Petit - Journées Européennes du Patrimoine

Le sauvetage des enfants juifs par les cheminots du Mont-de-Terre

Le sauvetage des enfants juifs par les cheminots du Mont-de-Terre

Par Thérèse Louage

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Petit - Journées Européennes du Patrimoine
Marcel Hoffmann et ses collègues cheminots à la gare de Fives, source : Famille Hoffmann

Thérèse Louage est née en 1927, au numéro sept de la rue Saint-Sauveur, à Lille. Elle y a passé toute son enfance. En 1942, ses parents déménagent à Fives, dans le quartier de la gare. La fenêtre de sa chambre était un poste d’observation privilégié. Elle a été le témoin direct de la déportation des juifs et notamment de la rafle du 11 septembre 1942 où beaucoup d’entre eux sont partis vers les camps de concentration nazis tandis qu’un petit nombre était exfiltré grâce au courage des cheminots de la gare. Cet épisode l’a toujours hantée. Dernièrement, elle a écrit ce texte qui témoigne de cette époque que beaucoup semblent avoir oubliée.

Le martyre des Juifs

Les ordonnances, prises le 28 octobre 1940 par le commandement militaire de Bruxelles, obligent les personnes et les entreprises juives à se faire inscrire à l’hôtel de ville. Elles doivent fournir : nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, profession, nationalité et religion des Juifs, nombre de personnes vivant au foyer. Les entreprises appartenant à des Juifs sont astreintes, le 3I mai 1941, à un affichage qui les identifie. En mai 1942, les Juifs sont contraints de porter l’étoile jaune. Dès lors, il est aisé aux allemands d’arrêter les Juifs qui négligent le port de l’étoile. Il est aussi aisé Aux Teutons de s’emparer des entreprises appartenant aux Juifs, d’arrêter les propriétaires. Les Juifs arrêtés disparaissent et finissent à Auschwitz.

La rafle du 11 septembre 1942 est facilitée par les mesures prises en mai 1942 ; les groupes de policiers allemands et français ont en main Ia liste complète, maison par maison, des personnes à arrêter, les détails étant fournis par la mairie où ces familles avaient dû s’inscrire, dès le 28 octobre 1940. Soixante-dix Lillois sont arrêtés, rejoints par 317 Lensois et des Douaisiens : au total 520 personnes. Les Juifs sont conduits, gare de Fives, en camion.

Les Lillois sont amenés, à bord de camions et de voitures depuis le centre-ville, le boulevard Louis XIV, l’avenue Julien Destrée, jusqu’à la gare de Fives où ils pénètrent à pied sur le site de la gare et attendront en pleine chaleur, sur le quai, l’arrivée du train qui doit les mener à Malines, en Belgique.

Petit - Mons-en-Barœul

A Valenciennes, le train s’ébranle à 13 heures 18, se rend à Condé-sur-Escaut, puis à Douai et enfin à Lens où feldgendarmes et policiers français procèdent à I’arrestation des Juifs, souvent des mineurs d’origine polonaise… dans l’indifférence de la population.

Le convoi prend la direction de Lille et s’immobilise, gare de Fives ; les gardes allemands entassent les malheureux dans des wagons à marchandises aux portes cadenassées ; il est presque I8 heures, lorsque Ie train quitte Lille en direction de Malines, en Belgique. Il y a 513 déportés (hommes, femmes, enfants) à bord ; il restera en transit jusqu’ au 15 septembre ; le nombre de personnes arrêtées s’est accru de ressortissants belges : des Juifs, mais aussi des délinquants de droit commun, des hommes coupables de marché noir, condamnés à des peines plus ou moins longues ; enfin des résistants dont le devenir sera semblable à celui des Juifs ; pour beaucoup ce sera le dernier voyage qui s’ achèvera à Auschwitz-Birquenau.

Entre juillet 1942 et septembre 1944, 25482 Juifs et tziganes passeront par Malines.

Des héros méconnus : les Cheminots de Fives, La rafle du 11 septembre 1942 à Lille-Fives

La rafle débute à I’aube ; les Juifs sont conduits gare de Fives où, sous une chaleur accablante, ils restent debout sur le quai, sans boire ni manger.

