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Les maisons de Louis-Désiré Blanquart-Évrard

Les maisons de Louis-Désiré Blanquart-Évrard

Blanquart-Évrard a habité Lille toute sa vie. Nous passons en revue ses différents lieux de résidence. Du moins, ceux qui nous sont connus.

Le 3 bis Quai de la Haute-Deûle

L’immeuble blanc du centre de la photo, actuellement le 13 Quai du Wault, était du temps de Blanquart-Évrard, le 3 bis Quai de la Haute-Deûle. Il abritait une partie de l’activité de l’industriel.
Photo Alain Cadet
Au tout début du XXe siècle, la maison ressemble beaucoup à ce qu’elle est aujourd’hui mais le décor général est radicalement différent : c’est celui d’un port où se mêlent les activités commerciales et industrielles,Archives Départementales du Nord

Louis-Désiré est né rue de Paris, à Lille, ainsi que l’atteste son acte de naissance. Pour Bernard Dupont, Universitaire dans le domaine scientifique, mais qui a beaucoup travaillé sur le dossier du photographe lillois, il s’agirait du numéro 78. Aujourd’hui, l’immeuble n’existe plus. Le rang a été reconstruit lors de de l’opération de restructuration du quartier Saint-Sauveur initiée dans les années 60 et qui a eu quelques prolongements jusqu’à cet endroit de la rue de Paris, situé face à l’église Saint-Maurice.

C’est toujours Bernard Dupont, qui a localisé le siège de L’Imprimerie Photographique dans cette maison bordant l’ancien port fluvial « du Haut », aujourd’hui, 13 quai du Wault, mais qui, du temps de Blanquart, était répertoriée comme le 3 bis quai de la Haute-Deûle. Dans les deux ouvrages de référence (Isabelle Jammes et Jean-Claude Gautrand) cette adresse commerciale de l’Imprimerie était pointée à Loos-Lez-Lille, où, le long des ateliers de l’Imprimerie Photographique, passait également la Deûle. La localisation de cette adresse commerciale dans la capitale des Flandres ne fait aucun doute. Le terme de «Haute-Deûle » est exclusivement lillois. Il s’oppose à celui de « Basse-Deûle », dont le port était sis à l’emplacement actuel de l’avenue du Peuple Belge. «Haute-Deûle » n’a aucun sens ailleurs que dans cette ville. D’autre part, c’est bien l’adresse indiquée par la publicité pour l’Imprimerie Photographique dans le journal La Lumière de 1851 et, la même année dans le Traité de Photographie sur Papier où le néo-industriel précise même qu’il s’agit de la Direction de l’Album Photographique de l’Artiste et de l’Amateur (du nom de la première publication de l’Imprimerie Photographique) . Les Ravet-Anceau, des années 1850 à 1856 attestent également de la présence de Louis-Désiré Blanquart-Évrard à cet endroit. Selon la famille qui a occupé cette maison du bord de la Haute-Deûle  pendant environ deux siècles, elle aurait été construite dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle par l’architecte Eustache Dehez (1754-1801), qui y a peut-être d’ailleurs même habité. Puis elle a été occupée par les familles Delannoy-Ghesquière-Diérickx. Le bien n’a quitté le giron de la famille qu’en 1984. Il paraît probable que Louis-Désiré a investi en location la partie droite, au rez-de-chaussée du bâtiment et, sans doute, quelques dépendances situées sur ce côté droit de l’immeuble (dans le sens où sont prises les deux photos ci-dessus). Il ne semble pas qu’il y avait en ce lieu, ni la configuration, ni la la place pour que le drapier-photographe puisse y installer sa famille. D’ailleurs, comme l’atteste la photo du début du XXe siècle, le quartier, centré sur l’activité portuaire et industrielle est bruyant et pollué. Ce local de l’industriel photographe ne servait sans doute qu’à un usage purement commercial. Aujourd’hui, ce lieu préservé, qui témoigne de l’ancien port fluvial, est devenu un quartier résidentiel de prestige tandis que l’ancien couvent des Minimes qui jouxtait le 3 bis du quai de la Haute-Deûle, a été transformé en hôtel de luxe.

