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Cette image résume la petite enfance de ma mère. Elle est le témoin d’un moment important dont elle aura ignoré l’existence pendant toute sa vie. Ses toutes premières années furent sans doute heureuses, avec des parents aimants, goûtant ce court instant entre la première Guerre mondiale qui fut une épreuve terrible et la mort prématurée de ma grand-mère, emportée par la tuberculose, à l’âge de 23 ans. Les derniers mois de sa vie, le médecin lui avait déconseillé de s’approcher du bébé. Ma mère n’a gardé aucun souvenir de ces instants et a toujours été persuadée que jamais, sa mère ne l’avait prise dans ses bras
Cette photo, ma mère ne l’a jamais vue et je ne l’ai découverte moi-même qu’il y a quelques mois. C’est un regret et même un immense remords ! Elle est restée une cinquantaine d’années, au fond d’un tiroir, avec beaucoup d’autres et c’est un peu le hasard si elle a été redécouverte.
L’enveloppe
Cette grande enveloppe de papier kraft, restée si longtemps fond d’un tiroir ne m’évoquait plus rien. C’était un emballage de papier photographique d’une autre époque. Il provenait d’un commerçant du faubourg du Temple, juste à côté de la maison natale de Roger. C’est d’ailleurs à cet endroit que Daguerre avait établi son atelier. En 1838, de sa fenêtre, il avait saisi une des premières photos du monde qui représentait ce boulevard. Cette image est universellement connue mais je pense que Roger n’était pas au courant et qu’il avait choisi ce magasin uniquement parce qu’il se situait en bas de chez lui.
La mémoire m’est soudain revenue à propos de cette pochette mystérieuse. A la fin des années 60, je me suis découvert une passion pour la photographie. J’avais accès à un très bon agrandisseur. C’est alors que ma mère m’a dit : « Je ne sais pas ce que c’est ! Vois ce que tu peux en faire !». J’ai acquiescé avec la réelle intention de donner suite… un jour prochain. Puis, j’ai rangé l’enveloppe et l’ai oubliée… Ma mère aussi ! Évidemment, avec le recul de ces années passées pendant lesquelles ma mère a disparu, j’ai honte ! Je suis certain qu’aucune des photos correspondant à ces négatifs n’existait dans la maison de Cormeilles. Je suppose que mes arrière-grands-parents, submergés par la douleur d’avoir perdu leur fille dans le plus jeune âge, si belle et si brillante, les avaient fait toutes disparaître. C’est peut-être Roger qui avait gardé les négatifs, à cause du photographe du bas de chez lui, ou bien ils avaient été oubliés dans un coin de la maison…
Ma mère, je ne l’imaginais pas du tout comme ça. Elle est plutôt « gironde » en petite fille, avec ses petites bottines à la mode parisienne et sa coupe de cheveux 1920. Elle est photographiée dans un coin de la cour, à côté d’une pompe qui remonte l’eau de la citerne remplie par les eaux pluviales. Dans mon enfance, ce décor était identique. Pour remplir le seau, il fallait amorcer cette pompe en mauvais état. Ce n’était pas un travail commode pour un jeune enfant. La petite fille regarde sa mère avec intérêt et même amour. Si ma mère avait pu voir cette photo qui lui aurait rendu un morceau de sa mémoire disparue, elle aurait sans doute ressenti une intense émotion.
C’est une de ces photos récurrentes de toute cette mémoire disparue. Elle a été prise devant un abri sous lequel mes arrière-grands-parents élevaient des poules et des lapins. Elle date probablement de 1920. On y voit ma mère et ma grand-mère partageant un moment de bonheur. Ma grand-mère regarde le photographe et ma mère quelqu’un d’autre qui la fait rire. La photo n’est pas mal composée et l’instant est assez bien choisi. C’est peut-être mon arrière-grand-père qui était le véritable propriétaire de l’appareil-photo ou bien alors mon grand-père qui aurait été dans un très bon jour… sait-on jamais !
On ne va pas se mentir il y a beaucoup de défauts dans ce cliché. J’aurais pu les cacher, en bricolant ici et là avec différents moyens. Mais j’ai préféré laisser tout cela tel-quel. J’avais totalement oublié que j’avais fait mes premières armes en photographie avec l’appareil de mon arrière-grand-père. Je crois que cela s’appelle « un lapsus révélateur ». En effet, sous mes doigts inexperts, cette merveille de la technologie du début du XXe siècle a rendu l’âme. C’était un Kodak N°1 avec un soufflet dans les rouges marrons en carton. C’était son point faible. Alors, mauvaise manipulation ou usure, en 1954, le soufflet commençait à prendre le jour. C’est sans doute une des dernières photos réalisées avec ce vieux Kodak. Par chance, les trois personnages, au centre, sont préservés. L’angle de prise de vue est la contre-plongée. Ce n’est pas un choix esthétique. C’est juste l’angle naturel d’un petit bonhomme de neuf ans.
À Paris, dans le troisième arrondissement
L’examen des photographies de l’enveloppe en papier m’a permis de donner un sens à cette photo. Elle était très abîmée et traînait dans un coin de la maison de Cormeilles. Il s’agit du portrait de mariage de mes arrière-grands-parents. Mon arrière-grand-père, Philibert Leroy, est né en 1863, tandis que son épouse, Eloïse Rozy était née en 1869. Ils se sont adressés à « Louis », 29, Boulevard Saint-Martin à Paris, face au théâtre de l’Ambigu. Ce photographe se trouvait pas très loin de l’école où, mon arrière-grand-père fera toute sa carrière d’enseignant. La publicité de la maison insistait sur la modicité des tarifs pratiqués. Malheureusement, le service s’en ressent. L’objectif de l’appareil-photo de « Louis », ne permet pas de produire des images très définies. Comme « Louis » a ouvert son atelier en 1886, on peut supposer que la photo a été prise à la toute fin des années 1880 au tout début des années 1890. Au moment de cette photo, mon arrière-grand-père, Philibert, doit être un tout jeune instituteur débutant, tandis que mon arrière-grand-mère, Eloïse, appartenait à une famille d’artisans qui, selon ce que ma mère m’a jadis raconté, aurait servi le Tsar de Russie avant de rentrer en France. Mes arrière-grands-parents étaient jeunes et beaux et sans le sou.
