Le mouvement « Voix du Nord » et la commune de Mons-en-Barœul, avril 1941–septembre 1944

Le mouvement « Voix du Nord » et la commune de Mons-en-Barœul, avril 1941–septembre 1944

La carte de membre actif du mouvement d’Henri Prévost. Il deviendra le chef du Groupe de Mons après l’arrestation de sa fondatrice, Jeanne Parmentier.

À la fin du mois de mai 1940, les troupes d’Hitler déferlent sur la France. Ils vont la conquérir en quelques jours avec une facilité et déconcertante. Le nouveau gouvernement français du Maréchal Pétain décide de se soumettre. Il va falloir attendre de longs mois pour que la Résistance ne commence à s’organiser. Le premier exemplaire du journal la Voix du Nord va être imprimé en avril 1941.

Les mois de mai et juin 1940 sont, pour la France, le moment d’un véritable écroulement. On désigne souvent cette période comme celle de « la Débâcle ». Les armées françaises sont défaites, la population en exode sur les routes, exposée aux tirs des avions de chasse allemands. Le 16 juin 1940, un nouveau chef du gouvernement français, le maréchal Philippe Pétain est nommé. Il partage la philosophie et les valeurs de l’Occupant et décide de collaborer avec le Reich d’Adolf Hitler. Quelques voix s’élèvent pour défendre les valeurs nationales, dont la plus retentissante sera celle, deux jours plus tard, du général de Gaulle, qui, depuis Londres, appelle les Français à résister. Mais, sur le territoire national, en ce milieu de l’année 1940, c’est surtout la sidération qui domine.

Près de deux millions de prisonniers français se trouvent enfermés dans des camps allemands. La moitié nord du pays est occupée. Il va falloir plusieurs mois pour qu’un début de résistance s’organise. On date généralement L’acte de naissance du mouvement Voix du Nord, au mois d’avril 1941 – le premier du mois, dit-on – avec la parution du premier numéro du journal clandestin éponyme. Il s’agit d’une production modeste : cinq feuillets dactylographiés, tirés à moins d’une centaine d’exemplaires à l’aide d’une antique Ronéo, imprimant à l’aide de stencils, avec, inscrit sur la Une, « La Voix du Nord, Organe de la résistance de la Flandre française, lisez – recopiez – diffusez ». Il s’agit pour l’instant d’une action presque symbolique, mais qui est le début d’une grande aventure de la Résistance du nord de la France.

La tétière de la Voix du Nord clandestine dessinée par le journaliste roubaisien, Jean Piat et gravée par l’imprimeur monsois, Henri Poissonnier, qui périra dans les « Camps de la Mort ».

Pour autant, dès les premiers jours, beaucoup de patriotes, attachés à leur langue et à leur identité, prennent des initiatives individuelles isolées qui constituent de véritables actes de résistance. Ainsi, la famille Prévost, de Mons-en-Barœul, s’est-elle mobilisée, dès juin 1940. Le père, Henri Prévost, s’était illustré, lors de la première Guerre mondiale. Il avait été de toutes les grandes batailles (les Flandres, Verdun, le Chemin des Dames) et avait eu la chance de pouvoir revenir vivant ! Dans la commune, il est considéré comme un héros ! Il a deux fils adolescents :  Fernand et Henri, qui vont le seconder.

Henri Prévost est policier municipal. Un poste idéal pour mener des actions de Résistance.

C’est ainsi que la famille Prévost va se saisir, dans la période de désordre qui a succédé à la prise de Lille, d’armes et de munitions abandonnées par l’armée française dans le fort Macdonald. Elle les cache, puis revient une nuit pour les récupérer et les mettre en lieu sûr. Pour la petite histoire, elle va d’abord les enterrer dans le jardin d’une maison réquisitionnée par l’armée allemande pour y loger ses officiers (le Vert-Cottage, l’ancienne résidence de l’architecte Gabriel Pagnerre). Pas évident pour l’Occupant d’avoir l’idée de perquisitionner l’endroit ! Puis, cet attirail militaire sera déplacé dans une tombe de l’ancien cimetière où Henri Prévost, policier municipal, possède un logement de fonction. C’est un lieu retiré est très discret qui convient tout à fait à une activité clandestine.

