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1846-1945, Gares historiques

Patrimoine lillois

La gare de Lille-Flandres : un paysage qui a accompagné plusieurs générations de Lillois

Au milieu du XIXe siècle, le transport ferroviaire se développe dans la région du Nord, et singulièrement à Lille. Ses gares vont devenir la plaque tournante du réseau de la Compagnie du Nord. Malgré des périodes indécises, Lille a toujours su préserver cette prééminence. Aujourd’hui, face à de nouvelles crises qui n’avaient pas été anticipées, les cartes sont à nouveau rebattues. Ce que vont devenir ses gares est un enjeu de première importance pour la Cité.

Il était une fois, le Train

Sans remonter à l’Antiquité, avec les Égyptiens et les Romains qui utilisaient déjà des systèmes de rail pour déplacer les objets lourds, on peut situer l’origine du chemin de fer dans l’Angleterre de la première moitié du XIXe siècle, avec l’avènement de la locomotive à vapeur. La première ligne fut ouverte en 1825 entre les villes de Stockton et Darlington. C’est George Stephenson lui-même, le concepteur de la locomotive, qui conduisit le premier convoi. Le chemin de fer devint très vite outre-Manche un très grand succès populaire et commercial. L’Angleterre de cette première moitié du siècle est la première puissance mondiale. Ses industries – notamment minières, textiles et sidérurgiques – sont en avance sur celles des pays concurrents. La Grande-Bretagne possède tous les atouts pour tirer le meilleur parti de cette formidable révolution industrielle qui va transformer le Monde. Le train se révèle bientôt indispensable pour assurer circulation des voyageurs et le transport des matières premières ou manufacturées. L’affaire est tellement rentable qu’elle est dopée, presque au-delà du raisonnable, par la capitalisation boursière… au point que l’on parlera outre-Manche de « Railway Mania ». En tous cas, en 1845, l’Angleterre possède 9500 km de rails, c’est-à-dire la moitié du réseau européen.

L’Europe continentale, a bien conscience d’avoir un train de retard dans le domaine ferroviaire. Elle ne ménage pas ses efforts pour tenter de le rattraper. Entre 1827 et 1830, une première ligne est construite en France, entre Saint-Étienne et le Rhône, pour acheminer le charbon. La première ligne de chemin de fer à vapeur exploitée par le secteur public de l’Europe continentale est mise et mis en service en 1835, entre Bruxelles et Malines. En 1837, une toute petite ligne relie Saint-Germain à Paris. C’est l’occasion d’une polémique picrocholine dans laquelle les adversaires du train ne sortent pas grandis. Il est désormais admis que le chemin de fer, pour le bien du transport des marchandises et des personnes, doit être développé par l’État français.

Mais, en juin 1842, celui-ci tranche en faveur d’un modèle économique privilégiant le financement par le secteur privé. Le gâteau est partagé entre six grandes compagnies. Le réseau du Nord est attribué à la Compagnie du Nord des chemins de fer, dont l’Histoire retiendra surtout le nom de son actionnaire principal – on ne prête qu’aux riches – James de Rothschild. La Compagnie du Nord sera fondée en 1845. À cette époque, il n’existe qu’un tout petit bout de ligne, ouvert en 1842 entre le réseau belge, précurseur avec l’Allemagne du développement des chemin de fer en Europe continentale, et la gare de Roubaix… très vite prolongé en direction de Lille. La Compagnie du Nord va s’attacher à développer le rail sur le territoire qui lui a été concédé. En 1846, elle construit la ligne Paris-Lille dont elle a confié le tracé à George Stephenson, la référence absolue de l’époque. C’est un immense événement… à Lille et ailleurs ! Le 18 juin, pour l’inauguration officielle, on voit débarquer dans la capitale des Flandres tout le gratin parisien. On dénombre plusieurs ministres, le duc de Nemours (le fils du roi Louis-Philippe), Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Prosper Mérimée, Théophile Gautier, Jean-Auguste-Dominique Ingres et même Hector Berlioz. Celui-ci avait composé pour l’occasion, « le Chant des Chemins de fer » dont il assura lui-même la direction sur l’Esplanade, devant la foule des Lillois.  Sur le canal proche, on avait organisé des joutes nautiques, un sport très prisé à cette époque.