Le balcon de la rue Montgolfier
Mon arrière-grand-père, Philibert Leroy, a fait toute sa carrière, d’abord comme instituteur, puis, comme directeur de l’école des garçons, au 16 de la rue Montgolfier, dans le troisième arrondissement. L’école était toute proche d’établissements plus prestigieux tels que l’École Centrale de Paris et les Arts et Métiers. C’est d’ailleurs à cause de la proximité de cette dernière école qu’en 1810, on va donner à la rue le nom des frères Montgolfier. Aujourd’hui, dans ce bel immeuble rénové du XIXe siècle, les appartements coûtent un pognon de dingue, à l’achat ou à la location. Le tarif du mètre carré, dans cet immeuble de la rue, est actuellement de 13 000 €. L’appartement de mon arrière-grand-père coûterait actuellement plus d’un million d’euros. Désormais, aucun travailleur honnête ne peut plus se payer ce genre d’appartement. Mais à l’époque de mon arrière-grand-père, les étages supérieurs étaient réservés aux enseignants. J’ai ainsi pu m’apercevoir, grâce aux photos qui ont été prises sur le balcon, que mes arrière-grands-parents, bientôt rejoints par ma grand-mère, occupaient une partie du second étage. Ils y ont passé une bonne trentaine d’années. C’est étonnant, quand on y réfléchit. La IIIe République, pensait que de la qualité de l’enseignement dépendait le progrès de la nation : quelque chose en totale contradiction avec les théories à la mode et qui, aujourd’hui, semble totalement désuet et rétrograde ! J’ai étudié à fond, pour différentes raisons, la guerre de 1914 – 1918. Les Français auraient dû la perdre dix fois et pourtant ils ont fini par la gagner… à l’usure. En 1918, le peuple français et le peuple allemand étaient dans une détresse épouvantable. Le délitement de l’Allemagne dont la majorité des gens avaient perdu tout goût pour la guerre, a fait sans doute beaucoup plus pour l’issue du conflit que l’action déterminée des généraux français ou britanniques. Les Français étaient disciplinés, instruits, patriotes, prêts au sacrifice suprême. Leur courage et leur bravoure, à l’arrière comme au front, impressionnait l’Europe entière. Le général en chef Falkenhayn, qui commandait l’armée allemande à Verdun, devait écrire dans ses mémoires, en 1919, que « si les soldats français avaient été commandés par les généraux allemands, la guerre aurait été terminée dès le milieu de l’année 1916. » Pour moi, la France a gagné la guerre en grande partie à cause de la qualité de son enseignement. Les gouvernements d’avant-guerre qui, pour la plupart étaient « revanchards », avaient bien compris l’intérêt de motiver le corps enseignant. Mais, comme dit l’autre, « Ça, c’était avant ! ». Naturellement, je n’écrirais pas ça dans un livre car je me prendrais une volée de bois vert de la part des gens dont c’est le métier d’édicter l’histoire officielle.
Sur ce montage photographique, réalisé probablement à partir de deux images issues de la même pellicule, quelques années se sont passées depuis le jour du mariage. Quel âge ont Philibert et Eloïse ? 30 ans ? 35 ans ? Sommes-nous en 1900 ? Un peu avant ? Ou bien plus tard ? Ma grand-mère, Marcelle, née en 1894, fait probablement désormais partie de la famille même si elle ne figure pas sur la photographie. Mes arrière-grands-parents, coulent une vie heureuse dans leur appartement du deuxième étage avec vue imprenable sur la rue. Je pense que nous sommes encore assez loin de l’année 1910. Cette année-là, la rue Montgolfier a été recouverte d’un mètre d’eau à cause de la fameuse crue de la Seine. Mon arrière-grand-père devait être bien tranquille car il y a peu de chances que les élèves du quartier soient venus à l’école pendant cette période. D’un autre côté, sans gaz ni électricité, avec ce froid glacial, un ravitaillement au moyen de barques qui faisaient défaut en ce mois de janvier, la vie a dû être compliquée. Si mon arrière-grand-père avait eu la mauvaise mentalité de son arrière-petit-fils il aurait pu en profiter pour faire un reportage photographique exceptionnel, sans bouger de chez lui. Ce serait un témoignage précieux sur ce Paris du mois de janvier 1910. Peut-être l’a-t-il fait ? Mais ses négatifs ne me sont pas parvenus.
Le balcon du deuxième étage, n’a pas changé depuis le début du siècle, mais mes arrière-grands-parents commencent à prendre de l’âge. Mon arrière-grand-mère doit avoir la cinquantaine tandis que mon arrière-grand-père l’a sans doute allègrement dépassée. La retraite s’approche. Ce balcon parisien est vraiment pratique. On peut aussi se faire photographier en costume, ou en robe de chambre, sans que les voisins n’y trouvent à redire
Cette photo a été prise certainement quasi en même temps que la précédente. Les tenues vestimentaires très particulières de mes arrière-grands-parents (gilet d’un costume trois-pièces et robe de chambre), sont les mêmes que tout à l’heure. Un nouveau personnage manie désormais l’appareil de prise de vues. Il s’agit de ma grand-mère alors âgée d’une vingtaine d’années. Elle fait des études de peinture et de sculpture à l’école des Beaux-Arts de Paris. Cela l’aide sans doute pour composer sa photographie. Elle installe mon arrière-grand-mère au premier plan à cause de sa petite taille (dans mon enfance, on l’appelait « Mémère Petite ») et lui fait pencher la tête à gauche de telle sorte qu’elle ne masque pas son mari et son imposante barbe blanche
La traditionnelle photo du balcon, voit arriver deux nouveaux personnages : ma grand-mère qui n’apparaît pas dans les photos antérieures, sauf une fois, en communiante, mais la photo, très floue et surexposée, n’était guère présentable. Maintenant, c’est une grande jeune fille. Un nouvel arrivant vient de gagner l’honneur de figurer sur la traditionnelle photo du balcon. Il s’agit de mon grand-père, Roger Meyerfeld. Roger était né à deux pas de l’école, au 174 rue du Temple, en décembre 1894. Comme tous les gamins du quartier il a effectué sa scolarité primaire à l’école de la rue Montgolfier. Roger a été un élève de Philibert. Il a même été l’un de ses meilleurs élèves. Il était sans doute très motivé pour réussir à l’école car il avait repéré la fille du directeur qui était tout à fait à son goût. Roger était un charmeur né. Il a séduit à la fois son ancien directeur et sa fille, pour avoir l’honneur de figurer sur « la photo du balcon ». Nous sommes en 1916 et Roger est sur le front. Il est fantassin. Grièvement blessé, il a obtenu une permission à sa sortie de l’hôpital pour pouvoir se rétablir. Malgré tout il semble heureux et son visage n’est pas marqué par les horreurs qu’il a vécues au quotidien pendant plus de deux ans
La vie parisienne
Vraisemblablement ces deux photographies doivent dater de 1913, l’année d’avant, ou celle d’après. À cette époque, ma grand-mère, Marcelle Leroy est une élève studieuse et appliquée de l’école des Beaux-Arts de Paris. Philibert avait un penchant pour les arts. Selon ma mère, il jouait du violon, bien que je n’aie jamais vu la moindre trace de cet instrument à Cormeilles. Marcelle, jouait du piano. Il y avait matière à improviser de jolis concerts de musique de chambre, au 16 de la rue Montgolfier. L’histoire ne dit pas si leur musique était du goût des voisins. Mais comme Philibert était le directeur de l’école, je suppose qu’il aurait été malvenu pour ces instituteurs disciplinés, d’exprimer la moindre réprobation.