Le 9 rue Basse

La rue Basse n’a guère changé depuis le XXVIIIème siècle. Au fond, on aperçoit la rue Grande-Chaussée

Dans les années 1790 les parents de Louis-Désiré Blanquart-Evrard sont marchands de tabac à Quesnoy sur Deûle. À la toute fin du XVIIIe siècle, ils vont venir s’installer rue de Paris, à Lille. Malheureusement, à la suite à de destructions et de rénovations radicales, cette partie de la rue a totalement disparu. Louis–Désiré va naître dans cet endroit en l’an 1802. En 1830, son père, Jean-Baptiste-Joseph décède. Cet évènement va provoquer à l’arrêt de l’activité de la vente du tabac et la vente de la maison. Sa mère, Eugénie Sylvie Joseph va venir alors s’installer au 9, rue Basse dans le Vieux-Lille. Cette maison de ville n’est pas très loin du 11 de la rue Grande Chaussée qui sera le domicile suivant du drapier-photographe et cette proximité a peut-être joué un rôle dans sa rencontre avec Virginie Evrard, sa future femme. Un travail récent nous conduit à penser que Louis-Désiré Blanquart-Evrard était le propriétaire de l’immeuble voisin (le n°7). il est possible que ce n° 9 cité dans plusieurs études soit fautif et qu’en réalité il s’agisse nu n° 7, ce qui ne change guère l’histoire. Nous modifierons l’article si des certitudes concernant le domicile de Blanquart-Evrard en 1831 pouvaient être établies.

En tous les cas, sur son acte de mariage de 1831, on précise que « Louis-Désiré-Joseph Blanquart, directeur d’assurances, vit avec sa mère » dans cette maison de la rue Basse. En 1836, à la naissance de leur fille, Marie, le couple a déménagé rue Grande-Chaussée, probablement très rapidement, selon plusieurs sources, après ce mariage. La mère de Louis-Désiré va continuer à habiter cette maison jusqu’en mai 1841, date de son décès. La rue Basse n’a guère changé depuis l’époque où Blanquart-Evrard l’habitait.

Les 9 et 11 de la rue Grande Chaussée

Aujourd’hui, le Mouton (des Ardennes), cher à Blanquart, a été remplacé par un Crocodile.
Photo Alain Cadet

Aujourd’hui ces deux numéros de cette prestigieuse rue commerçante du vieux Lille sont réunis. Ils abritent le magasin Lacoste. Du temps de Blanquart, les numéros sont séparés mais ils abritent une seule enseigne, Au Mouton des Ardennes, un commerce de draps et de confection parmi les plus prestigieux de la métropole lilloise. Dans les années 1820, ce magasin est la propriété de la famille Évrard (d’ailleurs, c’est toujours sous ce nom qu’il sera répertorié dans le Ravet-Anceau, même lorsque Blanquart-Évrard en sera devenu le gérant). Le 10 janvier 1831, Louis Désiré Blanquart se marie avec Virginie Évrard, la fille de la maison. Pour des raisons – probablement commerciales – il adopte désormais le patronyme de Blanquart-Évrard. Pour ce fils de marchand de tabac, c’est une forme de promotion sociale.

La rue Grande Chaussée à la fin du XIXe siècle. Le Mouton des Ardennes se trouve sur le rang de gauche, à l’entrée de la rue, invisible sur cette photographie.
Collection particulière

Selon Xavier Alexandre qui, en 1970 est un très jeune journaliste auteur d’un ouvrage sur Blanquart-Évrard, quelques temps après leur mariage, fin 1831, le couple aurait emménagé dans l’appartement, à l’étage du 11 de la rue Grande Chaussée tandis que les parents, originaires de d’Ypres, seraient retournés finir leur vie dans leur ville de naissance. Son récit s’appuie sur le témoignage d’un membre de la famille Evrard, rencontré en Belgique en 1970. Plusieurs éléments donnent une certaine consistance à cette version. Les parents Évrard sont bien décédés et enterrés à Ypres. D’autre part, l’acte de naissance de Marie, la fille unique du couple, atteste de la domiciliation de Louis-Désiré, au 11 rue Grande Chaussée, l’année 1836. On peut faire le pari que Louis-Désiré et Virginie Blanquart-Évrard ont résidé rue Grande Chaussée de la fin de l’année 1831 à une date indéterminée, mais postérieure à 1836. Il est très probable que le couple avait déjà quitté cet appartement bien avant l’année 1857, quand Blanquart fait l’acquisition de l’hôtel particulier où il va finir sa vie, au 28 rue de Thionville.

Le 28 de la rue de Thionville

En 1857, Louis Désiré Blanquart Evrard fait l’acquisition de ce prestigieux hôtel particulier de la rue de Thionville, numéro 28. C’est une opération onéreuse qui atteste de la prospérité financière du drapier-industriel-photographe, dans les années 1850.
Photo Alain Cadet

Le 3 avril 1857, Blanquart-Évrard fait l’acquisition de ce magnifique hôtel de la rue de Thionville classé aux Monuments historiques. Il lui aura fallu casser sa tirelire. Il le paie 92 500 Fr. de l’époque lors d’une vente « à la bougie » (aux enchères)  ce qui, d’après le calculateur de l’INSEE nous renvoie à une somme de l’ordre de 50 millions d’euros environ de notre époque. L’INSEE prévient ses utilisateurs de se méfier de la fiabilité de son calculateur et ce chiffre a rendu perplexe l’auteur de cet article. Voici un autre système de comparaison :Le projet d’extension du rempart de la ville de 1856, est chiffré à 32 millions de francs. Son ouvrage le plus remarquable, celui de la pointe sud-ouest, est estimé à un million. Retenons que cet hôtel historique n’est pas dans les moyens du commun des particuliers.