La gare du Nord, à Paris, en 1846. C’est de cet endroit que part le convoi bourré de Parisiens venus inaugurer la ligne Paris-Lille. Nous aurons l’occasion de reparler de ce bâtiment.

Le train était arrivé en gare de Fives, accueilli par l’Archevêque de Cambrai[1], Monseigneur Giraud, accompagné des dignitaires du clergé. Le prélat bénit d’abord la locomotive, puis, tout ce beau monde s’ébroue en fiacre, en direction de Lille, jusqu’à un immense banquet pantagruélique. Les chiffres des participants varient du simple au double. Nous privilégierons le plus bas – 1700 couverts quand même – car c’est celui d’un texte d’époque.

Si le premier train de l’Histoire, en provenance de Paris, s’est arrêté à Fives dans la banlieue de Lille, c’est que la gare actuelle n’existait pas encore… en tout cas officiellement.[2] le transfert du trafic ferroviaire de la gare de Fives vers la future gare va se faire par paliers. On construit d’abord un débarcadère – c’est-à-dire une gare provisoire simplifiée – au niveau du Pont du Lion d’or (entre la commune de Lille et celle de Mons-en-Barœul). Un nouveau débarcadère est érigé à l’emplacement de la gare actuelle dès 1848.

Le nouveau débarcadère (1848) construit à l’emplacement de l’actuelle Lille-Flandres. C’est le troisième en quelques années. Après la gare historique de Fives, il y aura celui du Pont-du-Lion d’or (qui ressemble à celui-ci) et celui de la rue du Long-Pot

Ériger une gare, en plein centre-ville, n’avait pas été si simple. Les habitants expropriés étaient bien naturellement hostiles à ce projet et multipliaient les recours ou bien affichaient des prétentions financières exorbitantes. L’autre point délicat concernait le rôle assigné à la ville en cas de conflit armé. Pour faire passer les trains il avait fallu faire un trou dans le rempart de cette place fortifiée située à l’extrême nord du territoire français. Lille était la première sentinelle, face aux routes d’invasion. Mais, à l’inverse, cette gare intramuros allait dans le sensde la politique municipale. La capitale des Flandres, coincée à l’intérieur de ses remparts, avait de plus en plus de mal à affirmer son leadership face à a ses deux voisines, Roubaix et Tourcoing. Dopées par une industrie textile en pleine expansion, elles devenaient de plus en plus puissantes. À Lille, la Chambre de commerce comme la Municipalité ont décidé de réagir. En 1858, Lille annexe quatre communes voisines et passe de 411 à 2110 hectares. On va pouvoir organiser ces nouveaux territoires et créer dans les anciens quartiers des axes haussmanniens tels que celui du boulevard de la Liberté ou bien encore la rue Nationale. Ce programme s’accompagne de la construction de grands édifices publics comme la préfecture, le musée, et les universités.

Le projet lillois de la nouvelle avenue de la Gare (actuellement rue Faidherbe). Destiné à désenclaver la gare, cet axe “haussmannien” s’inscrit dans un plan global de rénovation de la ville.

Pour l’instant, la nouvelle gare provisoire est enclavée à l’intérieur de la ville. On y accède par une toute petite place résultant de la démolition de l’extrémité de la rue des Buisses. Dans le prolongement, on trouve un lacis de petites rues malcommodes. C’est alors que la municipalité propose à James de Rothschild et à ses associés de créer à ses frais une grande place devant la nouvelle gare avec une large avenue qui la relierait au centre-ville. .