Ma grand-mère avait commencé à entreprendre une carrière d’artiste. Elle se débrouillait pas mal en peinture et encore mieux en sculpture. Ma mère, était la mémoire de toutes les familles qui lui étaient proches. Dès qu’un deuil survenait quelque part, j’étais envoyé en première ligne pour représenter la famille. Je bénéficiais d’un tarif SNCF réduit et, malgré mon jeune âge, j’étais très habile pour me déplacer en bus ou en métro. Je faisais merveille pour rallier dans les temps n’importe quel cimetière de Paris ou de sa banlieue. C’est ainsi que j’ai pu côtoyer des camarades de promotion des Beaux-Arts de ma grand-mère. Un très vieux monsieur, très élégant, lorsqu’il a appris que j’étais le petit-fils ma grand-mère a tenu absolument à ce que je lui sois présenté. « Quel dommage que votre grand-mère soit morte si jeune », m’a-t-il dit « c’était une artiste très prometteuse. » J’ai bien senti, à travers des petits détails imperceptibles que ce qu’il regrettait le plus ce n’était pas tant la perte pour l’art contemporain que représentait sa disparition que le fait qu’elle se soit entichée de cet employé de banque qui allait devenir mon grand-père.
À travers ces deux photographies, je comprends mieux ce qu’a tenté de m’expliquer ce vieux monsieur. Physiquement, ma grand-mère n’était pas trop mal et, en tant qu’artiste, elle avait un certain potentiel. Je suppose que c’est elle qui a réalisé la photo de gauche dans un atelier de l’école des Beaux-Arts de Paris. Elle a dû emprunter l’appareil folding de Philibert pour garder un souvenir de son travail. Il devrait s’agir du plâtre de premier plan, visiblement une copie de l’œuvre d’un autre sculpteur, qu’étant donnée mon inculture dans le domaine, je n’ai pas identifiée.
L’un des lieux privilégiés de dépaysement pour ces jeunes parisiens était la forêt de Fontainebleau. Paris-Fontainebleau, par le train, c’était pratique : une heure à partir de la Gare de Lyon. On atteignait une véritable forêt avec en plus, ses rochers, sans équivalent dans la région. Marcelle et Roger, mes grands-parents, sont accompagnés de Jeanne, une cousine (la fille de la sœur de l’arrière-grand-mère Rozy). Mon grand-père fait le clown ce qui est dans sa nature et excite beaucoup le chien. Malgré des personnages en mouvement, la photo est très bien composée, saisie au bon instant. Le photographe est le fiancé de Jeanne, Max Leverrier, qui comme ma grand-mère fait alors des études de sculpture. Max aurait mérité du meilleur matériel que l’antique moyen format de Philibert mais l’esprit de cette scène plus que centenaire est quand même bien traduit par cette photographie.
Ces deux photos n’ont pas été prises en même jour. À gauche, c’est toujours Max Leverrier qui a réalisé la photo de sa future femme et de mes grands-parents. En revanche, à droite, ce n’est pas lui parce qu’il figure sur la photo entre les deux cousines. Il faut se rendre à l’évidence, c’est mon grand-père qui est l’auteur de cette photographie fort bien composée. Qui a osé dire qu’il cadrait comme un cochon ?
La rue Montgolfier n’est pas mal située pour les balades dominicales. Pas loin, se trouvent les grands boulevards et les quais de la Seine. Je pense que ces deux photos qui ont été prises dans des instants très proches par Philibert, datent de l’hiver 1913-1914. Ce pourrait être l’hiver suivant dans Paris en guerre même s’il s’agit plutôt d’images de paix. Visiblement, il fait très froid. Les lourds manteaux à col de fourrure et les parapluies sont de sortie. Les parisiens restent calfeutrés, dans la moiteur de leurs appartements. Il n’y a pas un chat dans les rues, seulement un chien qui, dans la photo de gauche, s’est invité dans le cadre de Philibert !
Les sorties du dimanche ne sont pas simplement destinées à respirer le bon air. Elles peuvent aussi être l’occasion de découvrir le patrimoine. Philibert était probablement un ami de la culture. Il croyait, comme beaucoup d’autres à cette époque, que l’art et la science amèneraient un progrès à l’humanité et que le futur serait désirable. Cela prouve que même les meilleurs peuvent se tromper. Peut-être qu’à partir de 1914, ses convictions ont commencé à s’effriter. Je suppose que ces photos ont été prises pendant la guerre. Sinon, Roger, mon grand-père, rôderait sûrement dans le coin. Entre 1914 et 1918, il était sur le front. Les manteaux à col de fourrure ont disparu. Ils ont été remplacés par des robes blanches à manches courtes.
Mon arrière-grand-père Philibert a sorti le canotier ainsi qu’une canne qui lui donne de la prestance. Il n’est pas si vieux pour avoir des difficultés de locomotion mais, pendant la guerre, la canne est un accessoire à la mode. Bien sûr, elle était indispensable pour les blessés du front, mais même ceux qui couraient comme des lapins ne sortaient jamais sur leur canne. Cette mode se poursuivra bien des années après la guerre. C’est une manière d’afficher que l’on a offert quelque chose à la Nation. Apparemment, la contagion avait touché la génération de mon arrière-grand-père.
Les promenades du dimanche après-midi, pendant cette guerre épouvantable sont moins nombreuses. Fini les balades entre amis ! Les hommes sont au Front. C’est le cas de Roger qui va être éloigné de Paris pendant toute la guerre. Une exception toutefois, gravement blessé pendant l’année 1916, il obtient une permission de convalescence. C’est l’occasion pour lui de rejoindre Paris. Le voici, en uniforme qui sillonne la banlieue, en compagnie de sa future épouse. Pour un grand blessé, il a l’air en forme et le vélo ne lui fait pas peur ! On dirait qu’il y a un « jour » dans le soufflet de l’appareil photo de Philibert. J’étais persuadé avoir été la cause unique de la mort du vieux Kodak mais il est possible que, dès 1916, il donnait des signes de faiblesse et qu’il avait déjà été rafistolé.
La guerre
Roger appartenait à la classe 1914. C’était une très mauvaise pioche ! Le soldat Meyerfeld va se trouver en première ligne, pratiquement du début jusqu’à la fin de la guerre. On le sait grâce à son livret militaire. Il est conservé dans les archives de la Ville de Paris. On ne peut pas en dire autant de son acte de naissance qui est inconnu au bataillon !? Une anomalie coupable du service d’état civil ? Roger Meyerfeld va connaître beaucoup de batailles meurtrières. Il sera blessé plusieurs fois et même gazé. Il sortira du conflit dans un très mauvais état de santé, mais vivant ! C’était un très rare privilège à l’époque de cette guerre industrielle.
Pour être honnête, cette photo et celle qui va suivre ne font pas partie de celles contenues dans l’enveloppe de papier kraft. De ces quatre ans de guerre, Roger n’aura gardé seulement que ces deux photographies. On est en 1915 ou en 1916 dans une caserne de l’arrière du front. Roger est instructeur sur cet engin qui ressemble à une mitrailleuse. C’est le modèle le plus répandu dans l’armée française : la Hotchkiss, modèle 1914. La France commence à en fabriquer quelques-unes contrairement aux années précédentes où cette arme était quasiment absente : 2300 exemplaires en 1915 et 9350 exemplaires en 1916. L’armée française était très en retard dans ce domaine par rapport à son homologue allemande. L’état-major ne croyait pas dans la vertu de la mitrailleuse qui pourtant, au cours de la guerre, permettra de tuer des millions de gens, notamment les soldats alliés. Cette mitrailleuse Hotchkiss n’était pas vraiment la panacée, avec son alimentation par bande rigide en laiton et son refroidissement par air. Sa seule qualité était la maniabilité. Elle correspondait aux idées de l’état-major français de l’époque qui refusait la stratégie défensive pour privilégier l’offensive, ce qui vaudra la mort à des centaines de milliers de camarades de Roger.