Les finances de Louis-Désiré ne sont pas totalement asséchées pour autant. La même année, il fait construire un portique à l’Antique, à droite du bâtiment qui fort heureusement a disparu aujourd’hui, pour permettre au lieu de revenir aux fondamentaux de l’architecture de la fin du XVIIIe siècle.

La cour intérieure de l’hôtel de la Granville, dernière demeure de Louis-Désiré Blanquart-Évrard. Le porche d’entrée (n°28) se trouve au premier plan sur la droite de l’image. L’ancien porche du n° 26 a été reconverti en écuries (partie classée du bâtiment, voir ci-dessous). La base est en pierre de Soignies et le bâtiment mélange la brique et la pierre de taille. À part quelques petits détails que l’on peut éventuellement regretter (parties en pierre recouvertes de peinture rouge, imitation brique), il s’agit d’une très belle restauration qui respecte la rénovation du bâtiment effectuée à la fin du XVIIIe siècle.
Photo, Alain Cadet
Au début des années 1970, le bâtiment vient d’être classé pour qu’il échappe à l’appétit des promoteurs et à la démolition. Ce sont deux couples de médecins qui en font l’acquisition. La salle d’attente du docteur Vayron de la Moureyre a été installé dans les anciennes écuries du XVIIIe siècle.
Document Voix du Nord

En 1714, un certain nombre de maisons de la rue de Thionville sont démolies pour transformer l’endroit en deux hôtels particuliers, le numéro 26 et le numéro 28, qui seront réunis en une seule propriété avec une seule entrée (le n°28). C’est ce bâtiment prestigieux l’hôtel Bidé de la Granville dont Louis-Désiré vient de faire l’acquisition. Il a été remis au goût du jour en 1784 par le propriétaire de l’époque. Ses toitures, façades (sur rue et sur cour), ses pièces intérieures décorées de boiseries de stuc et même les anciennes écuries du rez-de-chaussée sont classées aux Monuments historiques. Il n’existe que très peu de photographies, datant de la vie de château menée par Louis-Désiré Blanquart- Evrard dans l’ancienne propriété du comte de la Granville. Le grand homme de l’histoire mondiale de la photo va y vivre de 1857, jusqu’à sa mort en 1872.

Cette photo de fleurs in La photographie, ses origines, ses progrès, ses transformations, 1869, a été prise à droite du porche d’entrée menant à la rue de Thionville (n°28)
Bibliothèque Nationale de France
Façade cour (classée)
Photo Alain Cadet

Le chaînon manquant…

Blanquart-Évrard, jusqu’à au moins 1836 réside rue Grande Chaussée. À partir de 1857, son nouveau domicile se situe rue de Thionville. Une période d’incertitude demeure et notamment celle qui concerne l’année 1846 où il va expérimenter le procédé qui va révolutionner l’usage du « positif négatif » et qui sera l’objet d’une communication à l’Académie des sciences de Paris en janvier 1847. Beaucoup de ces clichés représentent des personnages dans un décor bourgeois ou à l’extérieur sur le pas de porte. Toutes ces célèbres photographies évoquent une maison.

Clémence Évrard,-Guichard, la soeur de Virginie, photographiée devant une porte inconnue, en 1846. Beaucoup d’autres personnages le seront dans ce même décor. Ce cliché sur papier ioduré, viré au chlorure d’or, fait partie des images qui ont appuyé la communication de janvier 1847 à l’Académie des sciences de Paris.
Source : Bibliothèque Nationale de France

J’ai pu vérifier les lieux à l’arrière des immeubles de la rue de Thionville et de la rue Grande Chaussée et même les issues du 3 bis quai de la Haute Deûle. Ces photos n’ont été prises dans aucun de ces endroits. Mais alors, où ça ? Pour l’instant c’est le mystère ! Mais, on tient une piste. Dans l’acte d’achat de l’hôtel de la rue de Thionville, le notaire précise le nom et les qualités de l’acheteur : « Louis-Désiré Blanquart-Évrard, chevalier de la Légion d’honneur, propriétaire à Lille ». Malheureusement il ne note ni  le nom de la rue, ni le numéro – ce qu’il fera pourtant pour certains des héritiers parisiens profitant de la vente de l’immeuble –. La réponse à la question se trouve probablement dans les registres des propriétaires, le cadastre, les documents notariés, dont beaucoup doivent se trouver aux Archives municipales de la ville de Lille. Avis aux amateurs ! La chasse est ouverte !

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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