« C’est sans compter sur le courage des cheminots (chef de gare, employés des ateliers SNCF, interprètes, qui, au péril de leur vie, organisent le sauvetage de 34 personnes dont de nombreux enfants : ils traversent la rue de Bellevue et entrent dans la gare ; ils repèrent les personnes qui pourraient être sauvées en fonction de leur âge, de leur corpulence. »

Cheminots de la gare de Fives pendant la guerre

Chana Zupnik et sa fille sont conduites par le cheminot, René Douce, vers un local de service et de dortoir ; ils traversent un dédale de pièces et de couloirs ; René Douce ouvre une porte : chambre 8 ; déjà 2 personnes y sont cachées ; seule une fenêtre assez haute apporte un peu de lumière ; la chaleur est étouffante et la peur règne, pesante. Après de longues heures, les réfugiés entendent du bruit provenant du couloir : René Douce et Jean Mabille déplacent des armoires remplies de documents ; ils veulent masquer la porte de la chambre 8 qui sera ainsi sécurisée en attendant la tombée de la nuit…

Autres témoignages

Les véhicules transportant des familles juives arrivent, les uns après les autres dans le quartier de Fives et entrent dans la gare ; ils s’immobilisent le long des quais ; les policiers allemands et français font descendre femmes et enfants. Un cheminot se présente à Madame Gisza Kurbard. Il lui propose d’emmener sa fille: « Elle est petite, elle pourrait-être mon enfant, je n’éveillerai pas les soupçons des boches… » Il emmène l’enfant dans un café, celui de Monsieur Marcel Sarazin, rue du Grand Balcon : elle y restera cachée en attendant la nuit.

Marcel Hoffman

Lorsque Jacques (Oscar), âgé de 10 ans et sa famille arrivent, ils voient les Juifs sur le quai de la gare, le long du bâtiment ; le cheminot Marcel Hoffman répond à la demande de Madame Hélène Stulzaft de prendre son plus jeune fils Jean (un an et demi) : avec un collègue, il sort le petit garçon de la gare. Jacques attend sur le quai. « Marcel Hoffman m’a confié à un collègue ; avec lui je suis monté sur une passerelle pour piétons qui enjambait les voies ferrées. Vers le bas j’ai aperçu ma mère. Nous sommes sortis et à l’extérieur, un ami de mon père, Rodolphe Klonoski, m’a pris par la main et emmené chez lui. » Pendant ce temps, Marcel Hoffman repasse devant Hélène Stulzaft et la conduit vers un bâtiment, ouvre la porte d’un local, attenant au quai : il la pousse vers l’intérieur et lui montre la fenêtre qui s’ouvre sur la rue ; un jeune homme, Roger Kejnigsman, âgé de seize ans les accompagne. La nuit venue, elle parviendra à se faufiler par cette fenêtre, ainsi que son compagnon de cellule .

Sur le quai, les personnes attendent toujours sous un soleil de plomb ; les cheminots continuent à s’activer pour tenter de sauver autant de personnes que possible ; Jean Mabille, chef de gare, voit Augustin Handtschoewerker, interprète, évacuer quatre enfants et les conduire chez Marcel Sarazin, rue de I’Est, où ils seront à l’abri.

Henri Adamski vit à Marcq-en-Baroeul avec sa femme et ses deux enfants. Madame Deschryver, dont le mari est cheminot, est employée chez les Adamski où elle s’occupe des enfants et fait le ménage . Le 11 septembre 1942, la famille est arrêtée à l’aube par les polices françaises et allemandes ; un camion les emporte jusqu’à la gare de Fives : « Il y avait beaucoup de monde et les toilettes débordaient jusque sur les voies ferrées ; la chaleur était insupportable. » Madame Deschryver est arrivée à la gare avec le vélo de son fils ; sur le cadre, elle a placé Fella et l’a conduite jusqu’à un local, où l’enfant est prise en charge par des cheminots : « Des hommes m’ont cachée derrière un meuble dans une pièce très sombre, après m’ avoir changé mes vêtements très sales : Madame Deschryver ayant apporté à cet effet le tablier de son fils. La nuit venue, on m’a emmenée chez les Deschryver, où je suis restée jusqu’à ce que mon père vienne me chercher ; il avait également pu récupérer, Eric ( 4 ans). Mon petit frère qui avait été passé par-dessus le mur des urinoirs de la gare ; d’autres personnes l’avaient saisi de l’autre côté de la rue.  Des hommes m’ont cachée sous un meuble dans une pièce ; la nuit venue on m’a emmenée »