Si les photos ramenées de la guerre, sont rares, c’est peut-être que le front, pour un tas de raisons, n’était pas le meilleur endroit pour pratiquer la photographie. Ici, en Bretagne, loin de la bataille, on est à l’abri. La qualité technique du cliché me fait penser que ce n’est pas le travail d’un soldat qui se trouvait là, mais d’un professionnel : peut-être le photographe de l’armée ? Ou un représentant de la presse autorisé à produire des images démontrant le haut degré de préparation de l’infanterie française ?
L’endroit n’est pas synonyme de la bravoure du militaire, mais se trouver à proximité de la cantine est un avantage important. Le caporal-chef ne risque pas de mourir de faim. Il est évident que ses rapports avec le cantinier, sont les plus cordiaux. Cela ne le prémunit pas, bien entendu, de mourir d’une autre manière. D’ailleurs, il est blessé à deux reprises, en 1915 et en 1916, ce qui lui vaudra ce commentaire élogieux de la part de son commandant : « Excellent gradé, courageux et dévoué, blessé deux fois au cours de la campagne ». Mais cette flatteuse évaluation n’est pas le synonyme d’une promotion. Roger restera pendant toute la guerre simple caporal-chef.
La chose étonne le capitaine Meyerfeld (peut-être son frère Marcel ? ; peut-être un autre parent ?) qui est officier de l’Armée du Midi, en poste à Tunis. Il lui écrit : « Je suis étonné que tu ne puisses pas passer sergent. Crois-tu que si j’écrivais au commandant de ta compagnie cela aurait un quelconque résultat ? » Plus loin il ajoute : « Cela me semble extraordinaire que dans ce régiment où tu as fait tes preuves, tu en sois resté « aux galons rouges » (pour ceux qui n’ont pas fait l’Armée : les galons blancs commencent à partir du grade de sergent). C’est en effet très curieux, mais le capitaine Meyerfeld aurait pu se montrer plus perspicace. Le grand-père de Roger, Kallmann Meyerfeld , était né à Darmstadt, près de Francfort dans la région de la Hesse. Il avait émigré en France aux alentours de 1840. L’affaire Dreyfus n’était pas loin. Avec un nom comme le sien et un grand-père allemand, Roger ne cochait pas toutes les bonnes cases pour espérer une promotion.
Cormeilles
Cormeilles est un petit village de l’Oise picarde du canton de Crèvecœur-le-Grand,. L’autre bourgade du coin s’appelle Breteuil-sur-Noye. Ces deux communes devaient compter chacune, environ 3000 habitants en 1918. Quant à Cormeilles… à peine 250. ! Déménager du IIIe arrondissement de la ville de Paris vers ce petit village perdu était un véritable dépaysement. Malgré toute une carrière passée dans un logement de fonction, les économies d’un directeur d’école étaient tout juste suffisantes pour acquérir un logement très modeste. Dans cet endroit à l’écart de tout, le prix des maisons : c’était pour rien ! L’autre raison de ce choix radical était la tuberculose de ma grand-mère. Les médecins, dépourvus à cette époque de médicaments efficaces, tablaient pour la guérison de leurs malades sur le bon air de la mer, de la montagne ou de la campagne. Question « air pur » », le Cormeilles de 1918 – 1919, était bien placé.
Enfin, le frère de mon arrière-grand-père avait établi au village un important commerce de vins en gros. Il y avait acquis une ancienne ferme avec des caves imposantes et, à cette époque, dans le village proche de Fontaine-Bonneleau – un drôle de nom pour y faire transiter du vin-, il y avait une gare de marchandises. Ainsi y parvenaient facilement les vins de toutes les régions de France qui n’étaient pas occupées..
J’ignore la date exacte du grand déménagement entre la rue Montgolfier et la rue Neuve de Cormeilles. C’était en 1918 ou en 1919. Début 18, une telle équipée aurait relevé de l’inconscience ! Lors de la grande offensive du printemps, les troupes du Kaiser avaient presque atteint Amiens, autant dire à deux pas de Cormeilles ! Il y avait pas mal de troupes, françaises et anglaises qui stationnaient dans ces communes proches du front. Dans le village voisin du Crocq, mon autre grand-mère, Blanche, dont le mari était au front, hébergeait des soldats anglais. L’un d’entre eux, qui avait un bon coup de crayon, avait dessiné son chien. Ce portrait a accompagné toute la vie de ma grand-mère. Les premières victoires des alliés dans la région d’Amiens qui ont marqué le recul de l’armée allemande datent du mois d’août 1918. Alors, le déménagement a-t-il eu lieu l’hiver 18 ou au printemps 19 ? Nul ne saura jamais. En tout cas, en 1919, Roger et Marcelle se marient à Cormeilles. La plupart des invités de la noce avaient fait le voyage depuis Paris. Il y a sans doute eu des photos de l’événement mais je n’en ai retrouvé aucune.
Cormeilles-en-Parisis
La commune de Cormeilles-en-Parisis existe. Comme son nom l’indique elle n’est pas très éloignée de Paris. Elle est beaucoup plus importante et renommée que celle du canton de Crèvecœur-le-Grand. Le Cormeilles où ont emménagé mes arrière-grands-parents et leur fille est généralement appelé Cormeilles-en-Beauvaisis parce que la ville de Beauvais, le chef-lieu de département le plus proche, est distante d’un peu plus de 20 km. Ce Cormeilles de l’Oise picarde devient dans les années 1919 – 1923 une annexe du Paris de mes grands-parents, Marcelle et Roger, Au moment de son mariage, en 1919, Roger est identifié comme directeur d’agence bancaire. Si ma grand-mère a besoin du bon air pour avoir une chance de survivre, Roger doit aller travailler à Paris la semaine et ne rejoint sa femme et sa fille que le week-end : un tout petit bout du Paris d’avant se reconstitue à Cormeilles.
Je ne sais pas à quel moment Roger a abandonné le train pour venir à Cormeilles au volant de sa puissante automobile. La voiture est devenue une passion que, tant que cela lui a été possible, il a cultivée à travers des modèles puissants et tape-à-l’œil. Je pense que cette photographie date de 1922. Je crois reconnaître l’endroit où elle a été prise. Ce devrait être une maison voisine de celle du négoce de vin. D’ailleurs, la dame avec une robe blanche est la copie conforme de ma cousine Marie-Thérèse que j’ai bien connue. Je pense que c’est sa mère tandis que la dame de droite devrait être sa grand-mère. On reconnaît aussi Marcelle, Roger, leur fille Jacqueline (sur la gauche) et en arrière-plan, Philibert. Roger est habillé en banquier, costume trois pièces très serré, et commence à payer la nourriture trop riche du restaurant. C’est encore une image du bonheur
Avec sa puissante automobile, Roger devait faire des envieux à Cormeilles. Le voici qui pose au milieu de la famille de ses beaux-parents au grand complet. Les Leroy – qui pourtant n’étaient pas des pauvres – ont un moyen de locomotion beaucoup moins prestigieux que celui du parisien : une carriole traînée par un âne. On trouve les mêmes acteurs que la photo de l’automobile : mes arrière-grands-parents, mes grands-parents, ma mère, et les autres sont des membres de la famille Leroy à laquelle appartient mon arrière-grand-père. L’aïeule du premier plan doit être née aux environs de 1830, ce qui intime le respect.