Natalis Dumez et Jules Noutour

les deux fondateurs de « La Voix du Nord » se sont probablement rencontrés à la même époque en exfiltrant des soldats anglais qui n’avaient pu être évacués vers l’Angleterre lors de l’opération Dynamo. Les deux hommes sont très différents. Natalis Dumez, ancien combattant de la première Guerre mondiale et ancien maire de Bailleul, est un démocrate-chrétien progressiste. Jules Noutour, membre du parti socialiste et militant syndical est un policier du commissariat de Fives. Ils partagent cependant la même idée de la France et de ce qu’il convient de faire pour la préserver.

Natalis Dumez et Jules Noutour

« C’est à deux, Jules Noutour et moi-même, que nous avons décidé de fonder un journal… que nous en avons choisi le titre. Nous avons réuni le papier le matériel nécessaire et fait les premiers tirages. Nous avons assuré nous même les premières distributions. C’est à deux, que nous avons assumé toute la responsabilité de cette initiative », devait résumer Natalis Dumez, juste après la guerre.

Les deux fondateurs

sont à la recherche de femmes et d’hommes, sûrs et résolus, pour participer et à cette aventure. Avant même la parution du premier numéro de « La Voix du Nord », Natalis Dumez prend contact avec Jeanne Parmentier. A cette époque, elle tient le Café de la Mairie, situé au centre du bourg historique de Mons-en-Barœul. Jeanne, est connue pour avoir été membre du mouvement de Résistance catholique, Louise de Bettinignies, lors de la première Guerre mondiale. Elle partage les mêmes valeurs que Natalis Dumez et, comme lui, en ce début d’Occupation, travaille à cacher les clandestins. Le Café de la Mairie, surnommé « La Baraque » par les soldats britanniques est devenu le lieu d’accueil des soldats prisonniers évadés ou des aviateurs qui cherchent à rejoindre l’Angleterre.

Jeanne Parmentier

C’est ainsi, qu’en mars 1941, Natalis Dumez demande à Jeanne si elle ne connaît pas quelqu’un qui sache taper à la machine. « Si, bien sûr, ma fille ! », Lui répond-elle. C’est ainsi que Lily Glück-Parmentier, va dactylographier les stencils du journal N° 1, et de beaucoup de numéros qui vont suivre. « On disait des choses différentes de celles des autres journaux et de la propagande. C’était réconfortant. Cela nous permettait de garder le moral », racontait Lily, en 2013, un an avant son décès. Pour éviter de, se faire repérer par la police allemande, l’impression du journal change souvent de lieu, Fives, Hellemmes, Lezennes, Lille… plusieurs numéros seront ronéotés dans le grenier du café de la Mairie de Mons-en-Barœul (à partir du n° 12, dit-on). « On avait une Gestetner qui marchait à la main. Il m’arrivait de la faire tourner mais, le plus souvent, c’était maman qui s’en occupait », racontait volontiers, Lily. « C’était un tout petit journal. On donnait des renseignements sur les événements de la guerre. »

Lily, la fille de Jeanne Parmentier, au début de la guerre.

Jeanne s’attache à constituer un réseau local,

dont elle est le chef. On recrute sur la commune mais aussi dans celle voisine de Marcq-en-Barœul de même que dans les villages qui constituent actuellement la ville de Villeneuve-d’Ascq. Naturellement, Henri Prévost, parrainé par Jules Noutour – policier comme lui – et Jeanne Parmentier, va faire partie de l’aventure, de même que ses deux fils. « Dès 1941, notre groupe paramilitaire atteignait 50 hommes, recensés et sûrs » devait écrire en 1946, Henri Prévost (le fils), dans son rapport destiné au mouvement Voix du Nord« En compagnie de mes fils, Henri et Fernand, nous placions 300 journaux », note Henri (le père). « Nous avons confectionné de fausses cartes d’identité et de faux certificats de travail pour les jeunes gens de la commune. Les faux-cachets étaient fabriqués par notre camarade Henri Poissonnier

Henri Poissonnier, l’imprimeur du réseau, mort en déportation.