Maurice Blank (huit ans) arrive à ta gare de Fives, au milieu de la journée, avec sa mère, sa soeur, Rose, (onze ans) et son frère, Samuel, (dix-huit mois). Une sorte de bâtiment sert de hangar à marchandises. Une grille en ferme l’accès. Devant ce bâtiment : un quai. Il fait très chaud : le seul point d’eau existant ne fonctionne pas et il n’y a pas de sanitaire. Dans l’après-midi, un train composé de wagons à marchandises se range le long du quai : « Des cheminots viennent discrètement dans le but de nous faire évader ». A la faveur de la nuit les cheminots s’approchent de la gare de Fives pour évacuer les prisonniers cachés dans les locaux. René Douce et Louis Saint-Maxent se rendent au café de Marcel Sarazin et lui empruntent une échelle ; l’un des hommes grimpe et ouvre la fenêtre qui se trouve au-dessus de la guérite où règne le gardien du passage à niveau 144, Paul Blanquart ; celui-ci aide ses collègues. Un à un, adultes et enfants sortent du bâtiment. Retour chez Marcel Sarazin ; les cheminots dispersent leurs protégés chez des personnes de confiance.

Que vont devenir ces protégés ?

Les cheminots les confient :

– à des particuliers

– à un couvent : le Bon Pasteur

– à un orphelinat à Loos et aussi à une maison close où, pendant huit jours, ils sont nourris et dissimulés.

Gare de Fives

B et P : Bâtiment principal de la gare. De nombreux Juifs y ont été cachés.

G: C ‘est la guérite dont une fenêtre donne sur l’ extérieur par laquelle les Juifs cachés dans le bâtiment principal sont évacués au cours de la nuit du 11 au 12 septembre.

P : Passerelle par laquelle Oscar Stulzaft est évacué de la gare.

PN 144 : Passage à niveau 144

V et W : Locaux « Visiteurs et Wagons » où travaille Marcel Hoffman, contrôleur de machine.

1 : Rue du Grand Balcon (disparue aujourd’hui)

2 : Rue du Faubourg de Valenciennes (disparue aujourd’hui)

3: Rue de I’Est : (disparue aujourd’hui)

4 : Rue de Bellevue.

5 : Le café de Marcel Sarazin où de nombreux fugitifs trouvent un abri temporaire.

6 : Le train de la mort qui emporte les malheureux captifs vers Malines et Auschwitz.

Naissance du comité de secours

La journée du 11 septembre se passe, très pénible : les enfants et adultes sauvés par les Cheminots restent silencieux, immobiles ; dans les locaux de la gare ou dans le café de Marcel Sarazin, ils attendent I’ arrivée de la nuit. Leurs sauveurs se préoccupent de leur trouver des abris sûrs, chez des particuliers généreux, acceptant les risques et les peines encourues, s’ils sont découverts ; d’autres trouvent un refuge dans des établissements dirigés par des religieux : le Couvent du Bon Pasteur ou un orphelinat à Loos. Il est même fait appel au tenancier d’une maison close où pendant huit jours les Juifs sont cachés et nourris.

Où trouver suffisamment d’abris ; comment nourrir, habiller, fournir des papiers d’identité aux fugitifs ? Il est fait appel à I’Evêché qui reste peu réactif… L’abbé Stahl est à la tête d ‘ une institution d ‘ accueil pour enfants en détresse, à Marcq -en- Baroeul : il répartit les nouveaux venus dans deux autres établissements : à l’orphelinat Notre – Dame de Loos et Saint- Pierre à Bouvines. Un autre prêtre apporte son aide à des Juifs lillois : Raymond Vaucour est professeur à I’ université catholique. Il accueille chez lui une jeune Juive : Irène Khan « On m’a fait enlever I’étoile cousue sur mon vêtement , puis on m’a remis de faux papiers ». Irène parle allemand ; l’abbé lui fait traduire un ouvrage de philosophie ; son esprit est ainsi occupé !