L’automobile de Roger était un atout pour que quelques parisiens puissent venir passer un week-end à Cormeilles. Ainsi sur cette photographie qui est prise presque en même temps que celle qui ouvre l’article, sur la route qui mène à Breteuil, on voit les mêmes acteurs que ceux des photos de Fontainebleau : Jeanne, la cousine de ma grand-mère, Max, qui à ce moment-là est peut-être déjà son mari et une nouvelle venue, Jacqueline, ma mère. Pour réaliser cette photographie, Roger a donné libre cours à son tempérament en faisant prendre à ses modèles des positions improbables. C’est une image qui s’éloigne des standards de la prise de vue du début du siècle. Cette vieille photo qui date de 1920 ou 1921, ressemble plutôt aux selfies des jeunes d’aujourd’hui obsédés par Facebook, WhatsApp ou Instagram.
La vie à la campagne
Cormeilles est très différent du troisième arrondissement. On peut s’y balader à vélo, sur des routes où il ne passe presque personne. Contrairement au plateau picard qui l’entoure, le paysage de ce petit bout de l’Oise est très varié. Le jardin de la maison, avec ses fleurs et son air pur est aussi une attraction : un lieu vraiment différent de celui d’un appartement parisien.
À la sortie du village de Cormeilles, en direction Breteuil on descend une côte et, presque immédiatement, on doit en remonter une nouvelle. Le ou la photographe se tient exactement à cet endroit. Breteuil est une petite ville située à 7 km. Elle possède tous les commerces utiles tels que le boulanger, le boucher, l’épicier, le marchand de fruits et légumes etc. c’est un lieu indispensable pour garantir une certaine qualité de vie dans ce petit village.
Dans le jardin, il y a des fleurs à profusion. Philibert a fait construire une petite cabane en bois qui permet de s’abriter de la pluie et de se protéger du soleil. Dans mon enfance, cet abri avait disparu.
Philibert et Marcelle reçoivent un invité qui en profite pour lire le journal. Il s’agit probablement du frère de Philibert qui habite Cormeilles déjà depuis plusieurs années. Il a ouvert, pas très loin, Grand-Rue, un commerce de vin. En tout cas, la ressemblance physique est frappante.
C’est une autre forme de vie si qui s’organise dans cette campagne picarde. On rencontre des personnes très différentes de celles de la ville et dont, probablement, on ne soupçonnait pas l’existence du temps de la rue Montgolfier. L’un est chasseur et peut amener de temps en temps du gibier, un autre peut donner un coup de main dans le jardin. Philibert n’hésite pas à mettre lui-même la main à la pâte, à bêcher ou à couper du bois. C’est une vie très différente de celle de Paris qui prend forme, probablement est-elle heureuse jusqu’au décès de ma grand-mère. Ces Cormeillois n’ont rien de commun avec Marcelle et Roger. Malgré tout, le croisement de ces deux mondes, se passe dans la plus grande harmonie.
Les week-ends de Marcelle et Roger
Les week-ends, à Cormeilles, sont l’occasion pour le jeune couple de découvrir un nouvel environnement. Il y a les rues du village, calmes et singulières, la campagne environnante, les bois et même les balades à vélo jusqu’à Breteuil.
Nous sommes presque au bout de la rue Neuve, où se trouve la nouvelle maison. « Neuve », est un bien grand mot parce que les bâtisses qui la bordent sont plutôt délabrées. Quand on tourne à gauche, on revient à l’intérieur du village par la rue du Sac ; à droite, on rejoint le Crocq, la commune la plus proche et on atteint ce que ma grand-mère paternelle qui habitait cette commune appelait le « Chemin de ville », un sentier qui fait le tour des jardins. Si on va tout droit, on rejoint la route de Breteuil-sur-Noye par un raccourci, un « chemin de terre », comme on disait du temps de mon enfance, un sentier, seulement praticable à pied ou à cheval. À l’époque où j’étais petit, il y avait encore une foule de ces « chemins de terre » qui permettaient de gagner un temps précieux de village à village. Aujourd’hui, la plupart ont disparu, annexés par les propriétaires des parcelles riveraines qui ont ainsi agrandi leurs surfaces cultivables. Cette image est assez caractéristique du travail photographique de mon grand-père : un petit personnage dans un grand décor ! L’intérêt de ce choix, pour nous, c’est de retrouver ces paysages du début des années 1920, aujourd’hui disparus.
Roger et Marcelle, dans la même promenade, se sont arrêtés près de la mare du Fort. Au XIXe siècle – probablement aux alentours de 1880 – il y avait à cet endroit une petite installation militaire fortifiée. Du temps de mon enfance il y avait encore des souterrains. Ils étaient très amusants à explorer mais très déconseillés par les parents. Il existait à Cormeilles beaucoup d’autres mares réparties tout le long des rues du village. Elles permettaient aux animaux de s’abreuver, voire l’été, aux enfants de se rafraîchir. Cette mare du Fort est située le long de la route qui mène à Fontaine-Bonnneleau. Cette commune possède une source qui alimente la rivière la Celle et non pas la Selle comme la désignent aujourd’hui quelques « bourrins » que leurs concitoyens ont élus dans différentes assemblées. Mais Fontaine-Bonnneleau, c’est loin ! Un objectif raisonnable serait la Chapelle du Planton, située environ 1 km à partir de cette mare. La photo de Roger est assez bien composée. J’ai choisi celle-ci parmi toute une série.
Près de cette Chapelle du Planton, il y a un joli petit bois, ce qui veut pas dire que cette photo a été prise à cet endroit précis, puisque des zones boisées il y en a tout autour du village de Cormeilles. Roger s’est appliqué pour réaliser sa photographie.
Ici, Roger s’est surpassé ! L’angle de prise de vue, très bas, demande un effort de la part du photographe. C’est une photo assez technique, tout à fait bien réalisée. Cela ressemble au travail d’un professionnel ! J’ai même quelques doutes quant à l’identité du photographe mais peut-être que Roger était particulièrement inspiré, ce matin-là.
J’ai une idée précise de l’endroit où a été prise cette photo parce que les talus de ce genre il n’y en a pas beaucoup à Cormeilles. Je pense que cette image a été réalisée en septembre 1920, dans un champ fraîchement moissonné du côté de la route de Breteuil. On pourrait chipoter sur la place du personnage par rapport au cadre de la photo mais, ce n’est pas trop mal réalisé. L’expression du modèle est bonne. On peut savoir que le photographe portait un chapeau à cause de son ombre. Pour moi c’est plutôt une photo émouvante qui indique le type de relation qu’avaient mes grands-parents.
Quand Marcelle et Roger ont trouvé un bon endroit qui se prête à la photographie, ils se photographient mutuellement. Ici, il s’agit d’une meule sur le modèle de celles du temps jadis. Cela n’a rien à voir avec la rue Montgolfier et doit sembler un objet bien étrange à ces parisiens. Avant de rentrer la paille, on l’entassait dans une forme ronde avec, sur le sommet, des bottes bien serrées faisant office de toit, pour protéger la paille de la pluie. C’était un usage ancestral, rustique, qui pouvait se traduire parfois par des problèmes de pourrissement. Il a été progressivement abandonné dans la première moitié du XXe siècle.
