossible de charger les lourds montants du lit. Elle doit remonter toute la voie en marche arrière. Elle est venue dans sa « Kangoo » familiale. En abaissant tous les sièges, on arrive tout juste à caser le sommier et les autres éléments du lit.

La jeune-femme a l’air contente. Finalement ça valait bien ses trois heures de galère ! Elle est ravie de remporter le siège qui va avec le lit et qui n’était pas mentionné dans l’annonce. Sur son visage qui exprime la souffrance on voit apparaître une lueur de bonheur. Elle s’est battue pour que sa petite-fille puisse avoir ce lit qui puisse la faire rêver. Les pauvres ont besoin de lambeaux d’espoir pour que leur futur ne soit pas irrémédiablement aboli. 

Dans la voiture, il n’y a presque plus d’espace pour la conductrice qui doit se tenir toute recroquevillée. « Ça va aller »,lance-t-elle, « à condition de ne pas rencontrer la Maréchaussée ! » La voiture s’ébranle dans la nuit. La jeune-femme, au volant, est dans la position du fœtus dans le ventre de sa mère. Le paysage, sur les côtés de la route, défile dans la lumière des phares. La mère ne le voit pas ! Elle est encore baignée de ces heures de galère et d’émotion. Elle conduit machinalement. Elle rêve…