Plusieurs membres du comité de secours aux Juifs dont Louis Saint-Maxent et René Douce, Simon Prechner

Peu après, quatre membres de sa famille la rejoignent ; L’abbé Vaucour reçoit aussi des résistants : l’un d’eux, originaire de Normandie, deviendra après la guerre un personnage connu : Jean Lecanuet. Il sera le maire de Rouen, puis ministre.

Les six membres fondateurs du comité de secours aux Juifs : René Douce, Léon Leser, Simon Préchner, Louis Saint-Maxent, M. Smeckens, M. Raby désignent un président : René Douce , aidé par Simon Préchner. Objectif : assurer l’hébergement, le ravitaillement des clandestins. Ils sont aidés par plusieurs employés municipaux lillois : responsable du service ravitaillement, Félicien Hautcoeur établit de fausses cartes d’identité. Gaston Tricoteux et Germaine Denneulin remettent au comité des titres de rationnement et des faux-papiers. Un appui est aussi donné par quelques policiers lillois ; ils fournissent de fausses cartes d’identité pour des résistants recherchés et pour des Juifs ; ils avertissent, dans la mesure du possible, les personnes risquant d’être arrêtées. D’autres soutiens participent encore au comité ; des femmes se montrent très actives : Madame Legry-Nuez se charge de la trésorerie ; Marie-Anne Brouillard soigne les blessés et, membre de la défense passive, aide les pompiers au cours des bombardements, notamment à Fives ; elle assiste aussi les personnes recherchées par la police et cache chez elle des enfants juifs . Au lycée Fénelon, une enseignante, Mademoiselle Chéreau, amie du Pasteur Nicq fait entrer et cache une jeune juive tandis que la surveillante-générale, Simone Caudron cache dans les dortoirs deux jeunes filles, Renée Strauss et Huguette Winischki, jusqu’à la fin de la guerre.

Arrestation du président du comité

René Douce arrêté par des policiers français est conduit au siège de la police judiciaire française. Les documents clandestins du comité de secours sont enfermés dans un coffre, saisi par la police .

Madame Carles, femme du Préfet, le gardera en sa possession ; le démantèlement, si redouté, du comité, est évité, ainsi que l’arrestation de plusieurs dizaines de personnes. (Madame Carles, née Thérèse Lang est de confession juive). Est-ce pour elle une façon de protéger son mari ? Celui -ci sera accusé à la Libération d’avoir envoyé à la mort des dizaines d’otages ; il sera condamné pour atteinte à la sûreté de I’Etat, en septembre 1944. Mort dans la nuit du 24 au 25 avril 1945, il se serait…suicidé !

La communauté protestante

La communauté de secours s’organise. Henri Nicq, pasteur protestant, fonde un foyer social, au 165 de la rue Pierre Legrand ; il crée aussi deux colonies pour enfants dans le Pas-de-Calais : l’une à Wimereux, l’autre à Sainte-Cécile. Il fait de la prévention contre l’alcoolisme et organise des visites médicales gratuites pour les indigents ; il est aidé pour cela par son fils, médecin et par sa belle-fille.

Le Pasteur, Henri Nicq

Le pasteur sympathise avec le prêtre Robert Stahl ; il compte également sur les directrices de la clinique Ambroise Paré, deux infirmières protestantes ; elles reçoivent des Juifs et aussi des aviateurs blessés au cours de combats aériens ; la clinique est une filière d’évasion…Henri Nick a aussi des contacts avec des maisons d’accueil à Trélon et à Saint-Jans-Cappel qui deviennent des abris pour des enfants juifs. La directrice du préventorium de Saint-Jans-Cappel, où sont traitées les maladies graves comme la tuberculose, héberge ces enfants.