Travaux de démolition pour le percement de la nouvelle avenue (A. le Blondel)

Ces travaux n’aboutiront qu’en 1869 avec la réalisation de la place et de l’avenue de la Gare (aujourd’hui rue Faidherbe), un chantier de première importance qui avait nécessité la destruction de pas moins de 150 maisons. James de Rothschild ne pouvait pas faire moins que de participer à ce projet monumental qu’on lui avait apporté sur un plateau. Ses ingénieurs se mettent au travail et on peut bientôt disposer de l’ébauche du bâtiment. Schématiquement, il se compose d’une façade en pierres blanches, à l’unisson avec les immeubles de la place et d’une grande halle métallique, à l’arrière, permettant d’accueillir les trains et de protéger les voyageurs des intempéries. Ce résultat était le fruit d’un compromis entre la mairie de Lille et la Compagnie du Nord. James de Rothschild, dans le but de faire des économies avait eu l’idée de démonter, pierre par pierre la vieille gare du Nord parisienne de 1846 pour la reconstruire à l’identique à Lille avec les mêmes matériaux.

Le projet de la Compagnie du Nord des chemins de fer.

Cette proposition n’est pas du goût de tous les conseillers municipaux qui poussent des cris d’orfraie : « On se demande si ces défroques de la capitale constituent vraiment une gare monumentale», s’exclame l’un d’eux. En effet, cette gare au rabais et à monumentalité réduite est un contresens par rapport au projet lillois de rénovation urbaine, pour lequel l’impression visuelle fait partie du contrat. Mais, entre gens de bonne volonté, on arrive souvent à un compromis. Les deux parties finissent par s’entendre sur un bâtiment dont le rez-de-chaussée serait bien l’ancienne gare de Paris mais il serait surmonté d’un étage d’inspiration néoclassique orné d’une imposante pendule. Ce chantier fut réalisé entre 1867 et 1869. Il faut bien reconnaître que l’immeuble, une fois terminé, avait fière allure et se mariait parfaitement avec les facades en pierre de taille de la place de la Gare.

Aux alentours de 1870 : la nouvelle gare. La traction des tramways est encore hippomobile.

Malgré le développement exponentiel du transport par voie ferrée des voyageurs et des marchandises – on frise déjà le million de voyageurs – la halle métallique, prévue sur les plans tarde à être mise en chantier. Commencée au tout début des années 1890, la « Halle aux trains » ne sera livrée qu’en 1892. Les structures de l’édifice ont été fabriquées dans l’usine sidérurgique toute proche de Fives. À cette époque elle est le leader incontesté de la fabrication des charpentes métalliques destinées aux bâtiments publics ou industriels. C’est cette même usine qui a réalisé le chantier de la tour Eiffel est celui de la gare d’Orsay. Cette « Halle » est de dimensions plus modestes que celle dessinée sur le plan. Très vite, cette « gare Centrale », toujours en activité, et désormais connue sous le nom de Lille- Flandres se révèle trop petite pour absorber la totalité du trafic ferroviaire.

La halle métallique est construite alors que la gare est déjà en service. Les voyageurs débarquent à Lille en plein milieu du chantier en activité. Les normes de sécurité de l’époque étaient très souples.

On s’aperçoit que Lille a besoin d’une troisième gare. Elle sera spécialisée dans le transport des marchandises et implantée aux portes du quartier historique de Saint-Sauveur. Sa construction démarre en 1864. La Gare Saint-Sauveur accueillera ses premiers trains le 11 novembre 1865. Le lieu est très judicieusement choisi pour y implanter une gare de marchandises. À ses portes se trouvent les usines modernes du nouveau quartier Moulins créé dans les années 1860, grâce à l’annexion de nouveaux territoires. Des embranchements reliés à la gare si pénètre directement dans les fabriques. Un petit train de ceinture, relie la nouvelle gare au port fluvial, irriguant la zone sud de la nouvelle ville.

La gare Saint-Sauveur quelques années après son inauguration (1867) lors de l’un des nombreux voyages publicitaires du chef de l’Etat de l’époque, l’empereur napoléon III, accompagné de l’impératrice Eugénie.

