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Lettres à sa famille en zone occupée
Cette lettre, datée 5 novembre 1914 fait partie des deux seules que le soldat Émile Lhomme a pu faire parvenir à sa famille. Gaston, celui à qui il l’a confiée, a sans doute risqué sa vie pour l’acheminer en zone occupée. Elle nous a été confiée par sa nièce, Manon Wilson, qui l’a gardée précieusement. Elle est adressée à sa mère et, indirectement, à ses trois sœurs, Émilienne, Lucienne et Julienne. Sans nouvelles des siens, ignorant ce qui se passe en zone occupée, de laquelle lui parvient seulement des bribes d’informations et des rumeurs, le jeune soldat est très inquiet. Voici ce qu’il écrit :
«Chère mère et sœur,
Je ne sais plus comment je vis. On nous a raconté qu’à Lille, tout est démoli et qu’on est encore en train de désinfecter les maisons. Aussi j’ai peur qu’il ne t’est arrivé malheur et ça m’ennuie d’être sans nouvelles de toi, ainsi que de mes sœurs. Moi, ça va comme ci, comme ça. Je n’ai plus de sous et je ne sais pas ce que je vais faire. Impossible de t’écrire. C’est pourquoi je donne ma lettre à Gaston. C’est la troisième lettre que je t’écris et je ne suis sûr que tu ne les as reçues. J’ai passé le conseil à Bourbourg et je suis pris, bon soldat. Alors, j’attends d’être envoyé à mon régiment. Ça m’ennuie d’être pris, sans vous avoir tous revus, mais, que veux-tu, il faut s’en faire une idée ».
Visiblement, le jeune soldat est parti avec très peu d’argent en poche, ce qui n’est pas adapté à la vie en caserne, en 1914 :
«Si j’avais seulement encore quelques sous, je le prendrais du bon côté. Tu ne me verras plus de sitôt. Je crois même, sept ou huit mois mais, ce que je demande, ce sont des nouvelles de Lille, de toi surtout. Je me figure que notre maison est démolie et qu’il vous est arrivé un malheur. Tu dois te figurer si je me fais de la bile pour vous autres. J’espère qu’il n’y aura rien du tout et que, quand je reviendrai en permission, que je vous retrouverai tous en bonne santé. J’ai écris à papa mais je n’ai pas pu lui donner l’adresse pour la réponse, ainsi qu’à toi, puisque je ne suis pas encore caserné.
Maintenant, ce qui m’embête le plus c’est les sous. Aussitôt que je vais être en caserne, je vais écrire à Tante Emma et lui demander pour me prêter 15 Fr. Je crois que tu ne seras pas en colère. C’est le seul moyen que j’ai trouvé. Tu la rembourseras aussitôt que tu seras sûre que la poste marche bien. Quant à moi, je ne suis pas trop mal pour le moment et on est à peu près nourris. C’est surtout quand je suis parti de Lille que j’ai été forcé de dépenser de l’argent, sans cela j’aurais eu faim… quoi que j’aie eu fort bien faim.
Je dors dans la paille dans une cave. Raphaël, Jules et Charles sont avec moi. Mon parrain est expédié dans une autre direction, avec Pierre, du côté de Rouen.
Je ne vois plus rien à vous dire pour le moment, sinon que j’espère vous revoir un jour en bonne santé. Embrasse bien pour moi Émilienne, Lucienne et Julienne. J’espère qu’elles n’ont pas eu trop peur pendant les bombardements.
Chère maman, je t’embrasse cent fois et au revoir. À bientôt de tes nouvelles…
Je t’écrirai aussitôt que les allemands seront partis pour te donner mon adresse
Émile »
Quelques jours plus tard le jeune soldat, Émile Lhomme partira pour Verdun faire ses « classes », au 151e régiment d’infanterie. Cette période de formation terminée, il reviendra dans le Nord pour participer à la Bataille des Flandres dans le secteur Zneiuport, Dixmude, Steenstraate..
Alain Cadet