« lls avaient toujours dans leurs poches des morceaux de betterave rouge ». A l’approche de gendarmes allemands, désireux de contrôler le préventorium, les enfants mâchonnaient la betterave, toussotaient et crachaient dans leur mouchoir un liquide rouge, du sang présentant ainsi tous les symptômes de la tuberculose … ! Un panneau, écrit en allemand, avertissait les curieux :« Entrée interdite, maladie contagieuse, danger » et les gendarmes quittaient vite les lieux !!

Un pasteur suisse dans le comité

Marcel Pasche, né en Suisse, s’installe à Lille en 1942 où il devient pasteur. Il fait connaissance d ‘un pasteur allemand, Friedrich Gunther, et d’un officier allemand, Carlo Schmid qui s’ occupe des affaires judiciaires au sein de l’OFK670 ; il est francophile et anti-nazi .

Marcel Pasche décide de fonder un secrétariat d ‘aide judiciaire auprès des tribunaux allemands avec un de ses amis, Gustave Leignel. Il estime que les familles des inculpés ont droit à une aide juridique et morale : « Les personnes qui désirent se faire assister d ‘ un avocat peuvent s’adresser à ce secrétariat ; les services sont entièrement gratuits. »

Le 26 août 44, Marcel Pasche apprend par Carlo Schmid que l’Autorité allemande a décidé d’organiser un dernier convoi pour évacuer les détenus de Loos, politiques ou gênants : date prévue, le 1er septembre : la Gestapo ne souhaite pas laisser de témoins de ses crimes. Marcel Pasche prévient Fred Huber, consul honoraire de Suisse à Lille. Les deux hommes envisagent de faire libérer un nombre maximum de détenus et si possible de stopper le train avant qu’il ne quitte la France. Pour cela, ils se rendent à la prison de Loos où de nombreux prisonniers de la région Nord-Pas-de-Calais ont été transférés. Ils parviendront à faire libérer tous les détenus condamnés à moins de trois mois de prison, soit plus de quatre-cents, hommes et femmes. Ils seront impuissants, pour la majorité des prisonniers emmenés en camions bâchés à Tourcoing et entassés dans des wagons à bestiaux ; ce convoi appelé depuis « Train de Loos » emporte entre huit-cent soixante-dix et neuf -cents hommes vers les camps de concentration. Deux-cent-quinze survivants seront rapatriés en 1945.

Le bombardement de la gare de Fives

Oscar Stulzaft, sauvé une première fois par les Cheminots de Fives, le 21 septembre 1942, est sauvé une deuxième fois après le bombardement de Fives du 8 novembre 1942. Ce jour-là, plusieurs tonnes de bombes sont larguées par des bombardiers américains ayant mission de détruire la gare de Fives ; les batteries anti-aériennes allemandes, placées sur le terrain de la foire commerciale ouvrent le tir. Le dépôt et la gare de Fives sont touchées ainsi que les habitations.

Oscar est caché chez Monsieur et Madame Devos, rue Chanzy, à Hellemmes ; toute la famille descend à I’abri ; le souffle des explosions ébranle la cave ; Oscar est enseveli sous les décombres (17 bombes sont tombées sur le quartier.) Pompiers, membres de la défense passive, voisins, fouillent les décombres ; la mère d ‘ Oscar, Hélène, qui vit cachée à Tourcoing, est venue se joindre aux recherches. Oscar est dégagé après quatre heures de travail, protégé par des casiers à bouteilles qui lui ont sauvé la vie, Oscar est blessé au visage et surtout aux yeux. Transféré à I’hôpital Saint-Sauveur, il y passe la nuit après avoir été opéré. La mère d’Oscar est inquiète : l’attitude de l’infirmière-chef est suspecte. Hélène appelle Marcel Hoffman qui comprend : « Elle va téléphoner aux boches, il faut filer ! » Caché sous un blouson, chaussé de pantoufles, l’enfant est habillée dans un café. Puis il part avec sa mère chez Madame Berthe à Tourcoing. Les pansements doivent être changés tous les jours ; les religieuses d’un couvent soignent les blessures du petit pendant trois semaines sans poser la moindre question.