Dans la région du Nord – et singulièrement à Lille – le transport ferroviaire monte en puissance. Plus rapide et plus réactif que le transport fluvial, pas encore vraiment concurrencé par la route, il conquiert chaque année de nouvelles parts de marché pour le transport des matières premières et des produits manufacturés. La Compagnie du Nord, diversifie son offre et ouvre de nouvelles lignes pour les voyageurs. En 1913, toutes les routes (ferrées) mènent à Lille. On passe via la capitale des Flandres pour se rendre de Paris à Bruxelles ou à Londres ou bien de l’Est de la France vers le Littoral. Le train, entreprise très prospère, est alors le vecteur, principal des déplacements de toute nature.

1914 – 1918, l’Occupation

En octobre 1914, l’armée allemande assiège Lille. La ville, qui avait été abandonnée à son sort par l’état-major et le gouvernement est finalement défendue par une poignée de soldats dépêchés à la hâte. Les gares lilloises ne sont pas étrangères à ce revirement. L’état-major vient de s’apercevoir – mais un peu tard – que Lille, plaque tournante du trafic ferroviaire, est un enjeu stratégique majeur pour la conduite de la guerre et qu’elle constitue un passage obligé pour acheminer les troupes combattantes en direction du Front.[1]

Le quartier de la gare, en octobre 1914, après le bombardement de la ville par les allemands.

Pour faire fléchir les défenseurs de la ville, l’armée allemande se livre à une opération de destruction massive du centre-ville et des banlieues industrielles. Pas moins de 1500 maisons seront détruites dont beaucoup appartiennent au secteur de la gare Centrale. Mais, la gare elle-même est indemne. Il faut saluer la précision du tir des artilleurs allemands et leur amour du rail. Ils ont permis la préservation du bâtiment et de ses installations. Le train représentait un enjeu majeur pour l’armée allemande. Ses moyens de transport par la route étaient peu développés alors que sur le plan ferroviaire, l’Allemagne était très en avance. L’état-major français n’était pas mauvais non plus dans l’utilisation du train pour mener la guerre. Il était capable de faire transiter très rapidement des régiments entiers d’un point à un autre du territoire par le moyen du chemin de fer. D’ailleurs, certains officiers impertinents surnommaient le général en chef des armées françaises, Joseph Joffre, « le Chef de gare », suggérant ainsi qu’il était meilleur pour gérer l’intendance que pour prendre les bonnes décisions stratégiques. Mais Joffre, dans l’utilisation du train, était surpassé par ses homologues allemands. D’ailleurs, peu avant la guerre, Guillaume II avait expédié ses officiers du Train pour observer la manière dont Buffalo Bill, en tournée en Europe, s’y prenait pour déplacer son cirque ambulant – une ville entière – en une seule journée, au moyen du chemin de fer. Cette capacité allemande à déplacer en un temps record des troupes de renfort, au moyen du rail, dans les endroits où elle était en difficulté est l’une des raisons pour laquelle pendant quatre ans, de 1914 à 1918, malgré tous leurs efforts, les troupes alliées n’arrivèrent jamais à enfoncer les lignes allemandes.

La gare Centrale disposait pendant la guerre d’une ligne Lille-Berlin : un atout important pour la mobilité de ses troupes

L’occupation de Lille et de ses gares est du pain béni pour l’armée allemande qui, depuis cette base arrière, va pouvoir alimenter le front en combattants, en munitions et en matériel. Les régiments bavarois qui tiennent les tranchées, peuvent rapatrier les blessés, transférer la plus grosse part de son artillerie – comme ce fut le cas pendant la bataille de Verdun – sur un autre front, dépêcher des renforts ou mener tout autre opération dictée par les circonstances. Nul doute, que Rupprecht de Bavière qui commandait les unités opérationnelles du secteur ait beaucoup apprécié la qualité du réseau et du matériel de la Compagnie du Nord. Tandis que la gare Centrale servait surtout au transport des soldats, la gare Saint-Sauveur permettait la réception des d’armes et des munitions venus d’Allemagne et le transfert vers l’Est des matières premières et des machines industrielles confisquées dans la région du Nord. Cette gare était aussi le lieu de transit de la Feldpost (Poste militaire) pour tout le front de l’Ouest. Des centaines de millions de lettres et de colis vont transiter par cette gare Saint-Sauveur. Elle était alimentée par un centre de tri installé dans l’université proche de la rue Angelier. Chaque jour, un train postal effectuait deux allers-retours entre Lille et Bruxelles