Je serais surpris qu’il n’ait pas existé le pendant de cette photographie avec Marcelle devant le même arbre mort. Cet arbre, détruit par la foudre ou par la maladie, était sans doute un élément singulier du paysage. Bien que l’on soit à la saison fraîche – il n’y a plus une seule feuille sur les arbres – Roger n’hésite pas à se balader dans son élégant costume parisien. Il prend la posture du chasseur de fauves devant un lion mort.
En observant l’image négative je me suis demandé ce que pouvait bien être cette photo bizarre, avec un arbre au milieu. En l’inversant, j’ai pu voir que, juste devant l’arbre, trouvait ma grand-mère. C’est une photo d’hiver d’arbres dénudés, plutôt graphiques, avec du gui, une plante que les parents, allaient décrocher pour décorer la maison au moment de Noël. Un photographe normal ne concentrerait jamais tous les éléments de sa photo en un seul lieu, comme l’a fait mon grand-père. Mais Roger qui, toute la semaine, alignait des chiffres n’avait guère eu le temps d’étudier la photographie. Il la réinventait allègrement le week-end de manière très originale. Roger, a créé un mode de composition hypersymétrique dont il a peut-être déposé les droits. En même temps, quand on est son petit-fils, ces choix atypiques sont assez émouvants.
Je connais très bien l’endroit où a été prise cette photographie. Nous sommes sur le chemin qui mène de Cormeilles à Breteuil-sur-Noye, à la sortie d’un bois que longe une route qui va de la commune d’Hardivillers à celle de Blancfossé. À la sortie de Cormeilles, on gravit d’abord une côte et on se retrouve pendant quelques kilomètres cheminant sur le plateau picard. À la sortie du bois, on replonge à nouveau dans une grande descente qui ne se termine qu’à Breteuil. Roger s’est campé au tout début de cette côte et a sans doute donné comme consigne à ma grand-mère de commencer à la descendre pour qu’il puisse prendre sa fameuse « photo en mouvement ». Il a disposé du mieux qu’il a pu le chemin à l’intérieur de son cadre et a attendu que son sujet – ma grand-mère à bicyclette – soit au bon endroit pour déclencher l’obturateur. Je suis sûr qu’obstiné, il a dû lui faire recommencer plusieurs fois l’opération. Elle a dû remonter un bout de la côte, redescendre, faire des efforts, sans doute pénibles pour quelqu’un atteint de la tuberculose et ainsi de suite. En même temps, il y avait beaucoup d’affection dans la démarche mon grand-père. Il voulait absolument avoir une belle photo de sa femme à vélo. J’aurais aimé lui crier. « Arrête Roger, tu ne peux pas faire comme ça ! Tu vas toujours avoir le dixième de seconde de retard qui va faire sortir ton sujet du cadre ». Mais même s’il avait pu m’entendre, je pense qu’il n’aurait tenu aucun compte de cet avis, tout à son idée ! Têtu, il tenait à son image. Quand, cent ans plus tard, je découvre les efforts de mon grand-père pour maîtriser la prise de vue et photographier sa femme, je suis un peu amusé mais en même temps, je suis ému.
La photo, le souvenir d’un bon moment commun
À chaque retour du « Parisien », s’ouvre un nouveau moment de bonheur partagé. Le vieil appareil photo de Philibert est convoqué pour être le témoin de ces instants privilégiés… rares et précieux. J’imagine, que le vieil appareil à soufflet change de main et que le dimanche soir, Roger met une ou deux pellicules dans sa poche – qui comportent chacune huit vues – pour faire les développer à Paris. Il est possible que Roger s’adresse au photographe du Faubourg du Temple qui est proche de son appartement. Quand, le week-end suivant, il ramène sa précieuse et exotique moisson dans ce village perdu, il est attendu comme le Messie pour une nouvelle séance familiale pleine de surprises et d’émerveillement, devant cette invention si moderne qu’est la photographie.
Il n’y avait pas un grand chemin à faire pour prendre cette photographie : il suffisait de sortir de la maison. C’est le début de la promenade. Vraisemblablement, nous sommes en été. Le parapluie sert à protéger du soleil : une déclinaison campagnarde de l’ombrelle parisienne. La rue Neuve aux alentours de 1920, est très calme. Aujourd’hui elle n’a pas tant que ça changé mais tout est différent.
Le parapluie: unoutil bien pertinent pour protéger du soleil. Le photographe est trahi par l’ombre de son chapeau. C’est Roger !
Certains lieux de la maison sont les décors de la séance de photo dominicale. Roger, en costumé en chapeau est prêt à enfourcher son vélo. C’est un détail très intéressant pour celui qui connaît la maison de Cormeilles. Les départs des promenades à bicyclette se faisaient par le petit chemin de terre qui longeait le jardin.
Quasiment au même endroit, Roger pose sur le transat : un accessoire sur lequel nous reviendrons. Je pense que nous sommes juste après la guerre. Ce qui me frappe en examinant cette image, c’est que Roger semble très jeune… presque un adolescent ! Pourtant, il vient de traverser quatre années épouvantables pendant lesquelles il a vu des centaines de morts, a été plus blessé plusieurs fois, perdu la vue pendant plus d’un mois à cause des gaz de combat. On a l’impression que les épreuves n’ont pas eues de prise sur lui et qu’il en ressort immaculé. Pour moi, qui connaît la suite de l’histoire, c’est une photo très étonnante ! Comme d’habitude, ma grand-mère a très bien composé l’image et a saisi l’instant magique où le modèle se révèle.
Roger, à l’instar des peintres, s’est essayé à exploiter un thème champêtre : l’arrosoir. À la campagne, dans un jardin, c’est un outil indispensable. Ici, dans le jardin, à Cormeilles, son usage est exercice plutôt sportif parce qu’il faut le remplir à la pompe que nous avons vue tout à l’heure et qui est située de l’autre côté de la maison. Dans ces deux photographies, ma grand-mère a pris la pose en adoptant les postures suggérées par le photographe. Pour un Parisien, un arrosoir, c’est presque un instrument magique.
Dans cette maison de Cormeilles, on pratique volontiers le portrait en pied. Il faut d’abord choisir un décor, plutôt neutre. Puis on y place le personnage de telle sorte qu’on puisse le voir en entier. Choisir aussi une belle lumière et préférer un jour où l’on porte un beau costume ou une belle robe : chaque changement de tenue vaut une nouvelle photographie. On remarquera que sur ces deux photos, le sujet est traité en « faux trois quart », c’est-à-dire que le corps se présente en véritable « trois quart » mais que le visage se tourne vers l’objectif de telle sorte à se présenter de face, ou peu s’en faut. C’est un vieux procédé de portraitiste aussi bien en peinture qu’en photographie. Aujourd’hui, avec le smartphone, ces détails sont devenus totalement désuets. Le rendu est celui d’un corps plutôt massif ! Mais c’est une convention comme une autre. Le portrait pleine face est devenu une esthétique. Je suppose que ce n’est pas Roger qui avait connaissance de vieilles ficelles comme celles-là et que c’était plutôt Marcelle, ex-élève des Beaux-Arts qui dirigeait la mise en scène.