Henri Prévost est policier.

Il est le seul habitant de Mons-en-Barœul à posséder un Ausweis, permettant de circuler à toute heure du jour et de la nuit malgré le couvre-feu. Il a fait entrer comme assistant administratif son fils aîné – qui, comme lui, se prénomme Henri – à la mairie. C’est très pratique pour obtenir des informations et prévenir les familles menacées par la Gestapo ou la police de Vichy d’une arrestation. Il pouvait aussi, avec la complicité d’Hector Duthilleul, alors secrétaire général adjoint, soustraire les armes en état de marche au profit du réseau Voix du Nord, que la population devait y déposer, sur ordre de la Kommandantur. La famille Prévost était une véritable aubaine pour la Résistance.

Lily, la fille de Jeanne Parmentier

consacre presque tout son temps à la confection et à la distribution du journal. Elle tape sous la dictée de Natalis Dumez, à son domicile de la rue Castiglione, ou bien prend livraison des manuscrits, dans l’arrière salle du Café du Damier, Grand-place, à Lille. « Quand il ne pouvait pas venir il envoyait Jules Noutour. Il m’arrivait de leur remettre des armes de poing que je ramenais dans mon sac de moleskine noire ». La boucherie, voisine du café monsois, est la plaque tournante de la distribution des armes dans le secteur. Armes et journaux, bien cachés dans un pot à lait à double fond, transitent sur le vélo de Lily. « Le plus souvent, je me rendais à la ferme Destombes, à Bondues, qui abritait une famille de patriotes. J’y ramenais les plans de défense antiaérienne de l’aéroport que Monsieur Destombes mettait à jour chaque semaine, avant leur acheminement vers Londres ».

La distribution du journal Voix du Nord monte en puissance 

2000 puis 3000 journaux. À l’été 1941 il tire déjà à 4000. Il devient très visible… pour la population comme pour l’Occupant ! La Gestapo et la police de Vichy sont sur les nerfs. Ils investissent des moyens considérables pour débusquer les Résistants. Le 7 septembre 1942, Natalis Dumez est arrêté à Lezennes dans la maison où le journal était imprimé. Il a été dénoncé par Marcel Dénèque, celui-là même, sympathisant de l’Allemagne nazie, qui avait conduit à la mort le jeune résistant Léon Trulin lors de la guerre précédente. Deux mois plus tard, Jeanne Parmentier ayant décelé des allées et venues suspectes devant le Café de la Mairie déménage dans une adresse discrète de la rue Masséna, à Lille, d’où elle continuera à diriger le groupe monsois. Elle est arrêtée par la Gestapo en août 1943. En septembre, ce sera au tour de Jules NoutourLa dernière arrestation sera celle d’Henri  Poissonnier, l’imprimeur du réseau, en juin 1944 . À partir de l’arrestation de Jules Noutour, le réseau est décapité. Henri Prévost , le père,  prendra la succession de Jeanne Parmentier, comme chef du réseau monsois. Cette répression féroce, ces arrestations n’empêcheront pas une montée en puissance. L’édition du 1er janvier 1943 sera imprimée à 15 000 exemplaires : un record !  Il paraîtra   65 numéros de la Voix du Nord clandestine entre avril 1941 et septembre 1944. 

Le 2 septembre 1944, tandis que Henri Poissonnier part vers les camps de la mort dont il ne reviendra pas, Mons-en-Barœul est libérée par la 40e compagnie de FFI, une brigade de 200 hommes, sortie de l’ombre et commandée par Henri Prévost.

A la Libération, en septembre 1944, les combattants monsois défilent dans les rues de la ville.

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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