A la gare Saint-Sauveur des quais couverts étaient dédiés à la Feldpost pour la gestion du courrier entre le Front-Ouest et l’Allemagne

La période de la guerre ou les gares lilloises furent le plus utile à l’armée allemande fut sans doute celle du printemps 1918, au moment où l’Allemagne, après avoir échoué à Verdun, décide de livrer la bataille décisive sur le front de l’Ouest. Le Kaiser vient de signer une paix séparée avec la Russie – devenue l’URSS – ce qui lui permet de rapatrier, au moyen du train, les divisions d’infanterie du front de l’Est vers le front occidental.  Au moment du déclenchement de l’offensive, le 21 mars 1918, l’armée allemande déploie sur le front de l’Ouest pas moins de 243 divisions. On voit passer à Lille du « beau monde » qui accompagne les soldats. À aucun moment, auparavant, on avait vu défiler autant de dignitaires allemands. Le roi Louis III de Bavière et l’empereur d’Allemagne Guillaume II avaient pris un abonnement pour la gare Centrale de Lille afin de venir soutenir leurs troupes. Finalement la grande offensive de printemps de 1918 fut un échec. Ce fut même le début de la fin pour Guillaume ! Mais, l’armée allemande fut à deux doigts de réussir.

L’arrivée de Louis III, le Roi de Bavière à la gare Centrale, au printemps 1918

Entre deux guerres, de la Compagnie du Nord à la SNCF

Avant de s’échapper vers le Nord, en direction de son territoire, l’armée allemande n’avait pas oublié de saboter toutes les installations de la ville, de faire sauter les ponts et bien entendu de détruire les voies de chemin de fer et les aiguillages menant aux gares. À telle enseigne que le visiteur qui se rendait à Lille au moment de la Libération, devait emprunter la gare d’Armentières. Les dégâts causés au réseau ferré du Nord sont immenses. Il faudra deux années pour reconstruire les infrastructures et réorganiser le transport ferroviaire. Ce sera l’une des faiblesses de la Compagnie du Nord. L’État apure les dettes de la société privée mais obtient un droit de regard sur sa gestion du réseau. Bientôt, en ce qui concerne en tous cas le trafic des voyageurs, on retrouve un niveau comparable à celui d’avant-guerre. Mais la Compagnie s’est appauvrie. Pendant la guerre, des différends entre l’État et les dirigeants de la Compagnie avaient vu le jour. Ils avaient même conduit à des changements de personnels de direction. Les cadres de la Compagnie, tentaient de défendre les intérêts des actionnaires tandis que le gouvernement avait pour seul objectif la conduite de la guerre. Une certaine défiance réciproque régnait. La Compagnie des chemins de fer du Nord ne ménage pas ses efforts pour moderniser son réseau, proposer de nouveaux services et se doter de locomotive beaucoup plus rapide telle que cette Micheline représentée ci-dessous qui met Paris à 2h25 de Lille : une bombe pour l’époque !

Avant-guerre, en 1936, deux initiatives de la Compagnie du Nord des chemins de fer; l’autorail-express qui mettait Paris à deux heures vingt-cinq de Paris et le trafic Transmanche train-ferry le plus rapide d’Europe.

Mais, malgré une rationalisation de l’organisation du travail, des dépenses d’exploitation très serrées, la compagnie privée est en crise. La priorité de l’État et des dirigeants politiques de cette époque n’est pas celle du profit et de la distribution des dividendes aux actionnaires. Ils considèrent le transport ferroviaire comme un moteur de l’économie permettant l’acheminement du fret au moindre coût et les trajets professionnels accessibles à toutes les catégories de la population. Dans cette perspective, l’Etat encadre le prix des transports. Les bénéfices de la Compagnie se réduisent comme peau de chagrin. En même temps, la crise économique de 1929, se répercute en Europe et se traduit par un ralentissement très net du trafic des marchandises. La Compagnie des chemins de fer du Nord est aux abois à tel point qu’elle doit même recourir à l’emprunt. La nationalisation du réseau sera un soulagement pour tout le monde. Le 12 octobre 1937 est créé une société d’économie mixte ou les anciennes compagnies détiennent 49 % du capital et l’État 51 %. On l’appellera la Société nationale des chemins de fer français (SNCF). La Compagnie du Nord des chemins de fer, a vécu.