Le décor choisi est une fenêtre qui donne sur le jardin. Roger a fait déplacer son modèle, un coup à droite, un coup à gauche, et la troisième au milieu assis sur le rebord de la fenêtre. De cette manière, on augmente les chances de réaliser une bonne photographie.
Puis c’est le tour de Roger. Avec ce genre de film de type « 120 » et de format 6×9, on peut réaliser huit vues par pellicules. La photo de la fenêtre a dû prendre une pellicule complète.
Marcelle
La grande vedette des séances-photo c’est surtout Marcelle . Qui est le photographe ? Philibert ? Roger ? Les deux probablement ? En tout cas le sujet les a inspirés.
Jacqueline
La nouvelle vedette des années 1919-1922, c’est devenu Jacqueline, la fille de Marcel et de Roger, c’est-à-dire ma mère.
L’époque, où ma mère a pu bénéficier de l’affection de ses deux parents est une période qui s’est totalement effacée dans la mémoire de ma mère. Pourtant, elle était la reine de la famille et la fierté de ses parents. Elle ne l’a jamais su. Elle ne le saura jamais !
Le vieil appareil de photo, a été le témoin de cette petite fille qui grandissait dans la joie, épargnée par le sentiment de tragédie dans cette époque sans antibiotiques. Jacqueline est une petite fille joyeuse. Sa mère, coquette et très parisienne prenait soin de l’habiller suivant la dernière mode. Ces photos sont les témoins d’une époque d’un tout petit moment de bonheur, arraché à la vie.
La chaise-longue
La chaise longue qui trônait sous l’abri du jardin est tirée parfois au soleil pour profiter du beau temps. Elle a été le témoin silencieux de cette époque d’après-guerre. Elle débute, en 1919, avec le déménagement de mes arrière-grands-parents dans l’Oise et se termine en 1923, avec le décès de ma grand-mère Elle avait fini par être, rattrapée par la tuberculose, contre laquelle elle aura pourtant lutté autant qu’elle a pu. C’est une époque à la fois heureuse et douloureuse. En 1919, elle est très heureuse avec le mariage de Marcel et de Roger bientôt suivi de la naissance de leur fille Jacqueline. Mais au fur et à mesure que les mois passent, l’horizon s’assombrit, tandis que la maladie progresse, marquant de plus en plus le visage de ma grand-mère. Les moments de vie acceptable se font plus rares, de plus en plus courts. Dans les dernières photos, on sent cette angoisse qui s’empare des habitants de la rue Neuve devant l’imminence d’une catastrophe annoncée.
A cet instant, il y encore un peu d’espoir. Certes, la plupart des malades de la tuberculose finissent par décéder, mais il y a aussi parfois des rémissions à l’issue d’une longue lutte entre le bacille et les défenses immunitaires du patient. Cela n’arrive que lorsque l’on vit dans un environnement où l’air est particulièrement pur. Ainsi, à la mer et à la montagne se sont construits nombre de sanatoriums. Il est admis que l’air de la campagne aussi, peut se révéler bénéfique. En 1919, la chaise longue est un accessoire anodin. C’est un siège très confortable sur lequel on peut s’étendre, régler l’inclinaison du dos. Roger, malgré quatre ans de guerre, est en pleine forme. Il lit « La Vie Parisienne » un vieux journal fondé dans les années 1860. « La Vie Parisienne » à Cormeilles, 250 habitants, cela s’imposait !
Marcelle aussi lit « La Vie Parisienne ». Je pense qu’elle est enceinte et qu’elle attend le bébé. Elle prend une position très confortable et conforme avec sa grossesse. Peut-être lui a-t-on conseillé de rester tranquille et de ne pas se fatiguer.
Nous sommes plus loin dans la saison. Ma grand-mère a sorti son manteau de laine avec le col en fourrure. Roger n’est pas frileux : il a gardé son costume de banquier, du bureau. Ma grand-mère est heureuse de voir son mari rentrer pour la rejoindre. Lui, au visage si lisse, a dans le regard une sorte d’inquiétude : il est heureux mais en même temps ne paraît pas sûr du lendemain. Cette photo était quasiment la seule photo de mes grands-parents qui existait dans la maison de Cormeilles. Ma mère m’en avait fait faire un agrandissement. Il est resté dans sa chambre jusqu’à la fin de sa vie.
La chaise longue devient une aide de plus en plus indispensable pour ma grand-mère. Au fur et à mesure que ses forces s’amenuisent, elle a besoin de périodes de sommeil ou de récupération et sur ce transat. On reste au milieu des autres, c’est mieux qu’un lit. C’est une manière d’affirmer que l’on est toujours vivant.
Mon grand-père et ma grand-mère s’échangeaient de longues lettres tout au long de la semaine. Après le décès, de Roger, au début des années 1960, ma mère a fini par réunir toute cette correspondance dans une boîte en carton. J’en ai hérité. J’ai jeté un œil, ici ou là, pour voir de quoi il s’agissait. Mais je ne veux pas lire cette ces lettres dans les détails. Elles ne me sont pas destinées. Leur lecture ne me ferait pas de bien. Ce sont des mots d’amour et de réconfort. Au fur et à mesure que la maladie avance, ma grand-mère raconte les quintes de toux, sa douleur, sa faiblesse, son angoisse… le sommeil qui efface tout pendant quelques instants. À la fin, Marcelle n’avait plus la force de tenir la plume et c’est mon arrière-grand-père qui écrivait à Roger. Il lui racontait les détails de la journée qui venait de s’écouler, les raisons pour laquelle ce n’est pas Marcelle qui avait écrit. Ces quelques années d’après-guerre, évoquées par ses négatifs de l’enveloppe de papier kraft, c’est juste le temps d’une tragédie.
Mes arrière-grands-parents ne se sont jamais remis de la perte de leur fille unique, si douée et si belle. Enfant, j’ai toujours senti chez ma mère une forme d’angoisse et de tristesse qui venait de ces années-là. L’histoire de ma famille, durant cette période, est poignante. Je l’ai ressenti dès mon plus jeune âge, comme une sorte d’injustice, de rendez-vous raté, qui m’a pourtant permis d’exister.
L’enfance de ma mère.
À partir du décès de ma grand-mère, Roger va rester travailler à Paris, il va connaître d’autres femmes. Il ne deviendra que plus rarement à Cormeilles. Ce sont mes grands-parents qui vont élever Jacqueline.
Tant bien que mal, la vie continue. Ma mère est élevée par ses grands-parents. Avec un grand-père instituteur, tout n’était pas perdu. Sa grand-mère, Rozy, aimait beaucoup l’opéra. Elle a dû lui apprendre les grands airs du répertoire – du moins je le suppose car, vingt ans plus tard, elle l’a fait avec moi – . Jacqueline a reçu une éducation du XIXe siècle, un peu déphasée à la fois par rapport à l’époque et au village. Ma mère, dans ce Cormeilles de l’Oise picarde était une enfant immmigrée. Elle était trop parisienne pour être facilement acceptée par tous les gens du coin (c’était en tout cas le cas de ma grand-mère paternelle qui n’appréciait pas beaucoup ma mère). Elle était trop campagnarde pour que lors de ses rares incursions à Paris elle puisse être tolérée par la famille de Roger. Sa mère comparait Jacqueline à une « petite dinde ». Elle aurait pu en concevoir une certaine acrimonie mais, en toutes circonstances, ma mère était toujours prête à excuser les choses les plus inexcusables. C’était une sorte de mécanisme de défense.