Soixante-quatorze années plus tard

Le 11 septembre 2016, une manifestation est organisée par la mairie de Lille avec le concours de Grégory Célerse, historien local et Patrick Lecoutre, directeur de l’Observatoire de Lille. Cette cérémonie n’avait pas été annoncée, par peur d’une éventuelle tentative d’attentat. Pour la première fois, cinq enfants juifs sauvés en 1942 sont présents sur le site de la gare de Fives avec leurs familles venues d’Israël et du Canada. Leur porte-parole déclare : « Un enfant sauvé, c’est beaucoup plus qu’une vie ; regardez, me voici avec ces cinq enfants leurs enfants, leurs petits-enfants. »

Une plaque a été dévoilée en hommage aux cheminots. Il y a 74 ans jour pour jour, le 11 septembre 1942, ils avaient sauvé trente-quatre juifs, dont vingt-et-un enfants, de la déportation : une plaque, des héros enfin reconnus et célébrés. Ce dimanche, c’est une partie de l’histoire lilloise et française qui a retrouvé sa place. Celle de vingt-et-un cheminots qui ont risqués leur vie et celle de leur famille. Ce jour-là, les Nazis organisent la première grande rafle dans le Nord-Pas-de-Calais ; les victimes sont acheminées par camion à la gare de Fives, où un train pour Auschwitz les attend ; c’est en voyant ces camions arriver que les cheminots décident d’agir : ils arrivent à sauver 34 personnes en les interceptant sur le quai avant qu’ils ne montent dans le train ; parmi les enfants, Oscar Stulzaft : « C’était un cauchemar c’est gravé en nous et ça restera jusqu’à la fin de notre vie. Nous sommes très fiers d’avoir connu des gens aussi dévoués qui ont risqués leur vie pour nous sauver. » Sur la plaque commémorative, son nom côtoie celui de son sauveur Marcel Hoffman, dont la fille était présente à la cérémonie : « Je suis très fière et émue de me dire que cet homme est là grâce à mon père. »

Récit fait à Grégory Célerse lors de la cérémonie du 74e anniversaire de la rafle du 11 septembre 1942

Jacques Stulzaft (84 ans) se souvient :

Jacques Stulzaft et son petit-fils

« La Gestapo fait irruption chez ma mère ; une arme est mise sur la tempe : nous étions coupables de ne pas être conformes au modèle aryen. Les citoyens polonais ou apatrides, de confession juive, sont arrêtés dans la région, sous le commandement militaire de Bruxelles. Ma famille rejoint le site de l’ancienne gare de Fives, rue du Balcon : direction Auschwitz, la mort au bout du voyage. C’est sans compter sur le courage des 26 cheminots (chef de gare, interprètes, employés) qui, au péril de leur vie, organisent le sauvetage de 34 personnes juives dont de nombreux enfants. » Les larmes aux yeux Jacques se souvient de son ange gardien, Marcel Hoffman. « Nous avons lancé une demande de reconnaissance de sa condition de Juste. » Jacques Stulzaft, devenu chimiste, s’est intéressé à la médecine nucléaire et s’appuie aujourd’hui sur une belle famille.

Justes des Nations : Léonce et Edmée Baron

Le docteur Léonce Baron était réputé pour son diagnostic sûr ; sa clientèle, souvent modeste, était accueillie avec la même attention que les patients plus fortunés. Un peu brusque, il entendait être écouté et voulait que ses prescriptions soient suivies sous peine d’être invité à changer de praticien… Mais il pouvait aussi recevoir gratuitement les clients les plus démunis. Dès 1940, il entre en résistance, en lien avec le réseau de l’hôpital Saint-Sauveur. Il ne craint pas de cacher des enfants juifs. Arrêté à plusieurs reprises par la Feldgendarmerie, il est libéré peu de temps avant la Libération (a t’il bénéficié de l’intervention du consul de Suisse Fred Huber ?).

En 1991, Edmée et Léonce Baron seront nommés « Justes des Nations. »

Le Docteur Baron est resté notre médecin de famille jusqu’en 1968, date à laquelle Maman est venue habiter à Arras.

Bonus

Découvrez Thérèse – sur un autre sujet – avec cette vidéo :

Merci à Céline Averlan, pour son aide précieuse

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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