Les locos d’avant-guerre de la ligne Paris-Londres

1940 – 1944, l’Occupation, le Retour

Fin mai 1940, les troupes allemandes d’invasion sont de retour à Lille. Comme en 1914, la garnison va résister jusqu’à l’épuisement de ses munitions. Elle tiendra la place six jours, du 25 au 31 mai. Mais, le 1er juin, les troupes allemandes prennent possession de la ville. Adolf Hitler qui avait fait partie des premiers contingents à pénétrer dans la ville en septembre 1914, a pris du galon. Le petit caporal de l’armée bavaroise est devenu le chef suprême de l’État allemand et de son armée.

La Grand-Place occupée par l’armée allemande en 1940

L’armistice signé le 17 juin par le maréchal Pétain, qui croyait dans les valeurs de l’Allemagne, est un marché de dupes… surtout pour la région du Nord. Elle est rattachée au commandement militaire de Belgique, prélude à son annexion. Elle est coupée du reste de la France. On la désigne par le terme de « Zone interdite ». Lille et ses gares sont au cœur de ce dispositif d’exception. La gestion du réseau ferré en désormais dévolue à l’Eisenbahnbetriebs bruxelloise, sous la direction de la Wehrmacht. Le résultat produit est catastrophique. Le trafic est paralysé si bien qu’au bout de quelques mois on redonnera quelques prérogatives à la SNCF, sans que pour cela la tutelle allemande soit remise en cause. On manque de personnel et surtout de matériel roulant. Des cheminots venus d’Allemagne viennent renforcer les effectifs français. La priorité est donnée aux convois militaires au détriment des trains utiles à la population autochtone. La gare Saint-Sauveur, comme lors de l’Occupation précédente, va être bien utile pour rapatrier vers l’Allemagne les machines confisquées et les matières premières destinées à son industrie, notamment les métaux. Cette campagne de pillage sera moins sauvage que la précédente. On déboulonne les statues pour en récupérer le métal mais on n’ira pas, comme en 1917, jusqu’à confisquer les cloches des églises pour les transformer en canons – en tout cas, pas dans le Nord, à l’inverse de la Belgique ! –. Les gares lilloises vont être aussi le point de départ de convois de prisonniers, résistants ou juifs, envoyés vers les camps d’extermination. Même si le phénomène n’atteindra pas l’intensité qu’on a pu voir dans la région parisienne, il est quand même bien réel. On utilisera d’abord la gare Centrale et par la suite, la gare de Fives, plus discrète et plus commode pour garer les camions remplis de la population raflée.

Marcel Hoffmann et ses collègues cheminots de la gare de Fives. Le 11 septembre 1942 ils vont aider une quarantaine de juifs -surtout des enfants – raflés pour être envoyés vers les camps de la Mort, à s’enfuir

L’exemple le plus emblématique est sans doute la rafle du 11 septembre 1942, visant la population juive dans le Nord-Pas-de-Calais, que beaucoup d’historiens n’hésitent pas à comparer à celle du Vel’ d’Hiv’, à Paris. À Lille, plusieurs centaines de juifs sont raflés dans la nuit du 10 au 11 septembre. Ils sont acheminés vers Fives ou les attend un train pour Malines, en Belgique, un camp de transit avant Dachau ou Buchenwald. Les cheminots de la gare vont parvenir exfiltrer une quarantaine de personnes, en majorité des enfants, et vont les cacher jusqu’à la fin de la guerre. C’est un acte de résistance instinctif. Mais, la résistance organisée est très implantée parmi le personnel de la Société ferroviaire. Il y a bien des façons de s’engager : en distribuant les journaux, en pratiquant une activité du renseignement et même en sabotant les installations. Le personnel roulant et celui des aiguillages est le mieux placé pour connaître les heures des convois, leurs contenus et leurs destinations. Ces renseignements seront très précieux pour l’aviation anglaise, surtout après la bataille d’Angleterre qui avait, en grande partie, décimé l’aviation allemande, laissant le champ libre aux bombardiers britanniques. À partir de 1942, des bombardements massifs, très bien renseignés vont viser des convois stratégiques ainsi que les gares lilloises. On retiendra celui de la gare de Lille- Délivrance une immense gare de triage, bâtie à Lomme dans la banlieue lilloise,  en 1919 et ceux de la gare de Fives, les 10 et 11 mai 1944,  qui visaient aussi l’entreprise sidérurgique proche ainsi que les ateliers de maintenance de la SNCF d’Hellemmes.