Peut-être est-ce mieux ainsi parce qu’on ne change pas les gens et le mieux est sans doute d’essayer de les regarder sous l’angle où ils sont le plus présentables. Malgré tout, ses grands-parents lui auront transmis les valeurs de fraternité, de bienveillance et de liberté, dont j’espère avoir pu hériter en partie pour mener à bien ma propre vie.
Roger, vient moins souvent à Cormeilles pour voir sa fille. Il s’est acheté une automobile qui fait beaucoup d’effet. Je pense qu’il s’agit d’un modèle Citroën « Trèfle » de 1920. Le moteur fait à peine un litre et l’automobile, à toute vitesse atteint tout juste les 60 kilomètres à l’heure : pas de quoi pousser de grands cris ! Mais la bagnole fait certainement beaucoup d’effet à la population de ce village qui n’a pas tous les jours l’occasion de voir une « décapotable ». Roger était assez frimeur et il ne lésinait pas lorsqu’il s’agissait d’acheter une voiture. Entre les deux guerres il en aura eu beaucoup, plus impressionnantes les unes que les autres, et ce sera pareil pour les femmes qui désormais vont accompagner sa vie.
Roger a changé de décapotable. Désormais il en possède une beaucoup plus chère et beaucoup plus puissante. Il a abandonné la Banque pour monter sa propre affaire. Ces années de l’entre-deux-guerres seront florissantes pour lui. Il a aussi une nouvelle compagne. Elle aime beaucoup son petit chien, mais elle n’aime pas ma mère. On aurait pu concevoir que la fille puisse vivre avec son père, à Paris. Ç’aurait été, une vie très différente de celle de Cormeilles. Mais sa nouvelle compagne de Roger ne l’entendait pas de cette oreille. Elle avait plein de de mots dévalorisants pour empêcher que cette enfant ne vienne troubler sa vie mondaine.
Mon arrière-grand-mère, Rozy, est sans doute très fière de se faire photographier dans un si puissant équipage. Elle, dont l’enfance a été bercée par les fiacres, doit être émerveillée par ce progrès de la science et de l’industrie qu’est l’automobile. À l’avant, on a fait une petite place pour ma mère, à côté du petit chien.
Ma Mère attendait toujours avec une impatience fiévreuse la venue de son père, une sorte de rite de la petite enfance. À mon époque, Roger venait parfois au moment de Noël. Ses apparitions étaient comptées, de plus en plus rares, au fur et à mesure que les années s’écoulaient. Après la deuxième guerre mondiale, Roger a commencé à être rattrapé par son exposition aux gaz de combat de l’armée allemande, dans les tranchées. Il voyait de moins en moins clair. Il avait de plus en plus de mal à pouvoir travailler. Il était devenu très pauvre. Il prenait, quand il le pouvait un train-omnibus qui l’amenait jusqu’à la gare de Breteuil-Embranchement. Il fallait aller le chercher en taxi.
On l’attendait dans l’exaltation mais, au dernier moment, il ne venait pas. Peut-être n’avait-il pas l’argent pour acheter le billet de train et encore moins pour faire des cadeaux. Il ne voulait pas l’avouer, préférant arguer d’un problème de dernière minute qui l’empêchait de quitter Paris. Je ne l’ai que très peu vu mais quand il a su que j’avais réussi un concours pour entrer dans une école, il a absolument tenu à ce que je me rende chez lui, à Paris. Il vivait dans le quartier de Montmartre dans un deux-pièces très misérable. Il n’y avait pas beaucoup de place et l’atmosphère y était pesante. Je n’aimais pas beaucoup y aller, mais ma mère insistait : « C’est ton grand-père ! Quand même !» Soit ! Ce qu’aimait Roger par-dessus tout c’était de me faire découvrir Paris et ses monuments.
Nous nous déplacions toujours en autobus, ce qui est un bon moyen d’admirer le paysage des rues qui défilent. Mais Roger ne voyait plus rien. Il était devenu complètement aveugle, même s’il ne voulait pas l’admettre. Souvent, il se trompait dans ses explications, au pointe confondre un monument avec un autre. Cela me sautait aux yeux car Roger m’avait offert, à l’un des Noël où il était venu, un très gros livre sur les rues et les monuments de Paris que je connaissais quasiment par cœur. J’avais remarqué qu’il ne fallait pas le contredire car cela le mettait en colère. J’acquiesçais à toutes ses explications et il était content.
Il aimait aussi me présenter au cercle de ses amis. C’étaient de vieux messieurs qu’il avait côtoyés à l’époque de la Résistance. Les jours de fête commémorative, ils étaient bardés de décorations dont j’ignorais, pour la plupart, le sens. Ces jours-là, Roger se mettait sur son trente-et-un. Il enfilait son vieux costume et sa chemise blanche qui venaient directement du pressing. Je pense qu’il trouvait que c’était bien pour son standing d’avoir un petit fils qui était étudiant. Dès qu’on était installé à la terrasse d’un café, ils parlaient, ou de la guerre de 39-45, ou du général De Gaulle, et m’oubliaient complètement. La dernière fois que je suis monté à Paris à cause de Roger, c’était au milieu des années 1960. Mes parents m’avaient chargé d’accomplir une mission délicate. Roger venait de décéder et ses cendres se trouvaient au Père-Lachaise. Il me les fallait pouvoir récupérer pour les ensevelir dans le caveau de Cormeilles, à côté de Marcelle.
À cette époque où n’existait pas de GPS, je ne me suis pas mal débrouillé avec un vieux plan déplié sur mes genoux. Je suis arrivé du premier coup devant l’entrée du Père-Lachaise. Finalement, c’était un boulot très simple. Je leur ai donné un ou deux papiers, j’ai apposé ma signature sur un acte officiel et dans un coin d’un grand registre et on m’a tendu avec simplicité l’urne qui contenait les restes de Roger. Je l’ai rangée bien enveloppée dans une couverture dans un cageot à légumes pour qu’il ne lui arrive pas malheur en cas d’accident. Je suis reparti pour Cormeilles. À cette époque, j’avais une 4L que je poussais aussi vite qu’il était possible de le faire. C’était le style habituel de conduite des jeunes dans ces années 60, sans doute très insouciants, si on se replace dans le contexte d’aujourd’hui. Nous étions en plein mois d’août, au milieu de l’après-midi. Il faisait très chaud. J’avais ouvert les vitres à fond pour que l’air soit plus respirable. Il n’y avait pas un chat dans Paris et je fonçais à tombeau ouvert sur le Périph pour rejoindre l’autoroute. Je pense que Roger a apprécié ce voyage. Il a dû aimer le style de conduite de ce petit-fils qui, sans vraiment l’avoir connu, avait adopté des manières de conduite automobile que n’aurait pas reniées son grand-père