Le bombardement de la gare de Lille-Délivrance, le 10 et 11 mai 1944

Ces bombardements des gares vont s’accompagner de destructions de maisons environnantes. À chaque raid, ce sont plusieurs centaines de maisons et plusieurs centaines de victimes civiles qui doivent être dénombrées. À partir de mai 1944, lorsqu’il est devenu certain dans les milieux de la résistance, bien informé, qu’un débarquement est imminent, couper les fils électriques et téléphoniques devient un sport régional. On sabote aussi volontiers les voies et les aiguillages. Les cheminots affiliés au mouvement de résistance sont des experts de cet exercice. Plusieurs techniques sont couramment utilisées. Elles requièrent un savoir-faire particulier. Mais la plus spectaculaire, a probablement été la destruction de plusieurs centaines de mètres de voie par un engin ressemblant à une charrue traîné par une locomotive. À partir de la fin mai, le réseau est très perturbé, ce qui va empêcher l’armée allemande d’être aussi efficace qu’elle aurait souhaité dans l’acheminement des renforts de la bataille de Normandie de juin 1944.

Les Allemands, perdant toute mesure, fusillent à tour de bras dans les forts de Seclin et de Bondues. Beaucoup de cheminots seront victimes de cette répression. L’épisode le plus sanglant de la réponse allemande face au sabotage, n’a pas eu pour origine un groupe de cheminots mais une section de résistants de la commune d’Ascq, dans la banlieue lilloise. Le 1er avril 1944, Ils font sauter un aiguillage tout près de la gare, sachant qu’un train de marchandises doit y arriver. Mais, un autre convoi transportant les SS de la 12e division des jeunesses hitlériennes, en route vers la Normandie, c’est intercalé. Sa locomotive va déclencher l’explosion de la charge. Il n’y aura pas de blessés dans le train allemand mais les SS vont fusiller 86 civils, habitants du village. Ils ne seront jamais jugés par la justice allemande. Le dernier survivant de cette unité, l’ancien SS Karl Münter est décédé de sa belle mort, à 96 ans passés, le 22 septembre 2019 non sans avoir déclaré, quelques semaines auparavant « qu’il n’avait aucun regret. » Cette « Bataille du rail » dont les épisodes les plus marquants se sont survenues durant l’année 1944 a laissé un goût amer au sein de la population de la région du Nord. Sur le plan matériel, sabotages et bombardements ont transformé le réseau ferré de la région lilloise en un champ de ruines. Encore une fois, comme en 1918, après l’armistice signé en 1945, il va falloir tout reconstruire aux frais de la Nation.

La gare de Lille-Flandres (l’ancienne gare Centrale) aujourd’hui.

[1] À cette époque d’octobre 1914,  il s’agit d’empêcher les renforts allemands d’atteindre les régions d’Arras et de Dunkerque.

[1] À cette époque, Lille ne possédait pas encore son propre évêché, et son clergé dépendait de l’archevêque de Cambrai.

[2] De fait, on venait juste d’installer les rails menant à la gare, mais expliquer les raisons de la situation nous amènerait un développement disproportionné, dans le cadre de cet article.

Pour accéder à la suite…

Lille, gares d’hier et d’aujourd’hui : II/II